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Portfolio des enseignants et compétence professionnelle

La professionnalisation de l'enseignement fait appel à la réflexion des enseignants sur leur identité professionnelle (Connelly et Clandinin, 1999; Shulman, 1998).
La compétence de l'enseignant dans le domaine de l'enseignement et de l'apprentissage contribue à le définir comme professionnel de l'enseignement. Avec les contraintes de la pratique quotidienne, il est peu incité à autoapprécier le développement de sa compétence. Comment l'aider à faire une réflexion de cette nature et à se situer par rapport à son cheminement professionnel ? C'est en voulant atteindre ce but que, dans le cadre d'un programme universitaire de deuxième cycle en intervention éducative, nous avons offert une activité intitulée Portfolio et compétence professionnelle (1).
La conception du portfolio retenue peut être résumée ainsi : une production structurée présentant une sélection des éléments significatifs du cheminement professionnel de l'enseignant et nécessitant une réflexion intense et une activité d'écriture. Le portfolio est ainsi considéré comme une expérience personnelle, un processus de réflexion sur ses apprentissages, de connaissance de soi, de définition de sa professionnalité, de contrôle délibéré de son parcours dans la profession.
Il constitue un portrait clair de l'enseignant, une preuve de ce qu'il est devenu au fil de ses expériences. Nous avons aussi emprunté à Shulman (1998) l'idée que le portfolio est essentiellement un acte de théorisation par lequel l'auteur prend conscience de son cadre de référence, le structure, l'exprime oralement et par écrit.
Dans ce texte, après avoir mentionné brièvement les bases conceptuelles qui soutiennent l'activité portfolio et présenté les objectifs poursuivis, nous exposons la pratique mise en place. Nous terminons par les témoignages des enseignants sur l'impact du portfolio.

BASES CONCEPTUELLES ET OBJECTIFS DU PORTFOLIO

Le portfolio a été présenté à la fois comme un processus de réflexion et un produit de cette réflexion (Lévesque et Boisvert, 2001), c'est-à-dire une production comprenant le texte écrit par l'enseignant ou l'éducateur mais aussi d'autres composantes diversifiées qui témoignent de son cheminement professionnel. L'activité portfolio a été abordée à la lumière des principaux concepts qui fondent sa pratique : la professionnalisation et la professionnalité (Lessard, 2000; Bourdoncle, 1993), les savoirs des enseignants (Altet, 1996; Portelance, 2000) et la rationalité de l'acteur (Tardif et Gauthier, 1996; Fenstermacher et Richardson, 1994), la compétence professionnelle (Gouvernement du Québec, 2001) et l'intégration des savoirs théoriques et pratiques (Grossman et Richert, 1988), la pratique réflexive et l'autorégulation (Perrenoud, 2001).
La pratique du portfolio s'articule autour d'objectifs établis en cohérence avec les assises théoriques qui soutiennent la conception du portfolio retenue. Ainsi, l'enseignant ou l'éducateur se trouve engagé, en collaboration avec d'autres professionnels de l'enseignement, dans une activité de formation continue qui devrait lui permettre de :
- se sensibiliser à l'importance de prendre en charge son développement professionnel par un processus de réflexion sur ses compétences ;
- comprendre et s'approprier des concepts sur lesquels est fondée la pratique du portfolio professionnel ;
- prendre conscience de la transformation graduelle de son identité professionnelle ;
- expliciter son cheminement de formation et le niveau atteint dans le développement de ses compétences ;
- développer des habiletés d'analyse de ses pratiques professionnelles en intégrant savoirs théoriques et savoirs d'expérience ;
- contribuer au cheminement réflexif de ses pairs.

PRATIQUE DU PORTFOLIO MISE EN PLACE

Pour rendre probable l'atteinte de ces objectifs, il a fallu orienter la démarche des participants et concevoir l'organisation du cours en fonction de celle-ci. Notre perspective est celle du formateur qui guide la réflexion (Portelance et Lévesque, 2003).

Démarche attendue des participants

Le portfolio consiste en l'élaboration progressive et non linéaire de son portrait professionnel, en une réflexion sur le développement de sa compétence professionnelle. Nous avons suggéré cinq angles d'"observation" de sa compétence, personnel, théorique, pratique, culturel et éthique, en précisant que l'interprétation des vocables utilisés pouvait varier et que d'autres angles d'approche pouvaient être choisis. Des participants ont ainsi analysé leur parcours professionnel du point de vue de la communication, de la coopération ou de l'engagement social.
Nous avons établi que l'implication de chacun est alimentée en bonne partie par le bagage de savoirs qu'il accepte de partager. Toutefois, la démarche devait aussi comprendre un acte d'apprentissage, un exercice métacognitif et la participation à la coconstruction de savoirs.
Le portfolio est dans sa nature même un acte d'apprentissage et de changement conceptuel. Dans un processus cognitif et affectif, l'enseignant construit de nouveaux savoirs à partir de ses savoirs d'expérience et théoriques antérieurs (Freidus, 1998). Il établit des liens sémantiques et chronologiques entre les étapes de son parcours personnel et professionnel et il les organise en une structure qui le représente, ce qui l'amène à mieux le comprendre. Selon cette perspective, le portfolio est une activité centrée sur l'apprenant. En plaçant l'enseignant ou l'éducateur en situation de faire des apprentissages, le portfolio peut devenir le déclencheur d'une modification de son rapport à la formation continue. À l'instar de Guibert (1998), nous croyons que pour enseigner le plaisir de lire, d'écrire, de découvrir, d'apprendre, il faut l'avoir rencontré assez récemment afin de se souvenir de cette rencontre, de ses enthousiasmes et de ses difficultés.
Le portfolio nécessite une expérience métacognitive (Freidus, 1998; Behrens, 1999), c'est-à-dire la conscience et le contrôle de son fonctionnement mental. La pratique du portfolio permet au professionnel de mieux se connaître comme apprenant, d'être conscient des apprentissages qu'il fait ainsi que de ses processus d'apprentissage. Elle le conduit aussi à prendre conscience de son cadre de référence et du sens qu'il accorde à la théorie, à exprimer ses conceptions et à s'en servir pour justifier ses pratiques et argumenter le bien-fondé de ses choix. L'exercice du portfolio commande aussi le contrôle du processus de structuration de sa pensée et la régulation consciente du processus d'écriture.
La portée du portfolio sur la croissance personnelle et professionnelle est plus grande lorsque la coconstruction de savoirs émerge des rapports entre les participants (Freidus, 1998) et que, dans un climat d'apports respectifs et complémentaires, les conceptions de l'un sont prises en considération par l'autre. En exprimant leurs savoirs et en entendant leurs collègues exprimer les leurs, les enseignants sont incités à faire des liens entre les savoirs, à coconstruire leur compréhension des assises conceptuelles du portfolio et le sens qu'ils accordent à la réalité scolaire et à leur expérience professionnelle. En identifiant des points communs et des distinctions dans les buts poursuivis, les situations de pratique et les parcours professionnels, en confrontant leurs idées, en remettant en question leurs croyances, ils progressent dans la définition de leur professionnalité individuelle et collective.

Description des tâches

Les tâches des enseignants comprennent entre autres des lectures individuelles de textes portant surtout sur les assises conceptuelles du portfolio. Ces lectures sont suivies de discussions en groupe orientées vers l'approfondissement de leur contenu et l'établissement de liens avec la pratique professionnelle de chacun. Les enseignants sont aussi invités à rédiger régulièrement des fiches réflexives permettant l'alimentation de leur portfolio. La liste de suggestions fournie inclut par exemple le récit d'une expérience significative eu égard à son parcours de formation, le souvenir de ses premiers contacts avec les livres et la lecture, les moments clés de son développement professionnel, sa conception de l'apprentissage et de l'enseignement, sa conception du rôle de l'enseignant et des finalités de l'école, les influences de théoriciens et de praticiens sur son cheminement.
De plus, une partie des rencontres du groupe est consacrée à des échanges verbaux en dyades. Cette structure de fonctionnement a pour but de soutenir la réflexion de l'auteur du portfolio par l'apport critique d'un partenaire, selon l'approche proposée par Richardson et Heckman (1996). D'après l'approche en question, chacun aide l'autre à voir ce qui est à la base de son action, à comprendre son propre raisonnement. Dans le rôle d'"ami critique", poser des questions à un partenaire, en le dirigeant vers des éléments particuliers de son discours, fait émerger un énoncé plus formel du produit de sa réflexion. Cette collaboration étroite favorise la construction conjointe de savoirs.
Finalement, au terme de la pratique du portfolio ainsi mise en place, chaque participant fait une présentation orale de son portfolio à ses pairs. Dans sa présentation, il doit mettre en évidence le processus de réflexion tout autant que la production qui en est le témoin.
Le climat des rencontres du groupe revêt une importance particulière au regard de la démarche attendue de l'enseignant. Voici les principaux paramètres du contexte que nous avons tenté de créer avec les participants. En premier lieu, il faut que s'établisse un climat de confiance et d'ouverture aux autres. Le portfolio représente une activité très personnelle, intime même. Chacun doit se révéler aux autres de la manière la plus transparente possible pour atteindre les objectifs relatifs à l'analyse de son cheminement professionnel. Une telle atmosphère ouvre la porte au partage des questionnements, des incertitudes, des expériences déstabilisantes. En second lieu, des échanges verbaux doivent avoir comme objet la clarification des concepts en vue de développer des habiletés d'analyse qui comprennent l'intégration des savoirs théoriques et des savoirs d'expérience. Clarifier les concepts nécessite des discussions et la négociation du sens que chacun leur accorde, selon ses expériences, ses croyances, ses théories personnelles. En troisième lieu, le contexte des rencontres doit se prêter à la verbalisation de la réflexion et du cheminement de chacun. La structure de fonctionnement dans laquelle alternent travail en dyades et travail en groupe soutient l'expression verbale de la réflexion et la prise de conscience de la transformation graduelle de son identité professionnelle.
Finalement, cette structure sert aussi à créer un milieu propice à la clarification de la pensée et de son énonciation. Lorsqu'un étudiant doit préciser la narration de son parcours à son partenaire critique, lui expliquer ses idées et argumenter pour les défendre, il est en quelque sorte forcé de bien structurer son discours pour se faire comprendre. Cet exercice s'avère très exigeant. Les rétroactions régulières et fréquentes que nous avons fournies à chacun sur sa production écrite ont été essentielles.


TÉMOIGNAGES D'ENSEIGNANTS

Nous avons regroupé en quatre catégories les apports du portfolio mentionnés par les participants. L'activité leur a permis de tracer un bilan d'ordre personnel et professionnel, de modifier ou de renforcer leurs croyances, de vivre une expérience métacognitive et de coconstruire des savoirs ensemble. Le tableau contient les témoignages recueillis.

CONCLUSION

Nous avons présenté les fondements théoriques d'une activité portfolio et sa mise en place, dans un cadre universitaire, avec des enseignants et des éducateurs de milieux diversifiés. Nous croyons qu'avec des objectifs de formation continue semblables et les mêmes assises théoriques, il est possible d'implanter l'activité portfolio au sein d'une équipe-école. Les témoignages des participants que nous avons eu le plaisir d'accompagner tout au long de l'activité nous incitent à prétendre que la démarche attendue, celle de l'apprenant métacognitif qui coconstruit des savoirs avec ses collègues, est porteuse de transformations professionnelles. Le portfolio est un outil dynamique qui évolue avec les objectifs de développement professionnel de son auteur. Pourrait-il en ce sens représenter un moyen incontournable de formation continue ?

Liliane Portelance - Marcienne Lévesque

Notes
(1) En plus des enseignants, le groupe d'étudiants comprenait des éducateurs formateurs dans différents domaines de savoirs. Malgré cela, nous utilisons l'appellation "enseignants" pour désigner toutes ces personnes.

Références
ALTET M. (1996). Les compétences de l'enseignant-professionnel : entre savoirs, schèmes d'action et adaptation, le savoir analyser. In Paquay L., Altet M., Charlier É., Perrenoud P. (dir.) Former des enseignants professionnels, Bruxelles : De Boeck, p. 27-40.
BEHRENS M. (1999). Le portfolio, un moyen d'améliorer le dialogue entre formateur et apprenant, Mesure et évaluation en éducation, 20 (3), p. 55-83.
BOURDONCLE R. (1993). La professionnalisation des enseignants : les limites d'un mythe, Revue française de pédagogie, 105, p. 95-104.
CONNELY E.M., CLANDININ J.D. (1999). Shaping a Professional Identity. New York, Teachers College Press.
FENSTERMACHER G. D., RICHARDSON V. (1994). L'explicitation et la reconstruction des arguments pratiques dans l'enseignement, Cahiers de la recherche en éducation, 1 (1), p. 157-181.
FREIDUS H. (1998). Mentoring portfolio development, In LYONS N. (dir.), With Portfolio in hand. Validating the new teacher professionalism, New York, Teachers College Press, p. 51-68.
GOUVERNEMENT DU QUÉBEC (2001). La formation à l'enseignement. Les orientations. Les compétences professionnelles. Québec, Ministère de l'Éducation.
GROSSMAN, P. L., RICHERT, A. E. (1988). Unacknowledged knowledge growth : a re-examinatin of the influence of teacher education, Teaching and Teacher Education : An International Journal, 4, p. 53-62.
GUIBERT R. (1998). Écriture du mémoire : exercice d'apprentissage de la complexité et de construction identitaire. In CROSS, F. (dir.). Le mémoire professionnel en formation des enseignants. Un processus de construction identitaire., Paris, L'Harmattan, p. 99-128.
LESSARD, C. (2000). Évolution du métier d'enseignant et nouvelle régulation de l'éducation, Recherche et formation, 35, p. 91-116.
LÉVESQUE M., BOISVERT É. (2001). Portfolio et formation à l'enseignement, Montréal, Éditions Logiques.
PERRENOUD P. (2001). Développer la pratique réflexive dans le métier d'enseignant, Paris, ESF.
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SHULMAN L. (1998). " Teachers Portfolios : A Theoritical Activity ", In LYONS N., (dir.), With Porfolio in Hand. Validating the new teacher professionalism, New York, Teachers College Press, p. 23-38.
TARDIF M., GAUTHIER C. (1996). L'enseignant comme "acteur rationnel" : quelle rationalité, quel savoir, quel jugement ? In Paquay L., Altet M., Charlier É., Perrenoud P. (dir.), Former des enseignants professionnels Bruxelles: De Boeck, p. 209-238.

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