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A.L.I.C.E.
un chemin vers l'innovation éducative
Une
recherche-action qui veut être un soutien à l'autonomie didactique
en vue de la construction d'un curriculum porteur d'unité et de
cohérence : principes valables pour tous les degrés d'école.
Dans
le but de " soutenir l'école maternelle dans le processus
de transformation des modèles organisationnels et curriculaires
liés à l'introduction de l'autonomie scolaire " sur
tout le territoire national, le Ministère de l'Instruction Publique
a lancé le projet A.l.i.c.e. (Autonomie : Laboratoire pour l'Innovation
des Contextes Educatifs). Il s'agit d'un itinéraire de formation
en service, articulé sur trois ans, qui prévoit quatre domaines
spécifiques de recherche : le curriculum, l'organisation didactique,
les compétences professionnelles des enseignants et les contextes
de vie de l'enfant.
A chaque région a été confié un des quatre thèmes. Les écoles valdôtaines qui ont volontairement adhéré au projet (Cogne, Fénis, St.Vincent-Moron, Challant-St-Anselme, Gres-soney) ont travaillé sur le curriculum, associées au Piémont.
A.l.i.c.e. s'est donc réalisée chez nous comme une recherche-action
dans des écoles qui avaient déjà normalement planifié
leurs activités en début d'année scolaire 1999/2000.
Elles n'ont donc rien dû rajouter à leur organisation didactique,
mais elles ont bien voulu conduire une réflexion sur ce que curriculum
voulait signifier pour elles-mêmes et surtout pour les enfants.
Mme Anne-Marie Ragot les a aidées dans cette réflexion.
Le compte rendu de cette première année d'expérience
sera prochainement diffusé à travers un " Premier document
d'étape". A l'occasion de cet atelier1, je veux
simplement anticiper certains points forts de la réflexion qui
a été conduite.
Je ne peux pas m'attarder ici à rappeler les différents
volets du curriculum : ce que le maître doit faire (selon les orientations
ou les programmes) ; ce qu'il pense pouvoir faire dans sa classe (son
projet d'enseignement) ; ce que l'enfant fait effectivement (le parcours
d'apprentissage qu'il conduit).
Je ne m'attarderai pas non plus sur la distinction entre curriculum explicite
et curriculum implicite. En ce moment où la " verticalisation"
est d'extrême actualité, j'essaierai de proposer une exposition
de principes pouvant être valables, toute proportion gardée,
pour les différents degrés, au moins en ce qui concerne
l'école de base.
La partie la plus intéressante de la recherche et la plus actuelle
aussi a concerné le curriculum de l'élève. Pour ce
dernier, le curriculum explicite repose sur la prise de conscience de
ce qu'il fait à l'école et sur la manière dont il
le fait. Cela suppose, de la part de l'enseignant, une explicitation claire
de ce qu'il va lui proposer, mais cela suppose surtout une forte prise
en compte de ses apports. Expliciter et permettre la prise de conscience
des raisons et des buts d'une action veut dire assumer une attitude méthodologique
de fond qui facilite l'activité de représentation mentale
de l'élève.
Les écoles qui ont participé à A.L.I.C.E. avaient
fait des choix différents du point de vue didactique : un travail
par projets ou par ateliers avait surtout été adopté
et des personnages fantastiques qui jouaient le rôle de "sfondo
integratore"étaient aussi présents.
Et alors en quoi consiste le fait d'envisager le curriculum de l'élève
en mettant l'accent sur le travail en atelier ?
Qu'est-ce qu'envisager le curriculum de l'élève en mettant
l'accent sur le travail par projets ?
Il existe des formes différentes d'approche et de développement
du curriculum ; mais quelle que soit la méthodologie utilisée
il faut être particulièrement sensible au travail de représentation
mentale que l'enfant développe, facilité en cela par la
constante élaboration ou réélaboration langagière
des expériences conduites.
L'école enfantine a sans aucun doute ses spécificités.
Elle n'est pas soumise à des programmes ou à des contenus
disciplinaires contraignants. Mais, en tant que première école,
elle a la lourde responsabilité de donner un sens, un but à
toute activité d'apprentissage, d'intéresser l'enfant à
l'apprentissage et de lui donner les outils nécessaires pour apprendre.
La définition pédagogique du curriculum consiste donc à
dire, en premier lieu, que l'élève et le maître doivent
prendre conscience de façon explicite de l'unité et de la
cohérence des activités proposées ; elle consiste
donc à transformer la succession des différentes activités
en histoire personnelle significative, en histoire commune, en histoire
de classe.
UNITÉ et COHÉRENCE. Que veut dire apprentissage cohérent ?
Dans la pédagogie par objectifs, cohérent voulait
dire programmé à l'avance, découpé à
l'avance par l'enseignant suivant un certain ordre : ordre cohérent
bien sûr selon la logique de ce qu'il devait transmettre. Or si
la cohérence existait pour l'enseignant qui maîtrisait l'activité
ou la discipline, l'élève avait souvent du mal à
la saisir et à se la représenter. Cohérent veut dire
avant tout aujourd'hui, après les apports des théories cognitivistes,
qu'une même cohérence doit exister pour l'enseignant et pour
l'élève, afin de pouvoir se représenter toujours,
l'un et l'autre, le travail nécessaire pour progresser dans l'apprentissage
; et cette représentation doit essentiellement guider l'enseignant
pour relancer à chaque fois l'action didactique, à partir
de ce que les élèves apportent ; donc c'est cohérent
(et c'est rigoureux), mais ce n'est pas pré-programmé une
fois pour toutes et de la même façon pour tout le monde.
(Dans l'apprentissage programmé, la succession des acquis est chez
l'élève analogue à celle des enseignements qu'on
lui donne).
L'idée de cohérence est donc une idée d'interactivité
entre celui qui apprend et celui qui enseigne.
L'autre idée forte est celle d'unité. Donner de l'unité
c'est permettre à l'élève de faire des liens entre
ce qu'il connaît déjà, ce qu'il projette de faire,
ce qu'il prévoit comme résultats, ce qu'il réalise,
seul ou avec l'aide des autres camarades et/ou de l'enseignant.
C'est donc dans l'exercice même de l'activité cognitive
de l'élève que les projets, les ateliers, lo "
sfondo integratore " interviennent comme porteurs d'unité
et de cohérence, et activité cognitive signifie comprendre,
réfléchir, échanger, se mettre d'accord, généraliser,
formuler, conceptualiser, etc.
Ce qui change fortement dans ce type d'organisation didactique c'est la
nature du travail demandé à l'élève. On ne
se place absolument pas dans un modèle de question/réponse
ou de consigne à exécuter. Pour élaborer les différentes
phases d'un projet, pour élaborer une activité suite à
une requête du personnage fantastique, pour s'organiser à
l'intérieur d'un atelier, il ne faut pas essayer de trouver la
réponse " juste ", mais il faut en construire une, originale,
et pour ce faire il faut entamer un travail de recherche, de questionnement,
d'hypothèses, d'essais, de vérification.
Les élèves sont mis en situation de résolution
de problèmes, c'est-à-dire d'activité globale et
cohérente.
Ils acquièrent des connaissances bien sûr, des savoirs, des savoir-faire aussi. Mais ils acquièrent en même temps des stratégies et des compétences méthodologiques très importantes : comment faut-il travailler face à une question à laquelle on ne sait pas répondre tout de suite ?
La compétence de production demande une autre compétence,
celle du travail mental : une compétence cognitive comme compétence
transversale qui peut devenir unique pour de nombreux savoir-faire. A
l'école enfantine on commence à acquérir la capacité
à apprendre. Et les enfants acquièrent du langage aussi.
L'orga-nisation même d'une situation complexe leur permet de con-struire
le sens de ce qu'ils feront et de ce qu'ils entendront. Chez l'enfant
ce lien s'instaure automatiquement avec la langue maternelle ; quand il
traite une situation nouvelle, quand il analyse l'information que le contexte
lui apporte, quand il regarde, il cherche, il trie, il se dit intérieurement
tout cela en langue maternelle. D'ailleurs chez l'adulte aussi les représentations
construites dans des situations nouvelles sont toujours des représentations
langagières et dans chaque individu tout le travail de représentation
se passe dans la langue intérieure.
Or il faut être conscient qu'il est fort difficile que l'enfant
passe spontanément à la langue seconde. Il y a là
un premier exemple de microalternance : laissons travailler l'enfant
avec les outils langagiers qui lui sont propres et installons la langue
quand l'action est faite et représentée. C'est pour cela
qu'il a besoin de beaucoup de paraphrases, c'est-à-dire d'énoncés
variés et alternatifs pour l'aider à produire son point
de vue. S'il faut tout simplement qu'il répète une phrase
ou qu'il ajuste une phrase à une situation, alors cela ne pourra
jamais adhérer au travail qu'il fait.
On peut penser que plus on va avoir de variétés de langues
et d'énoncés plus l'enfant va se perdre ; au contraire,
cette situation invite à saisir ce qu'il y a de semblable et cela
facilite la concentration sur le concept. Il faut que le travail de représentation
et d'analyse de la situation que l'enfant fait spontanément en
L1 soit fait parallèlement par l'institutrice en L2. Pendant qu'ils
font ce travail de représentation de leur activité en langue
maternelle, les petits ont besoin d'en recevoir le commentaire en langue
française ; tout simplement ils ont besoin que l'enseignante leur
donne des mots pour penser dans l'autre langue.
Les enfants peuvent vivre des situations ; ils ne peuvent pas se les représenter
sans avoir des mots. Soit en L1, soit en L2, si l'enfant ne reçoit
pas de mots de la part de l'adulte il risque d'agir toujours à
l'identique, de développer seulement des automatismes ; comme il
n'a pas de variétés de représentation dans sa pensée,
il va développer une espèce de stéréotypie
des gestes. Par contre, plus l'enfant va recevoir de langage varié,
plus on va le voir inventer, au niveau de ses actions, des variantes,
des choses nouvelles et créatives.
Il faut accepter de passer à travers une langue qui est approximative,
en cours de construction, et faire crédit à l'enfant qu'il
est en train d'élaborer des connaissances et qu'il le fait avec
des mots ; il faut lui faire comprendre que l'institutrice est là
pour lui apporter l'aide dont il a besoin.
A l'école maternelle, le travail de l'enseignante bilingue doit
être davantage centré sur les stratégies de construction
de la langue chez l'enfant que sur la langue elle-même.
Voilà quelques-unes des idées fortes destinées
à caractériser toute réflexion sur le curriculum.
Elles sont revenues à plusieurs reprises pendant les rencontres
de Mme Ragot avec les enseignantes des classes concernées par la
recherche, les collaboratrices didactiques et les institutrices qui ont
participé au cours de formation " Elaboration conceptuelle
et compétences linguistiques ". Il y en a bien d'autres. Pour
l'instant j'ai privilégié celles qui devraient caractériser
le " curriculum vécu " chaque jour en classe. Pour les
autres je renvoie au document précédemment mentionné
qui sera diffusé prochainement.
Rita Decime
Inspectrice technique à la retraite.
Au cours de sa carrière elle a été institutrice à
l'école élémentaire, Directrice didactique de l'école
maternelle, Inspectrice technique et Surintendante des Ecoles.
Elle a collaboré à la création de la méthode
" Valentine et les autres " et à la " Recherche
sur l'école maternelle bilingue en Vallée d'Aoste ".
Elle a publié des articles, notamment dans les revues: Lidil, Enfance, et Le français dans le monde.
Note
1 Atelier " Dimensione linguistica "
réalisé le 05/09/2000 à Saint-Vincent lors du Convegno
" L'Autonomia prende il largo "
Bibliographie
A. ARGENTON - L. MESSINA, Concettualizzazione e istruzione, Ed. Il
Mulino - Bologna, 1990
E. DAMIANO, Insegnare con i concetti. Un modello didattico tra scienza
e insegnamento, SEI Torino, 1994
C. PONTECORVO, Manuale di psicologia dell'educazione, Ed. Il Mulino -
Bologna, 1999
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