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Prises de vue
Devenir acteurs et réalisateurs
de cinéma en même temps a favorisé
tous les élèves d’une classe
d’école primaire, dans leur intégration
et leur connaissance réciproque.
Quand l’année scolaire 2006/07 démarre, l’école primaire de Charvensod Chef-Lieu se compose de trois classes, dont deux sont regroupées ; elles comptent au total 36 élèves, dont quelques-uns sont autrement capables et plusieurs présentent, comme il arrive souvent dans nos classes, des besoins éducatifs spéciaux. En analysant le contexte, au début de l’année, les enseignants croient nécessaire de réaliser un projet annuel de dramatisation théâtrale visant toutes les classes, utilisant le français pour véhiculer les contenus. Grâce à l’aide de l’experte francophone de cinéma, Karinne Pont, les enseignants élaborent un projet de cours de cinéma ayant pour but
la réalisation d’un film. Le sujet de ce film (La bataille des reines ) est choisi par les enseignants en tenant compte du territoire, des intérêts des enfants et d’un évènement
spécifique qui va se dérouler en octobre 2007 : Le cinquantième anniversaire de l’Association régionale Amis des Batailles des reines, privilégiant la langue orale et l’expression spontanée pour valoriser les individualités de chacun.
Quoi faire
Les activités relatives à l’interprétation ont un rôle puissant et cathartique. Elles permettent d’exprimer toute une gamme d’émotions et de sentiments et cette décharge émotionnelle est libératrice. L’expression artistique est pour tous les enfants, et particulièrement pour ceux qui présentent de petites ou grandes difficultés, une occasion de se sentir valorisés et reconnus, une opportunité d’affirmer leurs spécificités et leur identité dans une atmosphère de respect et d’écoute. Par ailleurs, il faut souligner que, vu la diffusion de l’image et des médias auprès des jeunes, il est fondamental d’initier les enfants au langage audiovisuel et à ses codes, afin d’en faire des usagers avertis.
Ils deviendront ensuite créateurs actifs, apprenant à utiliser le langage et l’écriture cinématographiques, à construire une scène et, enfin, à se servir d’une caméra de manière professionnelle.
S’ajoute au projet un intérêt d’approfondissement linguistique puisque, pendant les activités, l’experte et les enseignants utilisent la langue française.
La réalisation
Exercices de warm-up et d’entraînement au métier d’acteur de cinéma - L’étape initiale et principale, qui occupe une grande partie du projet, se compose d’une série d’exercices ludiques qui tendent à épanouir les différents pouvoirs d’expression de la personne. Ils permettent de libérer la créativité de l’individu et enrichissent son jeu d’acteur.
Généralement, on démarre par une prise de conscience du corps et du souffle, par la décontraction, les visualisations créatrices, l’expression corporelle, vocale et émotionnelle ; puis, il y a des exercices de diction et d’articulation pour aboutir, enfin, à des exercices qui soudent le groupe et créent un climat de confiance et de solidarité.
Il s’agit d’activités qui sont reprises et réutilisées tout au long du projet.
Distribution des scénarios, répartition des scènes et distribution des rôles - à partir de plusieurs scénarios de films différents, on extrait les scènes qui intéressent ; ensuite, les élèves sont divisés en plusieurs petits groupes qui les étudient et les analysent.
Chacun donne son point de vue et sa compréhension personnelle de la scène, des personnages, des liens entre les personnages, des enjeux, des thèmes abordés par l’histoire. C’est à cet instant-là qu’ils partagent les idées et les émotions suscitées par la lecture.
Interprétation des scènes choisies et répétitions - Voilà le moment magique de la création du personnage, où on s’investit le plus et où on va définir sa personnalité, ses différents états d’âme et sentiments, sa voix, sa façon de parler, sa silhouette, son aspect, sa démarche, ses motivations. Et, juste après, on crée les actions, les gestes, les déplacements, les attitudes, les expressions, les intonations à l’intérieur des scènes.
Filmage des scènes et initiation au langage cinématographique - La séquence didactique débute par l’explication du filmage, pour passer plus tard à l’initiation au langage cinématographique et au découpage technique. On regarde les scènes filmées, on écoute les commentaires, on distribue ensuite les nouvelles scènes et les nouveaux rôles, pour arriver, enfin, à l’interprétation des scènes choisies et à leur répétition, afin d’obtenir le résultat souhaité.
Initiation à l’écriture du découpage technique - Et voici le moment de l’activité collective du découpage technique des scènes interprétées précédemment : on choisit le plan de chaque scène (gros plan, plan d’ensemble, plan de taille, etc.), un angle de prise de vue (plongée, frontal, etc.), un mouvement de caméra (fixe, panoramique, travelling, etc.). Finalement, on décrit précisément l’action des personnages à l’intérieur du plan et son contenu sonore (citation des dialogues contenus).
Les prises de vue
Initiation au cadrage et à la prise de vue - Il s’agit, avant tout, d’apprendre aux élèves à composer une image et, par la suite, on travaille sur des considérations techniques : apprendre à se servir de la caméra et du pied de la caméra, à régler sa mise au point et son diaphragme, à réaliser un mouvement de caméra correct.
Tournage des scènes de la part des élèves, vision finale et commentaires - Après avoir écrit le découpage technique, on passe à l’étape du tournage des plans. Les élèves filment eux-mêmes les scènes interprétées par leurs camarades : ils deviennent ainsi, à la fois, acteurs et metteurs en scène. Suivront la vision du produit final et les commentaires.
L’évaluation
Puisqu’il s’agit d’une activité motivante, capable de mobiliser un tas de ressources, la participation a été active. Tous les élèves ont été profondément impliqués dans le projet, parfois au-delà même de leurs limites physiques ou d’apprentissage.
Par exemple L., trisomique, a toujours beaucoup aimé les exercices proposés, en se concentrant surtout sur ce que les autres faisaient. Il n’était pas gêné du regard des autres, qui le cherchaient et l’aidaient à devenir partie intégrante du groupe. Il y avait quand même des activités trop bruyantes pour lui, auxquelles il décidait de ne pas participer : il y intervenait seulement aidé par un adulte. L. a aussi réalisé des dessins sur les reines dans le cadre de l’initiation à l’écriture. Toujours dans le cadre de cette activité, un enfant qui présentait des problèmes de relation a pu produire des dessins et de petites histoires en utilisant sa langue maternelle et le français.
Ce projet a sûrement atteint tous les objectifs fixés au début de l’année.
Maintenant - Les enfants de l’école se connaissent de façon plus approfondie et interagissent entre eux spontanément. Les grands aident et respectent les petits et les petits cherchent la compagnie et l’attention des grands. C’est le climat de la classe qui a changé. Avoir eu l’occasion de s’exprimer librement en utilisant les instruments les plus adéquats a permis, vers la fin du projet, notamment aux élèves en difficulté, de participer aux activités avec curiosité, voire enthousiasme, et de se lancer dans l’expression corporelle et dans la production orale de façon sereine, sans craindre le regard des autres, dans un climat de non-jugement et de respect des différences.
L’insertion des enfants en difficulté a été maximale ; chacun a acquis une plus grande confiance en lui-même et dans ses propres capacités et a été reconnu par les autres en tant qu’individu et partie intégrante du groupe. L. attendait avec enthousiasme le moment du projet et a participé aux activités cherchant la compagnie et l’aide de ses camarades qui, à leur tour, le sollicitaient. L’enfant présentant des difficultés de relation a pu s’exprimer de façon sereine, sans avoir peur du jugement des autres, ce qui a permis une plus grande cohésion entre lui et ses camarades et, encore, l’utilisation de codes alternatifs, tels que le dessin, la parole, le mouvement, a stimulé deux enfants dyslexiques à participer activement à l’élaboration de l’histoire sans hésiter à se rapporter à la langue écrite. Et justement, ce manque de soucis a permis à la plupart des enfants d’être à l’aise avec le français. Bien sûr, le cas échéant, ils se faisaient aider dans la compréhension des mots, mais employaient la langue sans se soucier de commettre des fautes de prononciation, de grammaire ou d’orthographe. Ils n’étaient même pas obligés d’utiliser une langue spécifique, mais pouvaient choisir celle qui leur convenait le plus.
Enfin - Le projet a permis à tout le monde de s’initier à l’interprétation et à la réalisation cinématographiques, faisant l’expérience directe de toutes les phases nécessaires pour réaliser un film, à partir du travail sur soi-même jusqu’au tournage réel des différentes scènes. Une prise de conscience dont on a découvert les mécanismes les plus secrets à petits pas.
Patrizia Bérard
Nicole Bianquin
Institutrices I.S. C.M.Mont Emilius 3
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