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Sac
à dos
La page de la revue pour les
lecteurs qui aiment la surprise. Nous vous proposons un conte insolite,
curieux et émouvant écrit par une jeune étudiante.
Encore une fois, une valdôtaine a participé au Prix International
"Jeunes auteurs" d'incitation à l'écriture.
Son texte a été remarqué par le Jury en 1999.
Juin 78 apr. J.-C.
Il était jeune et curieux ; il était presque
un homme. En ce temps-là, pour l'anniversaire d'un jeune aristocrate,
il n'y avait rien de plus beau qu'un long voyage à travers la mer
pour rejoindre le berceau de la philosophie, le génie de l'art,
le royaume de l'austérité ancienne, la Grèce. C'est
le lieu auquel le jeune homme, d'une intelligence vive et d'un esprit
généreux, songeait depuis son enfance, et grâce à
son père, riche et bien connu, il réalisa ses rêves.
Le voyage dura longtemps, et dans l'âme impatiente de l'adolescent
encore plus, mais il employa chaque moment à se faire raconter
par son précepteur les merveilles qu'il allait finalement voir
de ses propres yeux. Le grand jour arriva : devant lui, ce nouveau monde
prospère et splendide ; sur la côte, il voyait les mouvements
des nombreux marchands et des commerces hétéroclites, mais
la route pour la ville était encore longue et fatigante. Ce nouvel
obstacle fut bientôt surmonté quand, après une demi-journée
de chemin sous un soleil brûlant, il aperçut les remparts.
En quelques minutes, il était déjà au cœur de
la ville : tout autour de lui les constructions en marbre coloré,
majestueuses, vivaient dans cette atmosphère gaie, animée
par la chaleur de la foule et par une forte odeur de poisson frais et
de fruits inconnus, dans le désordre d'un idiome nouveau et les
touches de couleur des fleurs qu'on entrevoyait à peine à
travers les portes des maisons...
Dans les établissement publics la même vivacité riante
qui encadrait les bavardages du peuple comme les discours philosophiques,
une joie colorée qu'on trouvait seulement là, où
Apollon avait combattu, au centre du monde, à Delphes.
Les semaines passèrent. La ville était née au pied
d'une montagne pas différente des autres : c'est là que,
un des derniers jours, le précepteur amena le jeune homme. En parcourant
la rue sacrée vers le temple, il lui révéla qu'il
allait, à travers l'oracle, entrer en communication avec le dieu
du soleil. Quelle joie pour lui, et avec quelle ardeur il se purifia dans
l'eau de la montagne et fit les sacrifices rituels d'animaux. Bientôt
vint le moment d'écrire sur une tablette sa question au dieu :
tout simplement, il demanda son futur. Il fut emmené dans un lieu
sombre où il entrevoyait une femme assise sur un trépied.
De la fumée remplissait l'air et s'insinuait dans ses yeux. Mais,
aux pieds de la femme, il voyait clairement illuminée par une lumière
d'origine inconnue, la pierre célèbre dans tout l'Empire,
dans son étrange clarté, le Nombril du monde, la stèle
posée par les Dieux. Il était là, poussé par
son destin, il le sentait. Autour de lui, des ombres dansaient éphémères
comme la lueur qui filtrait. Une lumière de midi? Il ne savait
pas le dire : le temps n'y était plus... D'un coup, la femme commença
à hurler : cris, grincements, mots sans aucun sens. Elle était
probablement folle : il percevait ses yeux à travers la fumée,
trop ouverts, trop voyants.
Elle voyait tout, même le futur dans tous ses aspects. Il est normal
qu'elle fût devenue folle.
Elle n'était plus jeune, mais il n'était pas sûr qu'autrefois
elle l'eût été. Dans ses yeux, une flamme brûlait,
des mouvements convulsifs, une peur éternelle. Elle sifflait drôlement
et gesticulait, agitée.
Les prêtres autour d'elle se regardèrent : décodées
les paroles de la prophétesse, ils allaient se retrouver pour décider
la sentence. Accompagné au-dehors, le jeune homme attendit beaucoup.
Assis dans la poussière, il regardait le désordre autour
de lui et, pour la première fois, il imagina le destin de aucun
des hommes qu'il voyait et il pensa que les dieux s'étaient bien
amusés à écrire l'histoire de chacun, même
si elles étaient presque toutes, à la fin, monotones et
sans un but précis.
Enfin, la réponse arriva : c'était un vieux prêtre,
plus ancien et à l'air encore plus solennel et mystérieux
que les autres. Il déclara :
Le divin Apollon sourit à ton futur et te dit
que si tu le pries tous les jours à midi
de ton image on se souviendra pour longtemps,
toujours elle émouvra, rappelée clairement
encore plus que celle de l'Auguste empereur et
à travers les siècles elle survivra dans les coeurs.
Le jeune homme à ce moment-là aurait voulu n'avoir jamais
douté de l'oracle : un futur si stupéfiant ne pouvait pas
n'apporter aucun changement dans sa vie. Il serait devenu plus important
que le Grand Empereur, le "Princeps" juste et bien-aimé...
Mais le jeune homme gardait quand même sa modestie et son esprit
bon. Il ne raconta rien au précepteur, et pendant quelques jours
il resta pensif, méditant sur la sentence, sur le futur, sur sa
vie. Bientôt, ce fut le retour. Tous remarquèrent la joie
de vivre qu'il avait acquise : maintenant, dans ses yeux, on lisait le
véritable espoir. Il commença à étudier beaucoup,
avec la fougue de la jeunesse, tout ce qu'on pouvait savoir sur les institutions
de l'Empire, la vie qu'on devait passer à Rome dans le faste du
palais impérial. Il se lança de toute sa force dans la vie
intellectuelle, sociale et politique de la petite colonie du sud, tout
en se rappelant chaque jour les prières au soleil.
Les jours passaient, et il montait tranquille dans l'échelle des
pouvoirs de sa ville natale, en entrevoyant derrière elle la magnifique
"Urbem" en toute sa splendeur. Il contribuait pour tous ses
moyens à la prospérité des commerces et de l'agriculture
de la ville en restant un jeune homme calme, juste, gai. Il n'avait parlé
à personne de l'oracle.
Un jour trop comme les autres le soleil commençait à brûler
dans l'air. Le jeune homme le regarda et courut au temple d'Apollon, seul.
Là commença le rite quotidien : il brûla les herbes
parfumées et il offrit au dieu de la fumée de viande cuite.
Il s'assit et commença ses prières. C'est alors que, ayant
jeté un coup d'œil à la fenêtre, il vit arriver
le noir, s'accumuler sur sa ville, dans le ciel. Ses prières se
firent rapides, tumultueuses, le soleil était désormais
recouvert de cette ombre. Dans le forum à quelques pas de là,
les gens couraient dans tous les sens, épouvantés. Mais
le jeune resta dans le temple, priant, sûr qu'Apollon l'aurait sauvé
l'aurait fait devenir presque un dieu comme lui. Son image aurait traversé
les siècles... Noir. Les siècles. Bruits tumultueux. Les
siècles. Hurlements de gens. Les siècles. Le ciel brillait,
brûlait, les cendres volaient en rafales. Les siècles. Une
paroi s'écroula.
Juin 1998 apr. J. - C. Musée de Pompei Un calque de plâtre
semble endormi. Sa figure, parfaitement intacte, montre un visage d'ange.
Marina Monzeglio
16 ans, Lycée Classique d'Aoste
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