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Cahier de Voyage

À travers l’autobiographie chaque élève a pu réfléchir sur son vécu personnel et sur celui
de ses camarades de classe, s’émouvoir devant les mots en liberté, donc s’enrichir.

Dans une des lettres circulaires que j’étais en train de lire dans la conciergerie de mon école, j’ai un jour saisi la possibilité de récupérer un très beau travail que mes élèves avaient réalisé l’année précédente avec ma collègue de Disciplines plastiques, Franca Bordon, qui consistait à travailler sur l’autoportrait avec des modifications de la tête toute entière, en soulignant, cachant, accentuant quelques éléments. La lettre circulaire en question proposait un stage de formation pour travailler sur l’autobiographie écrite grâce notamment aux langages visuels, entre autres autoportraits, vidéos, affiches.

Le stage

Du coup, je me suis retrouvée à Aix-en-Provence au sein d’un groupe d’écriture autobiographique composé par des professeurs de Langue française valdôtains et français.
J’ai bien écouté ce que Frédérique, l’animatrice, nous a expliqué et, quand elle nous a proposé d’écrire notre autobiographie, en français par surcroît, j’ai levé la main et j’ai dit : « Excusez-moi, mais apparemment je me suis trompée de groupe car je n’écris pas, je suis artiste ».
« Très bien, on a besoin de toi » a été la réponse de Frédérique.
« Mais j’écris mal et, surtout, j’ai du mal à écrire en français », ai-je encore ajouté.
« Tu écris comme tu sais, sinon ce n’est plus une autobiographie » a-t-elle riposté.

En route

J’ai beaucoup aimé l’expérience, et puis Frédérique nous a donné au cours de l’atelier de nombreuses techniques pour écrire et pour faire écrire les jeunes sur eux-mêmes ; par conséquent, une fois rentrée à Aoste, j’ai proposé le même atelier à mes élèves pour compléter l’expérience sur l’autoportrait de l’année précédente.
« Avec toi ? » m’ont-ils tout de suite demandé.

La question était normale parce que, pour eux, j’étais prof de Géométrie descriptive.
« Oui, parce que j’ai suivi des cours d’écriture autobiographique à Aix-en-Provence où l’animatrice m’a appris à écrire de la même façon que nous dessinons ; c’est-à-dire, sans règles rigides et répétitives, mais avec de simples méthodes qui permettent d’ouvrir le cœur et de laisser sortir les mots en liberté, comme faire un geste avec son stylo et noircir son papier avec des phrases-signes ou encore lier les phrases, tout comme on lie les signes pour camper un dessin fini ».
« Ça nous plait », a été la réponse, et nous nous sommes alors retrouvés à écrire tous ensemble pendant une journée entière. Pour commencer, je leur ai lu quelques mots tirés des autobiographies de Isabel Allende, Yukio Mishima, Georges Perec et Roland Barthes ; j’ai lu également l’extrait Oui tiré de Quelques-uns de Camille Laurens et un passage tiré de Il dolore perfetto de Ugo Riccarelli, où les mots d’un enfant parviennent à sauver une femme en couches. Ensuite, en silence, nous avons commencé à écrire comme on respire, « à inspirer des mots par la lecture et à en expirer par l’écriture » (Frédérique). J’ai proposé d’écrire de courts textes sur des souvenirs de notre enfance et d’aujourd’hui.
« Ma io scrivo male ! » a dit quelqu'un et, devant ma réponse : « Tu écris comme tu sais sinon ce n’est pas une autobiographie », tout le monde s’est décontracté. Après environ une heure, chacun à tour de rôle a lu son récit. Les autres devaient imaginer un prénom pour le personnage dont ils venaient d’écouter l’histoire, l’écrire sur un bout de papier et le donner à la personne qui avait lu.
Les extraits des autobiographies des élèves que l’on trouve ici précèdent ou suivent d’autres passages autobiographiques qui n’ont pas été mentionnés pour des raisons de place.

Un voyage émouvant

Lire, c’était, en effet, le passage le plus difficile : certains ont pleuré, d’autres ont interrompu la lecture parce qu’ils avaient envie de pleurer en silence et d’autres encore ont pleuré en lisant les bouts de papiers qui leur étaient arrivés. Tout comme à Aix-en-Provence, avec les adultes !
Mais entendre se lever la voix qui lit les mots et leur donne l’unique et véritable sens qu’ils possèdent, c’est aussi un plaisir subtil, un grand cadeau.
Les jours suivants, les élèves m’ont montré des vidéos qu’ils étaient en train de terminer avec le professeur Massimo Sacchetti, réalisées avec un montage de photos qui racontaient leur vie, depuis leur naissance jusqu’à aujourd’hui ; les photos étaient reliées entre elles par de courts énoncés, des dessins, de la musique, bref tout ce qui fait partie de leur monde.
C’était encore un autre moyen de se raconter aux autres et c’était aussi l’assemblage de tous les langages que l’Institut d’art met à la disposition de ses élèves : verbal, visuel, cinématographique, plastique.

Devant le public

Pour les Journées de la Francophonie, nous avons réalisé une petite performance pour présenter nos travaux aux familles et aux amis lors d’une soirée sur invitation. Les spectacles ont tous été très émouvants, les adultes ont eu la possibilité de découvrir le grand cœur des ados et leur grande envie de partager leurs émotions.
Le public attendait assis en silence dans le noir et, au bout de quelques minutes, une porte s’est ouverte et les élèves sont entrés une lampe à la main pour faire un peu de lumière ; l’écran s’est allumé et les images sont apparues. Les élèves ont posé leur lampe et se sont assis sous l’écran pour rappeler qu’ils n’étaient pas seulement de simples images, mais aussi des corps à part entière, avec du sang et un cœur, et qu’ils étaient là, qu’ils étaient le présent.
Aller vers soi-même et évoquer ses rencontres avec l’autre c’est ce que permet l’écriture autobiographique. Il suffit de commencer, doucement, en lisant-inspirant et en racontant-expirant, ados et adultes ensemble, en songeant que nous avons tous nos petites difficultés d’existence.

Marisa Dellea
Professeur à l'Institut d'art d'Aoste

 

 

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