L'origine de la bataille des vaches vue comme confrontation de la force physique entre animaux est aussi ancienne que l'implantation de la race noire valdôtaine sur le territoire de la Vallée d'Aoste. Notre race noire particulièrement rustique et adaptée aux milieux montagnards, que les spécialistes classent parmi les races brachycéphales, bovins à crane large et court, serait venue en Vallée d'Aoste dès la période Néolithique.
Cette vache de petite taille avec une hauteur moyenne au garrot de 125 cm, avec ses membres courts et vigoureux et une ossature fine et solide, aurait été apportée par des populations ibériques qui a leur tour l'auraient fait venir de la Vallée du Nil.
De part leur sélection, sans doute nos ancêtres ont encore accentué ses facultés d'adaptation à des milieux difficiles, sa bonne assimilation des fourrages grossiers, son tempérament vif et ses comportements hiérarchisés.
Cet animal en collaboration avec l'homme a modelé notre paysage alpin en traçant des sentiers, en nettoyant nos pâturages, en utilisant les herbes qui poussent dans les éboulis pour engraisser avec leur fumier nos belles prairies de montagne, en somme si nous avons de beaux alpages en grande partie nous le devons a notre affectueuse et belle vache.
En 1858 notre cher poète patoisan l'Abbé Cerlogne de Saint-Nicolas a senti le besoin de décrire une Bataille de reines à Vertosan. Il commence son récit par le départ d'Aoste de grand matin “a l'arba di matin” pour pouvoir être à Breuil de Vertosan a midi et assister au mélange des troupeaux de la combe au lieu dit la Revanna et à la confrontation des trois reines d'alpage pour déterminer la reine de Vertosan.
Centcinquante ans plus tard les préparatifs qui précèdent l'évènement sont toujours les mêmes, on sort ce qu'il y a de meilleur pour le ravitaillement “In pourten apri me: salan, pan blan, fontenna e tsecca de ci cllier que se fi din la tenna”; a Saint Nicolas le poète rencontre les villageois qui se préparent pour aller assister à la bataille “comme cen se fi tseut le ans”, c'était déjà la tradition il y a centcinquant'ans. Les sensations, les odeurs, les bruits et la façon de travailler en alpage que le poète nous décrit sont les mêmes que nous percevons aujourd'hui: le parfum des violettes, le son des clochettes, le sifflement des marmottes et des bergers, l'écho des “bèques” le tout assaissonné d'un accueil chaleureux de la fruitière.
La bataille et la façon de présenter les vaches n'ont absolument pas changé, “a mon tor la deut un berdzé valesan, dze vou tsertsé Fribourg reina de Dzovensan, una vatze s'avance un branlen sa sonnaille”; et la façon de se battre de nos vaches est restée égale à la technique de leur ancetres “L'an corna contre corna e fron contre lo fron, i meiten di s-ipale infonson lo cotson”. Cette façon d'approcher la nature, de traiter notre bétail, de s'enflammer pour la réussite de notre reine est encore tout à fait d'actualité, c'est pour celà que nous voulons maintenir cette tradition telle qu'elle a toujours été, ça nous attache profondément au passé et pour savoir où on veut aller il faut avoir ce sens d'appartenance.
Notre vache certes ne peut pas rivaliser par sa production avec les grandes races laitières, mais elle a été selectionnée pour se suffire à elle- même par rapport a sa production et a ce que la nature lui donne en nourriture; elle fait parfois plus d'une heure de marche pour aller chercher son herbe, nettoie les pentes escarpées pour que l'hiver la neige s'accroche, trace des sentiers que les promeneurs peuvent emprunter aisément, elle a confiance a son maître berger et un esprit d'initiative pour aller chercher, dans les endroits les plus escarpés, l'herbe qu'il lui faut pour la production de son lait.
Le rendement de notre race n'est pas seulement ce qu'elle peut donner en produits laitiers mais aussi qu'elle utilise de l'herbe difficilement atteignable par d'autres races et qui serait par conséquent une ressource perdue. La rénovation des bâtiments agricoles que nous réalisons dans nos alpages, les efforts économiques communs que l'Administration fait avec les exploitants et les éleveurs sont en partie dus à l'amour que nous avons pour notre nature rude et pour notre vache.
Souvent l'entente des grandes familles et des comunautés s'est soudée autour de l'amour pour notre vache qui nous sert pour exploiter les pauvres ressources de la montagne.
Sur le journal le Mont Blanc du 25 mars de 1904 à la page des nouvelles locales on signale a Châtillon une organisation de “lutte des vaches”, maintenant on parlerai de bataille de reines. Après avoir parlé des nouvelles compétitions sportives de part le monde, course automobile, course à byciclettes le correspondant du journal dit que chez-nous “les traditions du moyen-age ayant bravé les oublis du temps” on a conservé l'ambition des reines des vaches.
Un beau document qui nous fait une fois de plus constater l'origine très ancienne de cette coutume d'organiser des rencontres de vaches pour déterminer qui possède dans sa propre étable la meilleure lutteuse; ces reines devaient être les reines d'alpage sans doute, mais l'envie de connaitre la reine de tout le canton poussait les propriètaires a se défier même hors du cadre naturel des alpages.
Le comité organisateur informe les amateurs de la lutte des reines que le lundi de Paques 4 avril a 1 heures de l'après midi (de relevée dit la lettre) se réuniront environ 18 reines de diverses communes et lutteront entre elles pour obtenir le prix de la meilleure lutteuse; pour faire face aux frais et aux indemnités on a ètabli un droit d'entrée de 5o centimes de lire. En bas de la publication la rédaction du journal déclare:” Nous avons publié cet article par devoir d'impartialité, mais nous tenons à déclarer que nous regrettons de voir les Chatillonneins s'engager dans une gare où les sentiments de l'humanité et de civilation sont froissés”.
Malgré le désaccord de la Rédaction du journal a ce genre de maniféstation, le Mont Blanc publie, dans le numéro successif, l'article envoyé par un chatillonnein qui informe que la bataille a eu lieu sans inconvénients, rapporte les noms de quelques propriétaires- agriculteurs, à savoir le Chevalier André d'Hérin, les Aymonod, les Vittaz, les Noussan, les Sarteur, les Yacchi; la reine du jour a été celle de M. Yacchi Baptiste de Châtillon qui a gagné en finale à la reine de Vittaz Cyrénéen toujours de Châtillon.
Le troisième témoignage d'une bataille de reine que nous connaissons à nos jours c'est la description d'un concours organisé par les frères Sarteur dans leur verger grand de 10.000 mètres carrés a Châtillon un jour de foire du moi de mai de l'année 1924.
Sans commentaire voici quelques passages de la description de cette bataille faite par Jules Brocherel: “ Vers quatorze heures, un pittoresque cortège se dénoue du bourg de Chaméran et parcourt, musique en tête, la rue principale de Châtillon: ce sont les athlètes à quatre jambes, les concurrentes du tournois des cornes, qui s'acheminent vers l'arène où aura lieu tantôt la olympiade des vaches.... Tandis que le public prend place autour de l'enclos fermé par une corde tirée sur des pieux, le jury procède rapidement au tirage au sort des couples de bêtes qui doivent se battre ensemble. Les gagnantes de la première manche se mesureront ensuite entr'elles, jusqu'à ce que, par une séries d'épreuves éliminatoires, on sélectionne les deux animaux les plus forts, qui devront jouter le macht final.... La tactique principale de la lutte consiste à faire reculer l'adversaire, par un déploiement de force pour ainsi dire statique, en arcboutant les quatre jambes, écartées légèrement pour donner plus de base au corps. Si les deux lutteuses, en se tenant par les cornes, restent sur la même ligne, il y a chances que la plus robuste réussisse à pousser en arrière la rivale et à la battre. Mais souvent, la force brute doit succomber devant l'agilité et la ruse... Ce sont deux bêtes au pelage noir qui entrent en lice pour le macht final. Ce sont deux superbes lutteuses de race, solidements plantées sur leurs jambes bien musclées, épaules massives, cornes puissantes tête intélligente, pleine de vivacité. L'une est complètement noire, avec des reflets bleuâtres, sauf les cornes qui sont blanches; l'autre est tachetée de blanc sur le front, aux épaules, sous le ventre, le long des jambes antérieures. On dirait qu'elles savent que des milliers d'yeux les regardent anxieusement, et elles font une exibition en règle selon le rituel de la lutte des vaches. Avant de croiser les cornes, elles s'excitent en se regardant dans le blanc des yeux,en courbant la tête de travers, en arrachant des pieds et lançant en l'air des poignées de terre, et en poussant des sourds bleuglements de défi. Enfin, les voici à un mètre l'une de l'autre, comme lancées par un ressort, elles bondissent tête contre tête, à se briser le crane”.
Je ne ferai pas de commentaire sur l'affrontement des vaches qui est resté inchangé, mais je voudrais vous faire remarquer la qualité de l'école valdôtaine à former ses élèves à employer notre langue de jadis: le français.
L'histoire écrite des batailles de reines s'arrète pendant 23 ans, car le régime fasciste depuis 1926 interdit toutes maniféstations régionales et, comme tant d'autres activités, elles doivent se faire en cachette, le pleuple valdôtain avec ses moeurs est devenu un hors- la- loi chez lui.
La libération du régime du 25 avril 1945 rétablit les droits des peuples et, après une période difficile de règlements de comptes et de mise en place d'un nouveau régime démocratique, les activités de la vie communautaire valdôtaine reprennent lentement et on organise une bataille de reines le 15 mai 1947, jour de l'Ascention, au stade Puchoz de la ville d'Aoste.
Les chroniques de l'époque parlent de plus de quatre mille spectateurs qui, dès 2 heures de l'après-midi, avaient rempli les gradins du stade pour assister à la bataille, curieux de connaître la première reine de la région d'après guerre; un comité de connaisseurs de vaches était en place pour organiser et surveiller le bon déroulement de la manifestation et la présence du Président du Gouvernement Régional Severino Caveri donnait encore plus de prestige à la rencontre.
A la fin de l'après-midi, au terme d'une epoustouflante journée de combats, la finale se jouera entre Alpina de Baptiste (Bateitin) Chuc de Porossan et Regina de Louis Démé de Brissogne, cette dernière décrochera le titre de Reine régionale du printemps 1947; reine de l'automne de la meme année, toujours au stade Puchoz, sortira Charmente de Emile Porliod de Quart qui en finale aura le dessus sur Lion de Louis Lucianaz de Charvensod.
Le déroulement des batailles subira une halte en 1949, car l'Administration communale d'Aoste refusera aux organisateurs des batailles la disponibilité du stade, et par conséquant, faute d'un terrain disponible pour le bon déroulement de la manifestation, le comité se voit obligé d'annuler le concours.
Après le concours de printemps de 1950 a Chaméran de Châtillon, le comité organisateur arrète son activité, mais les batailles continuent à être organisées par des comités locaux et nous assistons tour à tour aux batailles de Nus, de Brissogne, de Saint-Christophe, de Châtillon et d'autres encore d'après l'initiative personnelle ou communale des éleveurs locaux.
L'année 1957 voit naître une reprise des batailles un peu partout en Vallée d'Aoste, souvent les batailles se déroulent en différents endroits le même dimanche, parfois organisées avec des règlements différents, voire contradictoires. Suite a cette situation précaire on s'impose de se retrouver autour d'une table et de remettre de l'ordre dans l'activité par la création d'un comité régional approuvé et soutenu par le Gouvernement.
Dimanche 4 mars 1958 a 15 heures un groupe d'éleveurs s'est réuni dans une salle de l'Association des agriculteurs, place Arc d'Auguste, pour former un Comité Régional de Bataille de Reines, se donner un statut et un règlement et coordonner l'activité des batailles de reines en Vallée d'Aoste. L' assemblée était composée de l'Assesseur au tourisme Mauro Bordon de Nus, du secrétaire Pino Albaney et de vingt éleveurs: (je répète les noms tels qu'ils sont écrits sur le premier procès verbal) Marcello Chuc, Emilio Dunoyer et Gioacchino Bus d'Aoste, Casimiro Lugon, Emilio Porliod et Pietro Berriat de Quart, Ernesto Chevrier et Carlino Abram de Saint-Christophe, Lino Brun de Charvensod, Calisto Damé de Gignod, Adriano Ansermin de Valpelline, Emilio Fiou et Maurizio Volget de Brissogne, Leo Borroz et Alessandro Tillier de Saint-Marcel, Celestino Piccot de Fénis, Felicino Chabloz et Giuseppe Henchoz de Nus, Luca Lombard de Verrayes, Enrico Barrel de Torgnon. L'Assemblée procède a l'élection d'un Conseil de Direction et sont élus: Président Marcello Chuc, Vice-Président Felicino Chabloz, membres du Conseil de Direction Alessandro Tillier, Celestino Piccot, Maurizio Volget, Pio Artaz et Eugenio Viglino, ces deux derniers ont étés élus n'étant même pas présents a l'Assemblée.
L'Assemblée établit un calendrier pour l'année 1958 à savoir trois concours de printemps, Saint-Marcel, Fénis et Charvensod; quatre concours de l'automne, Valgrisenche, Brissogne, Saint-Christophe et Châtillon; et la Finale Régionale dont l'organisation est confiée au comité de Nus.
La Finale Régionale se déroulera, comme prévu, à Nus et sortiront reines Allegra de Paul Limonet de Quart en 1ere catégorie, Quadron de Aldo Brunod de Brissogne en 2ème catégorie et Taccon de Pierre Chevrier de Quart en 3ème.
Les finales régionales se dérouleront selon un calendrier établi par le Comité Régional, en 1958 à Nus, en 1959 à Saint-Christophe, en 1960 à Fénis, en 1961 à Charvensod, en 1962 à Aoste où il y a maintenent le cours d'Ivrée, en 1963 à Aoste région Borgnalle, et depuis 1964 à Aoste à la Croix Noire. Jusqu'en 1985 la Finale se déroulera dans le pré de la Croix Noire et à partir de 1986 le Comité Régional va pouvoir disposer de l'arène construite spécialement pour les maniféstation des batailles de reines.
Le nombre de vaches classées à la Finale va augmenter aussi au fil des années, les premières éditions accueillaient 70 vaches , puis elles sont passées a cent concurentes, ensuite 150 reines dans les années quatrevingt, pour arriver à la fin des années nonante à classer au combat final 200 vaches. La répartition des lutteuses par catégorie d'après leur poids à la Finale Régionale a varié aussi de beaucoup. En 1958 nous avons commencé avec la catégorie intermédiaire qui allait de 420 à 470 Kg, puis dans les annèes soissante de 450 à 500 kg., ensuite de 470 à 520 kg dans la décénnie des années septante, dans les années quatre vingt le poids était de 500 à 550, maintenant la catégorie intermédiaire va de 550 à 600 kg.
Les comités locaux admis a l'Association Régionale étaient en 1958 au nombre de huit, ensuite en 1969 ils sont passés à treize, en 1972 a vingt, en 1988 ils sont déjà au nombre de 25, à la fin des années nonante les comités locaux sont 30 et, depuis 2001, l'Assemblée est composée de 64 membres qui représentent 32 comités locaux.
En 1982, pour des raisons bureaucratiques, le Comité Régional a été dissous et remplacé le 1er juillet de la même annèe par l'encore actuelle Association Régionale des Amis des Batailles de Reines.
Le 1er juillet 1982 les éleveurs Agostino Mochettaz de Aoste, Ovando Vallet de Gignod, Vincenzo Viérin de Pollein, Gabriele Viérin de Gressan, Elviro Bionaz de Saint-Christophe, Bruno Bonichon de Fénis, Sergio Empereur de Sarre, Bernard Clos de Jovençan et Roberto Moussanet de Challand-Saint-Victor, délégués par l'Assemblée Générale à représenter les éleveurs de Reines de la Vallée d'Aoste, constituent l'Association Régionale Amis des Batailles de Reines, rédigent un statut et un règlement qui régissent toujours l'activité et l'organisation de la batailles de reines en Vallée d’Aoste.
Pour gérer son activité l'Association dispose actuellement d'un bilan annuel de 400.000= Euro, accueille aux éliminatoires 600 éleveurs qui inscrivent aux combats environ 3.500 vaches et représentent 73 communes de la Vallée d'Aoste.