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Franglais
Un projet d'éducation
bi/plurilingue et de didactique intégrée des langues
L'école moyenne de Charvensod, ouverte en 1992,
applique depuis longtemps, en ce qui concerne l'enseignement des langues,
l'intégration bi/plurilingue à différents niveaux
et à l'intérieur de projets variés tels que: les
simulations gobales, les tâches de réalité, la créativité,
les "habiletés d'étude", le "franglais".
Ou bien encore à l'intérieur de la discipline: c'est le
cas de l'enseignement de l'histoire en L2 dans certaines classes. Cela
est sans doute le résultat concret de la formation qu'un groupe
assez considérable de professeurs a transféré dans
la pratique didactique de classe: il s'agit de propositions théoriques
et de suggestions de travail élaborées pendant les cours
de recyclage sur la didactique intégrée des langues organisés
au Val d'Aoste par l'IRRSAE à partir de l'année scolaire
1984 et jusqu'en 1994, ou durant le projet "Disciplines et bilinguisme"
qui a débuté en 1995 (devenu, à présent, "Projeter
l'alternance").
Il faut, en plus, remarquer que, sur 34 enseignants de l'établissement,
quatre professeurs de l'aire linguistique ont eu l'occasion de participer
au projet "Formazione formatori nell'ambito dell'educazione linguistica"
organisé par l'IRRSAE sur trois années. Le but de ce projet
était de former des enseignants pouvant favoriser, dans chaque
établissement scolaire, une gestion autonome, consciente et équilibrée
de l'innovation bilingue (Adaptation 1994), à travers les projets
bilingues, et au moyen de l'emploi véhiculaire de deux ou trois
langues dans l'enseignement disciplinaire. Pendant l'année scolaire
1998/1999, ce même groupe d'enseignants, afin d'impliquer dans cette
pratique d'autres professeurs de langue, a organisé un cours de
recyclage interne sur la didactique intégrée des langues.
Le cours, préparé par l'équipe des quatre professeurs
formés sous la direction de et en collaboration avec Marisa Cavalli,
chargée des orientations théoriques, a donné de bons
résultats. En effet, à partir de cette année scolaire
(1999/2000), le projet d'intégration de L2 et L3 baptisé
par les élèves eux-mêmes "Franglais" et
autrefois réservé aux classes des "enseignants-formateurs"
(profs de L2 et de L3), est considéré une "offre formative"
et fait partie intégrale de son POF pour les trois classes de première.
Pourquoi ce projet "Franglais"?
Ce projet, mis en place à partir de l'année
scolaire 1995/96, a été conçu par deux collègues
de langue (L2 et L3) ayant :
- suivi un même parcours formatif
- pris conscience que l'intégration des enseignements linguistiques
est favorisée par l'origine indo-européenne des trois langues
(Ll, L2, L3) à développement s.v.o. (sujet, verbe, c.o.d.)
et du fait que la langue anglaise est franco-latine à 60 %
- adopté le même modèle de réfe'rence pour
le bilinguisme et l'enseignement / apprentissage des langues
partageant :
- une sorte de "feeling" méthodologique
désirant :
- expérimenter une nouvelle approche didactique dans l'enseignement
des langues
- maintenir, améliorer leurs connaissances, leur pratique et leur
exercice des deux langues.
Quels objectifs pour ce projet ?
Le projet qui a connu des évolutions au cours des
années d'application, vise les objectifs suivants. Pour les élèves.
Objectifs cognitifs:
• créer une ambiance plurilingue motivante
• employer une langue connue, le français (emploi véhiculaire)
pour en approcher une inconnue, l'anglais
• mettre en place des situations sécurisantes de co-apprentissage
et de recherche continue où :
• l'alternance est sollicitée / encouragée
• l'erreur n'est pas sanctionnée et l'interlangue est accueillie
comme phase du parcours
• l'élève est le vrai acteur de son parcours cognitif
• éviter l'ennui de la répétition et la surcharge
cognitive
• favoriser / solliciter la flexibilité dans l'emploi des
deux codes et dans le transfert de compétences, habiletés
et connaissances
• stimuler / sensibiliser à l'ouverture vers d'autres réalités
/ cultures
• prendre conscience des connaissances / compétences dont
on dispose (métacognition) et les renforcer
• prendre conscience du fait que
la langue véhicule la culture de référence
• développer la capacité de faire des inférences
• développer l'acquisition de stratégies et de techniques
• sensibiliser aux réflexions métalinguistiques et
aux fonctions linguistiques en situation. Objectifs linguistiques
:
• enrichissement lexical
• acquisition de langages spécifiques
• sensibilisation aux emprunts linguistiques
• soin / perfectionnement des aspects phonétiques et de l'orthographe
• développement de l'expression orale.
Pour les professeurs :
Les professeurs aussi en tirent un grand profit.
Ils peuvent en effet viser :
• un développement systématique et intégre
du curriculum de l'aire linguistique (cohérence, efficacité,
économie)
• un partage et une intégration d'objectifs cognitifs et
linguistiques à l'intérieur de séquences d'apprentissage
communes
• un transfert de stratégies et d'acquisitions de type linguistique
et pragmatique d'une langue à l'autre (=>curriculum "allégé")
• une planification plus ponctuelle et des critères d'évaluation
mieux partagés
• la création d'espaces / moments d'utilisation des langues
de façon fonctionnelle aux situations communicatives, aux destinataires,
aux buts de la communication (valorisation de l'alternance)
• un espace privilégié pour mettre en place des activités
de réflexion métalinguistique (non décontextualisée)
par le biais de la didactique de l'analogie ou l'analyse comparative /
contrastive des trois langues
• un développement d'objectifs non seulement disciplinaires
mais aussi de compétences / habiletés transversales
• une collaboration et un partage de connaissances / compétences
à tout niveau.
Il ne faut pas pour autant nier que cela demande un engagement plus fort
et une attitude nouvelle vis-à-vis de l'enseignement. Le professeur
doit en effet avoir envie de se mettre en jeu face aux élèves
en sachant qu'il ne joue plus le rôle de celui qui connaît
tout, dirige / gère l'interaction à tout moment.
Il devient co-apprenant au même titre que ses élèves,
ce qui déclenche des modifications en ce qui concerne :
- son rôle
- la représentation qu'il a de ce que signifie enseigner / apprendre
une langue
- sa représentation de ce qu'est être un élève
bi/plurilingue
- la représentation qu'il a de ses connaissances / compétences
linguistiques
- sa représentation du cumculum qu'il doit aborder.
Comment le projet s'articule-t-il
?
Contrat didactique
On présente le projet aux élèves et on leur précise
les objectifs et les contraintes auxquelles il faudra se tenir.
La langue française sera la langue véhiculaire employée
en classe :
- pour aborder l'anglais
- pour toutes sortes de communication
- pour expliciter les consignes des activités (surtout au début
et là où cela est nécessaire )
- pour reformuler ce qui est présenté, découvert,
appris.
L'italien n'interviendra que dans des cas particuliers d'obstacle, de
manque linguistique, d'impasse éventuelle ou en présence
d'élèves qui doivent être scolarisés en L1,L2
et L3.
Phase d'analyse des besoins
L'articulation du projet, les contenus thématiques et linguistiques,
les concepts à renforcer / développer sont établis
après avoir fait une analyse préalable des caractéristiques
de la classe, au niveau de :
- ses connaissances et ses compétences de base
- sa motivation / disponibilité à apprendre
- ses intérêts généraux
- ses capacités de réflexion, de concentration, d'organisation
- ses capacités d'analyse et de réutilisation
- son savoir-être (attitudes / comportements)
- ses attentes.
Phase de sensibilisation
Après avoir établi le parcours, les contenus et les modalités,
on fait ressortir les représentations que les élèves
ont de l'apprentissage d'une langue et en particulier leurs attitudes
envers la "nouveauté" (l'anglais) et le "déjà
connu" (le français).
Après quoi, on fait émerger tout ce que les élèves
connaissent déjà de L3 en partant de leur vécu pour
les amener à :
- prendre conscience des domaines où ces mots généralement
connus / employés interviennent davantage
- formuler des hypothèses sur cette fréquence
- remarquer des ressemblances et des différences entre les deux
codes (voisinage des langues).
Quelle démarche ?
Généralement
le parcours, quel qu'il soit, vise le développement des quatre
habiletés de base (compréhensions orale et écrite,
expressions orale et écrite) et des compétences transversales
telles que : savoir se repérer / s'organiser / se documenter /
se servir d'outils
(ex. le dictionnaire) / chercher des solutions / être flexible...
Cette année, par exemple, comme les élèves des classes
de première montrent de nombreuses difficultés dans la reconnaissance,
le respect et l'application assistée et autonome de règles
morpho-syntaxiques, de grammaire et d'orthographe, le projet a démarré
avec des jeux de langue de type :
- alphabet qui parle
- anacycles
- anagrammes
- acrostiches
- mots-croisés
- faux-amis /false friends
- devinettes
-slogans publicitaires.....
Cela pour leur faire comprendre que pour bien maîtriser et utiliser
n'importe quelle langue, il faut respecter à l'oral comme à
l'écrit, des règles.
On a également travaillé sur l'acquisition flexible de l'alphabet
en français et en anglais, sur la capacité à épeler
un mot indifféremment en L2 et L3, à chercher un mot inconnu
dans le dictionnaire (français / anglais), à reconnaître
les aspects phonétiques fondamentaux des deux langues et quelques
aspects de l'orthographe d'usage. Ensuite, d'habitude, en classe de première,
on passe à la présentation et la description de soi-même
et d'autrui dans les deux langues, prenant appui sur le travail déjà
fait en français à l'école élémentaire.
Il s'agit donc, en ce qui concerne L2, d'enrichir le vocabulaire et d'apprendre
des structures linguistiques plus complexes et variées indispensables
pour s'exprimer correctement dans ce type de texte. Pour ce faire, en
outre, on met souvent en scène des jeux de rôle, profitant,
quand cela est possible, de la présence d'intervenants / observateurs
externes francophones ou anglophones pour créer des situations
privilégiées de bi/plurilinguisme et d'alternance des langues.
Mis en situation, les élèves sont à même de
se présenter, de présenter un copain/ami, de se décrire
(aspect physique plus caractère) / décrire quelqu'un et
d'accueillir un étranger. Les autres sujets normalement abordés
en première sont :
- la famille
- l'école et son organisation (emploi du temps, cantine...) en
Italie, en France, en Angleterre et en Amérique
- les loisirs.
Dans les classes suivantes (2ème et 3ème),
le travail passe de l'analyse du fonctionnement des deux codes et de la
réflexion métalinguistique qui en dérive à
l'étude de quelques aspects des civilisations française
et anglaise (parfois en comparaison avec la civilisation américaine)
toujours en partant de la réalité des élèves.
Voici ci-dessous quelques exemples en vrac :
- la cuisine typique et les habitudes alimentaires des deux pays
- les typologies architecturales des maisons, des monuments les plus représentatifs
- les sports nationaux ou les sports les plus pratiqués;
- la musique et ses différentes expressions
- les contes / les légendes (pour faire ressortir les croyances,
les attitudes....)
- les fêtes / manifestations nationales / popoulaires
- les pays francophones / anglophones dans le monde (leur distribution,
le rôle des deux langues dans ces pays, les raisons de leur présence
ou co-présence)
- quelques périodes de l'histoire1.
Ces sujets représentent une approche intégrée à
la civilisation d'autres pays et, en même temps, un prétexte
pour aborder de façon contextualisée les différentes
typologies textuelles et pour viser les objectifs cognitifs transversaux
suivants :
- savoir construire un texte cohérent en employant correctement
les articulateurs / mots de liaison (cohérence logique et chronologique)
- savoir faire une synthèse / rédiger un résumé
en repérant dans un texte lu / entendu les idées / concepts-clés.
- savoir (surtout à l'oral) exprimer son opinion, son accord ou
désaccord.
Pour que les élèves aient envie de s'engager dans de telles
activités, les professeurs doivent, autant que possible, trouver
ou construire du matériel "alléchant" qui permette
d'aborder de façon stimulante les sujets : des B.D., des jeux,
des textes, des énigmes, des problèmes, des enquêtes,
des documents authentiques.
Il s'agit également de préparer des activités variées
en utilisant des agencements différents de la classe :
- en travail individuel
- en groupe
- en équipes adversaires
- en couple
avec ou sans l'aide :
- du prof
- d'outils
- de partenaires extérieurs
et qui prévoient des exercices de type :
- reconnaissance / identification
- découverte
- problem solving
- repérage
- appariement / comparaison
- complètement
- créativité/production
- conceptualisation
- réutilisation assistée / autonome.
Quand et comment évaluer
?
Au cours des premières années d'expérimentation
de cette pratique d'enseignement, une attention assez remarquable était
consacrée au produit auquel le projet devait aboutir. Ce n'est
plus l'attitude d'aujourd'hui : la programmation / planification et l'évaluation
(faite en cours de route et à la fin de chaque séquence
de découverte / apprentissage) ont comme objectif premier le processus
/ parcours et visent à en rendre conscients ses acteurs principaux
: les élèves. Ces derniers savent que, s'il n'y a pas de
note spécifique pour ce projet, chaque professeur prend note des
résultats des tests et en tient compte au même titre que
ses évaluations disciplinaires pour formuler le jugement global
dans le bulletin scolaire.
A la fin de l'année, en outre, les élèves remplissent
un questionnaire ouvert d'évaluation du projet où il leur
est demandé de s'exprimer à propos de :
- ce qu'ils ont le plus apprécié
- ce qu'ils ont le moins aimé
- ce qu'ils auraient voulu développer (contenus + typologies d'activités)
- ce qu'ils ont découvert
- ce qu'ils voudraient comme suivi
- quel est leur vécu du projet.
C'est un outil fort utile et pour les élèves (pour retracer
le parcours fait), et pour les enseignants pour établir un bilan
et réorganiser, (re)programmer le suivi du projet.
Quels gains?
L'expérience est tout à fait positive. Les
élèves participent activement, dans un climat de collaboration
qui les voit s'entraider et s'accepter l'un l'autre et s'impliquer davantage.
Très vite ils acquièrent une flexibilité et une aisance
remarquables dans l'utilisation des deux langues, dans le transfert de
compétences et de connaissances, dans l'acquisition / réorganisation
/ systématisation des concepts abordés et appris. Ils passent,
en effet, tranquillement d'un code à l'autre selon le contexte,
la situation de communication, la tâche, l'envie, la disponibilité,
les connaissances / compétences acquises, les difficultés
rencontrées, le répertoire linguistique de référence,
le déclencheur mettant en jeu des situations / moments de macro/micro-alternance
discursive. Il va sans dire que, de plus, tout cela crée une forte
remotivation envers le français : les élèves se découvrent,
en effet, compétents en L2 et prennent conscience que connaître
et maîtriser plusieurs langues représente une chance et une
richesse formidables. Ils comprennent, en particulier, que la langue française
peut constituer un instrument facilitant l'apprentissage de l'anglais.
Et, pour conclure, ils arrivent à mieux systématiser, organiser,
s'approprier, fixer ce qu'ils connaissent et savent faire en L2 (ex. retombée
au niveau de la réflexion métalinguistique induite par la
comparaison). Tous ces résultats et notre vécu en classe
nous poussent à poursuivre notre engagement dans cette orientation
et à conseiller à nos collègues de l'expérimenter
à leur tour.
Cinzia Sciacqua
Professeur de langue française à l'école
moyenne de Charvensod. Formateur dans l'aire de l'éducation bi/plurilingue
Notes
1 Exemple : Projet "Le Moyen Age" "The Scottish Castles"
présenté dans "Pensare in più lingue"
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