Consommer une tasse de café est, chez-nous, un geste habituel, un véritable rite matinal, au point que personne, à quelque exception près, n’y échappe. Un petit peu de caféine fait du bien à l’esprit; il ébranle le corps endormi, lui transmettant une légère secousse. Pourtant, le café est un produit relativement récent dans notre culture occidentale, mais il a su s’imposer au point de devenir une constante de la vie au quotidien. Tout le monde sait que le plant du café1 est originaire d’Afrique et, en particulier, de l’Ethiopie, de la région de Kaffa, dont il a tiré, vraisemblablement, le nom2. A’ vrai dire, la question n’est pas encore tranchée d’une manière définitive, mais peu importe, car il reste que l’Afrique est, en tout état de cause, le terroir d’origine. Il revient aux Arabes le mérite d’avoir propagé son usage; comme l’Islam interdit l’alcool, la popularité du café, par ses vertus «excitantes», s’accroît considérablement. Les effets du café étaient tels qu'il fut interdit à l'appel d'imams orthodoxes et conservateurs, à la Mecque en 1511 et au Caire en 1532, mais la notoriété du produit, en particulier auprès des intellectuels, poussa les autorités à annuler le décret. Le XVème siècle signale, en fait, l’explosion de la consommation du café aux pays de l’Islam; la boisson s’impose en Iran, en Egypte, dans l’Afrique du Nord et en Turquie. L'enivrement est tel qu'une loi turque de l'époque sur le divorce précise qu'une femme peut divorcer de son époux si celui-ci ne parvient pas à lui fournir une dose quotidienne de café.
En ce qui concerne les Européens, ce n’est que vers la fin du XVIIème siècle que la boisson de café se répand. Il est un médecin Allemand le premier qui en fournit une description complète, relative à ses vertus médicales3. Ses commentaires attirent l'attention de marchands, que l'expérience du commerce des épices a rendu sensibles à ce genre d'informations. Le café arrive en Europe aux alentours de 1600, introduit par les marchands vénitiens. Les premières réactions des autorités religieuses occidentales sont similaires à celles de l’Islam. On conseille au pape Clément VIII d'interdire le café car il représente une menace d'infidèles. Mais celui-ci, après avoir goûté la boisson, déclare que laisser aux seuls «infidèles» le plaisir de cette boisson serait dommage. Le café est très vite prisé des moines pour les mêmes raisons qu'il l'est des imams: il permet de veiller longtemps et de garder l'esprit clair. Vers 1650, le café commence à être régulièrement importé et consommé en Angleterre, et des locaux spécialisés ouvrent un peu partout. Les cafés deviennent, par la suite, des lieux où les idées libérales naissent, de par leur fréquentation par des philosophes et lettrés. En 1670, ces mêmes lieux naissent à Berlin; puis il est le tour de Paris, de Vienne et, vers 1730, presque toutes les principales villes d’Europe possèdent leurs propres cafés. Compte tenu de l’intérêt économique croissant du café, les puissances européennes de l’époque hasardent des tentatives pour l’installation de l’arbuste dans leurs colonies. Les Anglais font une tentative à Ceylan, mais, comme les plantations sont ravagées par des maladies, elles sont remplacées par le thé ; ce sera la fortune de l’île.
Les Hollandais se dirigent vers l’Indonésie et les Français vers les colonies de l’Amérique du Sud (Martinique, Saint-Domingue, etc.). Quant au Portugais, la colonie choisie est le Brésil; aujourd’hui, ce pays est parmi les plus grands producteurs de café au monde4. Au cours du XVIIIème siècle l’usage de la boisson se popularise en Europe et au siècle suivant la demande en Europe était souvent supérieure à l'offre et a stimulé l'usage de divers substituts au goût proche, comme, par exemple, la racine de la chicorée. De nos jours, le café est une constante de notre vie au quotidien.
En ce qui concerne la consommation de café, les Valdôtains ont suivi les habitudes européennes; la chaude boisson noire s’est imposée sans aucun problème chez-nous. Le succès de la boisson fut tel que vers la fin du XVIIIème siècle quelqu’un étudia la possibilité d’effectuer la culture de l’arbuste sur nos coteaux ensoleillés de la Basse Vallée d’Aoste. Une «prise d’état ou inventaire» dressé en 1784, concernant des granges, situées à Arnad et appartenant aux barons de Vallaise5, abrite une petite surprise. L’inventaire se rapporte aux biens ruraux des nombreuses granges que les barons avaient dans diverses localités d’Arnad. La description est très précise; elle touche les biens ruraux (prés, champs, vignes en treilles, etc., y compris le nombre et la typologie des diverses plantes existant6), les domiciles et les meubles. De cette façon le cadre général ainsi que l’état des granges est complet et détaillé. Or, il arrive que, au cours de la description des «biens dépendants du château d‘Arnaz appartenant à Monsieur le Baron Humbert Antoine, baron Vallaise», parmi tous les autres biens ordinaires, dans le «jardin sous le château» qui «se trouve clos à chaque coté et en très bon état» il existe aussi «vingt deux vases de terre, l’un d’iceux caffé»7. (A.H.R., Fonds Vallaise, volume 36, XIX, document 46; détail du passage portant la mention du café).
Comme au même endroit, il y avait aussi, «trois gros poiriers, trois autres en espalier, un abricotier et deux douzaines de meuriers en pépinière qui seront transplantés dans les autres bien où il en manque», il est vraisemblable que cette pièce était, en quelque sorte, une espèce de laboratoire pour l’expérimentation de nouvelles cultures ou, encore, de techniques agronomiques à l’avant-garde. Il ne s’agit, évidemment, que d’une simple hypothèse; d’ailleurs, il est à croire que des tentatives d’implanter l’arbuste en Europe ont été, sans aucun doute, faites. Dans ce contexte, il n’est pas invraisemblable que même chez-nous et, en l’occurence, dans cette zone de la Basse Vallée d’Aoste, quelque entrepreneur plus habile que les autres ait hasardé la propagation de la culture du café. D'autre part, l’olivier qui, pourtant, est plutôt l’apanage des régions plus chaudes prospérait aussi au même endroit. Le même inventaire rapporte que dans la «vigne de l’olive», sise «sous l’allé qui communique du grand Château à cellui de la Costetta» et consistant «en six treilles, très bien garnie en bois et en seppes» a, encore, un olivier8. Quoi qu’il en soit, il est évident que la culture de l’arbuste du café n’a pas eu un grand succès.
1 «Les caféiers sont des arbustes des régions tropicales du genre coffea de la famille des Rubiacées. Les espèces coffea arabica (historiquement la plus anciennement cultivée) et coffea conephora (ou caféier robusta), sont celles qui servent à la préparation de la boisson. D'autres espèces du genre Coffea ont été testées à cette fin ou sont encore localement utilisées, mais n'ont jamais connu de grande diffusion. Les caféiers sont des arbustes à feuilles persistantes et opposées, qui apprécient généralement un certain ombrage (ce sont à l'origine plutôt des espèces de sous-bois). Ils produisent des fruits charnus, rouges, violets, ou jaunes, appelés cerises de café, à deux noyaux contenant chacun un grain de café (la cerise de café est l'exemple d'une drupe polysperme). Lorsqu'on dépulpe une cerise, on trouve le grain de café enfermé dans une coque semi-rigide transparente à l'aspect parcheminé correspondant à la paroi du noyau. Une fois dégagé, le grain de café vert est encore entouré d'une peau argentée adhérente correspondant au tégument de la graine. Coffea arabica, qui produit un café fin et aromatique, nécessite un climat plus frais que Coffea canephora (robusta), qui donne une boisson riche en caféine. La culture de l'arabica plus délicate et moins productive est donc plutôt réservée à des terres de montagne, alors que celle du robusta s'accommode de terrains de plaine avec des rendements plus élevés. Le plant mère de la plupart des plants d'arabica du monde est conservé au Hortus botanicus d'Amsterdam. Bien qu'il soit techniquement possible de produire des variétés de café génétiquement modifiés, contenant un gène de toxicité aux insectes ou produisant un grain sans caféine, aucune n’est commercialisée, pour l’instant. La seule expérience de plantation en plein champ organisée par le CIRAD en Guyane française a été détruite par des militants anti-OGM»
Cf. www.wikipedia.org
2 La légende la plus répandue veut qu'un berger d'Abyssinie (actuelle Éthiopie), Kaldi, ait remarqué l'effet tonifiant de cet arbuste sur les chèvres qui en avaient consommé. Cf. www.wikipedia.org
3 Il s’agirait d’une certain Léonard Rauwolf, que décrit ainsi le breuvage : « une boisson aussi noire que l'encre, utile contre de nombreux maux, en particulier les maux d'estomac. Ses consommateurs en prennent le matin, sans se dissimuler, dans une coupe en porcelaine qui passe de l'un à l'autre et où chacun prend une rasade sonore. Elle est composée d'eau et du fruit d'un arbuste appelé bunnu ». Cf. www,wikipedia.org
4 Aujourd’hui, les principales régions productrices de café sont l'Amérique du Sud, le Viêt-Nam, le Kenya, etc. Hawaï a une petite production de café de grande qualité et de prix élevé, mais parmi les nombreuses variétés développées, le café le plus cher et le plus fameux est désormais le Bourbon pointu (cultivé dans l'île française de La Réunion), ce qui s'explique par sa rareté et le caractère endémique des plants requis pour la culture. Chaque paquet est vendu environ 459 euros le kilogramme, c'est trois fois plus que le Blue Mountain provenant de la Jamaïque. Cf. www,wikipedia.org
5 Archives Historiques Régionales d’Aoste, Fonds Vallaise, volume 36, XIX, document 46; 1784, 18 juin. Prise d’Etat ou inventaire de ce qui a été remis au sieur Joseph Antoine Dunuc et Jean Baptiste Ansermé, fermiers d’Arnà ; les granges sont : la Grange d’Echallod, la Grange de Purney, la Grange de la Glairi, La Grange de Barmes, la Grange dite de l’Hôtel, la Grange appelée Rovarey, ainsi que les biens du château de la Ville « de son excellence », les biens dépendants du château d‘Arnaz et, finalement, les biens indivis entre les deux seigneurs.
6 Les plantes avaient un intérêt économique tout à fait remarquable; les granges d’Arnad étaient parsemées des arbres suivant : châtaigniers, noyers, pommiers, poiriers, cerisiers, figuiers, mûriers. Tous étaient soigneusement comptés, l’un après l’autre, et pour chacun d’eux les experts en spécifiaient la valeur. Parmi les autres, dont le produit était essentiellement constitué par les fruits, le châtaignier et le noyer avaient une double attitude. Le premier, que les experts distinguent entre greffé et non greffé, avait une fonction capitale pour la viticulture, car il était de son bois que l’on tirait le nécessaire pour constituer les treilles. Le fruit, à son tour, était l’un des piliers de l’alimentation campagnarde. Le noyer était, par contre la base principale pour la construction des meubles. Le transformation du fruit assurait l’absorption des graisses végétales.
7 Archives Historiques Régionales d’Aoste, Fonds Vallaise, volume 36, XIX, document 46
8 Ibidem