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Pistes de réflexion pour
développer, à lécole,
les compétences de tous les élèves
Pour développer ses compétences,
lélève doit être en mesure de mobiliser des ressources internes
et externes de manière intégrée.
Depuis les années 80, la notion de compétence
a envahi, à léchelle internationale, le monde de lentreprise ;
entrée à lécole via les formations de type professionnel dabord,
elle gagne aussi le terrain de lenseignement obligatoire dans ses
formes générales. En Belgique par exemple, un texte législatif très important,
le décret définissant les missions prioritaires de lenseignement
fondamental et de lenseignement secondaire et organisant les structures
propres à les atteindre, publié au Moniteur belge le 24 juillet 1997,
met le développement des compétences au cur de son propos.
Les éléments-clés
dune définition des compétences
Les écrits sur les compétences
sont nombreux, chaque auteur y allant de sa définition, un peu différente
de celle du voisin comme il se doit... Des caractéristiques communes se
détachent assurément ; par contre, il nest pas toujours aisé
dappréhender lintérêt des traits distinctifs, ni de clarifier
les différences avec des concepts antérieurs ou voisins.
Je vous propose une définition reprenant les éléments les plus communément
admis par la communauté internationale, assortis de quelques commentaires
qui en soulignent la portée et annoncent les conséquences méthodologiques
qui en seront dégagées.
Une compétence, cest " la capacité à mobiliser de manière
intégrée des ressources internes (savoirs, savoir-faire, attitudes) et
externes (collègue ou condisciple, personne de référence, documentation...)
pour faire face à une famille de situations ".
Le premier trait distinctif de la compétence est son caractère opératoire :
la compétence permet laction, une action située qui tire précisément
sa pertinence de son adéquation au contexte.
Cette action (la performance) extériorise la compétence, inobservable
comme telle, exprimée dans la définition retenue par le terme " capacité
à " ; je le préfère aux termes " aptitude "
(définition du Décret-missions belge) ou " disposition à "
(Weinert, 1999) qui comportent une connotation innéiste (comme dans la
vision chomskienne de la compétence linguistique, 1955).
Par contre, certains auteurs décrivent la compétence comme un existant
de caractère intégré : Allal (2000) parle de réseau, Gillet (1991),
Tardif (1992) de système, dautres encore densemble (Raynal
et Rieunier, 1997 ; Roegiers, 1997)... susceptible dêtre mis
en uvre ou mobilisé.
Ce choix nest pas neutre ; il reflète deux orientations explicatives
du fonctionnement cognitif, lune postulant lexistence dune
métacompétence, parfois appelée en intelligence artificielle, moteur dinférence
ou processeur activant les ressources (" capacité à "...),
lautre, connexionniste, plaidant pour la mise en réseau de ces diverses
ressources (voir Allal, 2000). À ma connaissance, les données de la recherche
ne sont pas suffisantes pour trancher.
Dans une perspective méthodologique, on retiendra pour linstant,
et là tous les auteurs sont unanimes, que les ressources mobilisées
par la compétence sont de divers ordres : des savoirs, des
savoir-faire mais aussi des attitudes et quelles sont intégrées
et donc modulées, adaptées, précisées... au service de laction pour
en garantir lefficacité.
Dans le même ordre didées, le verbe mobiliser est choisi
délibérément parce quil met en évidence le rôle dinitiative
et de construction dun sujet-acteur, engagé dans une action
orientée vers un but par opposition à un opérateur-sujet qui, de
manière un peu mécanique, actionnerait procédures et savoirs stockés en
lui, réifiés en quelque sorte. Dans le même sens, Allal (2000) parle daction
finalisée.
La majorité des auteurs font uniquement mention des ressources internes ;
je suggère de faire également une place aux ressources externes :
lindividu compétent nest pas seulement celui qui possède en
lui tous les éléments de réponse mais tout autant celui qui identifie
ce qui lui manque et sait où aller le chercher, qui solliciter...
Enfin, comme le suggérait déjà la distinction compétence-performance évoquée
ci-dessus, si la compétence est spécifique à une situation, elle nest
pas pour autant singulière ; elle permet dagir dans une famille
de situations isomorphes ; elle suppose donc déjà, de facto, une
forme de généralisation.
Compétences, objectifs,
projets
On a parfois limpression
quen pédagogie, un mot chasse lautre au gré des modes sans
que les pratiques en soient pour autant considérablement modifiées.
Le mouvement de lÉducation nouvelle, né dès le début du siècle aux
Etats-Unis (avec J. Dewey) et dans plusieurs pays européens (avec
Claparède, Cousinet, Ferrière, Dottrens, Freinet, Decroly, Montessori...),
a suggéré des modifications radicales au fonctionnement de lécole,
caractérisées par Claparède de " révolution copernicienne " :
adapter laction éducative aux besoins de lélève plutôt que
de plier lélève à laction éducative prévue. Les pédagogies
de projet (Dewey et Freinet par exemple) concrétisent cette volonté. Les
efforts produits pour définir de plus en plus précisément un curriculum
de formation par les objectifs que doivent atteindre les élèves plutôt
que par les contenus que doivent transmettre les enseignants constitue
la facette rationnelle dune préoccupation semblable.
Donner à lécole la mission de développer les compétences des élèves
sinscrit dans la continuité de cette double " révolution " :
les compétences se construisent et se mobilisent, on la vu, au service
dactions finalisées, dans des situations qui ont du sens pour les
élèves, cest-à-dire des projets. Elles définissent des objectifs
essentiels dun cursus de formation auxquels se subordonnent des
acquis plus limités dans leur portée.
Il est vrai que les idéaux des défenseurs dune école active tout
comme les intentions de la " pédagogie par objectifs "
ne se sont pas nécessairement traduits dans des changements de pratiques.
Par ailleurs, cette dernière a souvent dérivé, marquée quelle était
de son origine behavioriste (focalisée sur les comportements observables
chez lélève), vers une fragmentation des acquisitions souhaitées
dont lintégration dans la résolution de situations complexes nétait
pas toujours travaillée comme telle.
Néanmoins, ces enjeux déjà anciens, les initiatives quils ont suscitées,
les erreurs qui ont suggéré des régulations rendent possibles des pas
supplémentaires dans la direction amorcée. Le partage avec les collègues
des expériences de terrain, la réflexion que celles-ci suscitent, constituent
une voie royale pour cerner progressivement les contours de ce que pourrait
devenir une école qui participe au développement des compétences.
Quelles conditions
denseignement-apprentissage aménager pour maximiser les chances
de développer chez tous les élèves des compétences retenues comme essentielles ?
Que les mécanismes à luvre
chez un sujet qui fait face à une action complexe soient loin dêtre
totalement clarifiés, nempêche pas délaborer une théorie de
lenseignement des compétences qui proposerait, à titre dhypothèses
amendables, une médiation culturelle, des outils qui devraient permettre
à lélève de construire des compétences. Ces dispositifs denseignement-apprentissage
fonctionneraient comme zone de développement proche1, externes
dabord puisquaménagées délibérément par les équipes éducatives,
intériorisées ensuite par lélève sil donne du sens aux significations
qui lui sont ainsi offertes. Les contraintes de tels dispositifs sont
doubles, relevant de leur planification dune part, de leur gestion
dautre part. Ils doivent en effet sattacher :
- dune part, à sélectionner
et à définir des familles de situations pertinentes en référence tant
aux savoirs savants caractéristiques de la discipline (légitimité épistémologique)
quaux pratiques sociales de référence (légitimité écologique) dans
lesquelles plonger les élèves ;
- dautre part, à opérationnaliser des pratiques pédagogiques qui
favorisent chez les élèves dune classe, différents dans leurs aptitudes
et leurs attentes, la maîtrise de ces situations :
réussir2 en situation complexe;
mais également comprendre2 (conceptualiser, repérer
les caractéristiques structurales des situations) ;
et enfin, mobiliser spontanément, dans une situation nouvelle,
scolaire ou extra-scolaire, une attitude volontariste et des démarches
qui leur permettent de laffronter efficacement.
1. Sélectionner
et définir les familles de situations
La responsabilité des pilotes
dun système éducatif, éclairés par les acteurs directs de ce système
et la société civile, est didentifier les compétences essentielles
que lécole doit permettre à chacun de construire et dont elle doit
certifier un degré minimal de maîtrise. Les documents officiels ainsi
produits peuvent rarement aller jusquà préciser les familles de
situations spécifiques quun cursus donné et chaque discipline en
particulier pourraient aider à maîtriser, particulièrement pour un enseignement
obligatoire général qui par ailleurs, fonctionne dans des lieux de vie
diversifiés appelant des contextualisations variées.
Pour aider à la pratique quotidienne, ils méritent dêtre enrichis
par des programmes mais aussi par de nouvelles générations de manuels
ou de documents pédagogiques.
Quelle devrait être idéalement la démarche ? Sagit-il en fait
didentifier avant tout des situations protypiques auxquelles lécole
doit absolument préparer si elle veut augmenter le pouvoir du jeune sur
son environnement dans toutes ses composantes ? Le repérage des ressources
potentielles (savoirs, savoir-faire, attitudes...) et de la contribution
des différentes disciplines scolaires à la maîtrise de ces ressources
vient en second dans cette perspective. Sagit-il plutôt de recenser
les apports essentiels (concepts et démarches) dune discipline à
la construction du citoyen daujourdhui puis de monter des
situations, adidactiques (Brousseau, 1986) pour quelles prennent
du sens aux yeux des élèves, pour lesquelles les concepts essentiels et
les opérations quils permettent (Vergnaud, 1996) constituent une
solution ?
Ces deux perspectives sont évidemment différentes ; elles sont plus
ou moins privilégiées selon le niveau de scolarité et le type décole
concerné. Ainsi, lécole maternelle et primaire ont moins de mal
à entrer dans la première que lécole secondaire générale dont la
tradition historique, comme le rappelait Perrenoud (1997), na jamais
été cette maîtrise de lenvironnement mais plutôt la préparation
aux études supérieures. La massification de cet ordre denseignement,
entamée maintenant depuis une trentaine dannées, va-t-elle permettre
de modifier quelque peu cette pesanteur du passé ? Un point de vue
résolument optimiste incline à penser que ces deux perspectives, complémentaires
plutôt quantinomiques, devraient trouver place toutes les deux dans
un curriculum réaliste et équilibré.
La première perspective, ancrée sur la vie, sur les pratiques sociales,
appelle une approche interdisciplinaire par projets. Si on veut quelle
trouve une occasion dexister, à tous les niveaux de lécole
et pour tous les élèves (pas seulement pour ceux vis-à-vis desquels lécole
a abdiqué de toutes ses ambitions...), alors il faut réserver dans lhoraire
un temps pour ça ; on sait que ce sera au détriment dautres
choses, et quil faudra être créatif pour lorganisation, y
sacrifier des habitudes.... Lenjeu en vaut la chandelle.
Poussée à lextrême et vouée à la recherche dapprentissages
" fonctionnels ", cette première perspective risquerait
de conduire à un positionnement strictement utilitaire, dans le choix
des objectifs et des activités par les enseignants, dans les attentes
et les efforts des élèves. Même en formation professionnelle, il serait
réducteur de naborder que les savoirs directement exploitables dans
lexercice du métier et on voit, dans des systèmes qui privilégient
lalternance, combien larticulation des ressources théoriques
et des occasions dentraînement, aux actions situées sur le terrain,
peut être malaisée.
A fortiori lenseignement général ne peut-il subordonner toute son
organisation au développement des compétences dites " fonctionnelles "
et doit-il garder du temps pour des acquisitions conceptuelles, des ouvertures
sur des champs de savoirs même sils ninterviennent pas comme
ressources dans laccomplissement de tâches jugées essentielles,
même sils nécessitent des efforts ardus pour être assimilés...
La deuxième perspective, celle dune pédagogie par situations-problèmes
disciplinaires (la situation donnant du sens au problème à traiter) saccommode
davantage dun développement autonome et formalisé des matières scolaires.
Elle nira pas non plus sans certains renoncements : on ne peut
à la fois continuer à aborder autant de contenus et laisser du temps aux
élèves pour mener une démarche personnelle et intégrer, dans leur répertoire
propre, savoirs, savoir-faire et attitudes parce quils les ont mis
en jeu dans les situations proposées. Cest ici que des documents
officiels jouent un rôle primordial : dans le recentrage sur ce qui
doit être considéré comme essentiel.
La coordination équilibrée de ces deux perspectives ne simprovise
pas ; elle rend indispensable un fonctionnement déquipe dont
les membres assument collégialement la responsabilité de lapprentissage
et de léducation dun groupe denfants ou de jeunes. La
première tâche de ces équipes est donc de construire des situations denseignement-apprentissage
disciplinaires et interdisciplinaires adaptées aux objectifs poursuivis
et appropriées à leurs élèves, ou daménager des propositions déjà
existantes. La deuxième est daccompagner leurs élèves dans ce parcours,
parfois collégialemement, en maximisant les chances dune mobilisation
ultérieure, dans dautres contextes, des compétences travaillées.
2. Accompagner
les élèves dans le développement des compétences
Plusieurs conditions doivent
être réunies dans ce but, nous en avons identifié trois ; elles sont
en étroite interaction dans le déroulement des activités en classe même
si elles sont distinguées ci-après pour la facilité de la présentation.
a) Mettre
en situation daction complexe : favoriser " le réussir "
Toute acquisition de savoir-faire
(connaissances procédurales) implique de mettre lapprenant en contexte
daction propre (je ne peux apprendre à tracer la lettre " a "
quen mexerçant à la tracer). Les compétences sont orientées
vers laction mais elles dépassent largement les savoir-faire, incluant
nécessairement la prise en compte du contexte dans toutes ses composantes.
Il sagira donc danalyser les situations porteuses sur le plan
des apprentissages quelles permettent et qui présenteront, pour
les élèves concernés, un caractère complexe. Celui-ci peut être décrit
en prenant le modèle piagétien du fonctionnement cognitif comme référence
générale.
Par mesure déconomie, lêtre humain est naturellement poussé
à utiliser ses schèmes antérieurs de fonctionnement cognitif quand il
aborde une situation, selon un processus dassimilation bien décrit
par Piaget. Cest quand les schèmes (les cognitivistes diraient " les
programmes de traitement ") dont le sujet dispose ne sont pas
applicables comme tels à la situation quil va tenter, dans une démarche
consciente, de les moduler, de les transformer, den associer plusieurs
jusque-là éventuellement dissociés. Cette nouvelle association modifie
les composantes des connaissances mobilisées dans la nouvelle situation.
Cest la résistance du réel qui force laccommodation,
le saut qualitatif dans lapprentissage. On peut faire lhypothèse
que la construction progressive des compétences relève de ce processus
daccommodation réfléchie du sujet en interaction avec un
environnement particulier à la poursuite dun but auquel la situation
confère du sens.
Leur mobilisation en situation garde-t-elle toujours le caractère daccommodation
consciente ? Dans la vie professionnelle par exemple, à la suite
de la confrontation répétée à de multiples situations dune même
famille, lexpert fera face, sans devoir réfléchir, à quantité de
tâches qui seraient des " situations-problèmes " pour
un novice. Va-t-on pour autant considérer quil a perdu ses compétences ?
Certes non.
À lécole obligatoire, la perspective est davantage de travailler
la construction de compétences diversifiées chez des élèves que dexercer
à lexpertise dans une tâche, même si des savoir-faire instrumentaux
risquant dintervenir dans plusieurs compétences (par exemple, lire
une carte, un graphique, utiliser un traitement de texte, consulter une
banque de données...) méritent un entraînement systématique par ailleurs.
La mise en situation de résistance du réel garde donc tout son sens. Encore
faut-il que le sujet se laisse déséquilibrer : première difficulté ;
il pourrait en effet contourner lobstacle, léviter. Il est
plus confortable de " se laisser enseigner " que dapprendre.
Un des objectifs dune mise en situation, exploitée au maximum dans
la pédagogie du projet, est de susciter cet engagement de lélève
dans un processus qui loblige à sortir de ses routines et fait vaciller
ses certitudes, parce que la situation donne du sens à cette recherche.
Il ne faudrait pas trop étroitement lier cette attribution de sens au
caractère fonctionnel de la situation : le potentiel créatif, lopportunité
dexpression personnelle, lenjeu de solidarité, la mise au
défi ludique peuvent entraîner le même engagement.
Engagé dans la tâche, lélève
va devoir mobiliser des ressources pour y faire face. Ici surgit une autre
difficulté non négligeable pour lenseignant : les schèmes à
disposition de ses élèves, schèmes accumulés par lexpérience antérieure,
où les apprentissages scolaires ne sont quune part, peuvent varier
énormément. Quand on ouvre la voie aux compétences, on ouvre aussi plus
largement la porte sur linégalité des ressources disponibles
chez chacun. Lenjeu démocratique est, à propos dun essentiel
à conquérir, d'aplanir, autant que faire se peut, ces inégalités en aménageant
les occasions de travailler les situations complexes à lécole plutôt
quà domicile, en garantissant laccès à des ressources utiles,
en donnant les outils de leur recherche.
On peut contraster deux manières daccompagner les élèves dans la
réussite dune tâche-problème. Certains préféreront une stratégie
structurée demblée et progressive. Ils auront garanti à lavance
la maîtrise de savoirs et savoir-faire quils jugent prérequis et
accompagneront les tâtonnements dans la situation complexe, profitant
de cette action collective pour faire réfléchir explicitement sur les
démarches à mettre en uvre et les critères de qualité, diminuant
progressivement létayage pour mettre, in fine, les élèves seuls
face à une situation nouvelle appartenant à la même famille. Dautres,
soulignant une certaine contradiction entre mise en situation complexe
et approche structurée, souhaiteront plonger les élèves de manière abrupte
dans un problème, ne fournissant des pistes quen cas de nécessité,
sil y a blocage de leur part.
Ces deux types de démarche pourraient avoir une efficacité différente
selon les élèves. Ainsi, les résultats des recherches sur linteraction
aptitude-traitement (Cardinet, 1986) ont mis en évidence que les élèves
qui éprouvent des difficultés dans une matière apprennent mieux avec une
démarche bien balisée alors quau contraire, les élèves doués dans
cette matière, sauf sils sont très anxieux, progressent davantage
quand on leur laisse loccasion de se débrouiller sans la guidance
dun expert. Ces résultats encouragent donc à une différenciation
pédagogique.
Les enseignants peuvent, sans culpabilité, laisser certains élèves affronter
seuls ou en groupe (co-construction) des situations-problème pendant
quils se consacrent à guider plus étroitement (étayage) les élèves
qui en ont davantage besoin, en les amenant progressivement à une démarche
autonome.
Dans tous les cas, certains facteurs sont essentiels à garantir pour favoriser
la prise de risque ou la prise dautonomie chez les élèves :
cest linstauration dun climat dapprentissage
positif, fondé sur la confiance, lentraide et la considération
réciproque. Une régulation offerte aux élèves dans leurs tâtonnements
(évaluation formative interactive), la disponibilité pour léchange,
le coup de pouce indispensable, lencouragement sont évidemment de
mise.
Cependant, mettre les élèves en situation de tâche-problème ne suffit
pas pour permettre le progrès de tous dans la maîtrise des compétences,
il faut explicitement solliciter la généralisation et délibérément la
travailler comme telle...
b) Viser
le repérage des caractéristiques structurales de la tâche : favoriser
le " comprendre " et la généralisation à dautres
tâches de la même famille
Les savoirs, les savoir-faire,
les attitudes, exercés et intégrés par le sujet à loccasion dune
tâche particulière, doivent pouvoir être mobilisés à loccasion dautres
tâches différentes de la première (sinon il sagirait de restitution
ou de répétition) mais qui font partie de la même famille, qui appellent,
en tout ou en partie, le même programme de traitement. La généralisation
est donc au cur même de la définition de compétence.
Souvent dans le contexte scolaire, les situations sont " didactiques "
mettant clairement en évidence la démarche à appliquer. Il ne sagit
pas ici de nier lintérêt des exercices dentraînement, composante
indispensable dune stabilisation des apprentissages mais de noter
quils ne favorisent pas le transfert des acquis si les connaissances
sont stockées, engluées dans un contexte initial dacquisition trop
répétitif. Mis face à une situation nouvelle, les élèves établissent parfois
des analogies avec une situation antérieurement rencontrée sur la base
dune similitude de surface et non de structure (par exemple, rapprocher
un problème dune série dautres vus antérieurement parce quil
évoque également le passage à leuro alors quil ne sagit
plus, cette fois, détablir des proportionnalités...). Vis-à-vis
des situations de la vie, généralement moins apurées, la similitude de
structure avec des situations déjà rencontrées ou étudiées en classe apparaît
moins clairement encore, doù ces difficultés, souvent évoquées,
du " transfert " des apprentissages3.
Les acquis dune situation doivent pouvoir être décontextualisés,
cest seulement dans cette mesure quils pourront se mettre
au service dautres situations, cest-à-dire se recontextualiser
par la mise en évidence des caractéristiques de structure semblable (famille
de situations). Si lon se réfère au modèle piagétien, il sagit
de provoquer une assimilation généralisatrice adéquate basée sur les invariants
structuraux et non sur des caractéristiques contingentes.
Quest-ce qui peut favoriser cette appréhension ?
- Choisir, particulièrement en début dapprentissage, des situations
au pouvoir structurant fort. Cest là tout lintérêt des situations
adidactiques (Brousseau, 1986), porteuses dintentions didactiques
fortes (que les situations naturelles ne présentent pas toujours) mais
qui sont non explicites pour permettre à lélève de sapproprier
le problème par des voies dinvestigation propres.
- Présenter à lélève plusieurs situations isomorphes dont lhabillage
varie et dont on extrait systématiquement les traits structuraux communs,
(faire) expliciter les démarches de résolution (critère de réalisation
de la tâche) et discuter des critères de qualité4. La mise
en mots de ces traits et des démarches est essentielle et le passage du
langage courant, souvent approximatif, aux concepts scientifiques donne
une puissance accrue à labstraction : " ce sont tous
des problèmes de proportionnalité.
À chaque fois, on a calculé le rapport entre les données connues et on
a appliqué ce rapport à une autre grandeur pour trouver la valeur de linconnue... ".
- Proposer aux élèves de rechercher des situations nouvelles auxquelles
on pourrait appliquer la structure que lon vient de travailler (le
bridging).
c) Maximiser
les chances dune mobilisation spontanée des ressources dans une
situation nouvelle
Deux directions daction
apparaissent comme pertinentes dans ce but : lauto-évaluation
et le développement de visées transversales.
- Apprendre à sauto-évaluer
et à réguler ses propres apprentissages (évaluation formatrice)
Si la pédagogie par objectifs,
dans la perspective de rationaliser les conduites dapprentissage,
a tenté dinstaller des boucles de rétro-action (introduction de
lévaluation formative), celles-ci étaient essentiellement gérées
par lenseignant. La pédagogie des compétences situe au cur
de ses enjeux la mobilisation spontanée, par le sujet, des ressources
au service de la résolution de tâches nouvelles scolaires et non scolaires ;
elle doit dès lors immanquablement confier à ce sujet un rôle beaucoup
plus actif dans la régulation de ses apprentissages.
On sait combien, dans un système éducatif marchand, les pratiques évaluatives
conditionnent lapprentissage, souvent pour en limiter la qualité,
entraînant des comportements stratégiques chez les étudiants (ninvestir
que dans ce qui rapporte des points, étudier différemment selon la forme
des questions annoncées...), parfois même en handicapant lavenir
(ne plus prendre le risque dapprendre) par les effets négatifs quelle
peut provoquer sur limage et lestime deux-mêmes des
apprenants. Lévaluation formative casse la logique marchande puisquelle
déplace lenjeu sur laccompagnement dans un processus dapprentissage.
Elle table sur une motivation intrinsèque (apprendre, progresser plutôt
que réussir...).
Lévaluation formatrice (selon lexpression de Nunziati,
1990) fait un pas de plus : elle invite lélève au questionnement
des critères de qualité de la tâche et à la réflexion sur sa propre démarche
(démarche métacognitive) : mieux se connaître comme apprenant
pour maximiser son potentiel dapprentissage, mieux comprendre ses
erreurs ou mieux cerner lorigine de ses difficultés pour progresser
dans la maîtrise des compétences travaillées.
Lutilisation dune grille critériée5 pour lévaluation
par lenseignant de la performance complexe (allo-évaluation) change
le rapport de létudiant à lenseignant : celui-ci sinterdit
lexercice dun pouvoir occulte, sexpose à la contestation
des critères et de leur utilisation dans la mesure où il rend lun
et lautre transparents, il renonce donc à la position de lexpert,
doffice hors cause, acceptant au contraire la discussion. Pour lélève
qui prend connaissance de lallo-évaluation critériée autrement quavec
lintention de modifier sa note, celle-ci constitue déjà une invite
à la réflexion et au dialogue avec lenseignant au sujet de son travail.
La proposition dauto-corriger son travail avec la même grille critériée
devrait renforcer le processus dintériorisation des critères et
favoriser un processus dauto-régulation de lapprentissage
visé par la performance.
La confrontation dialectique6 des auto-corrections et allo-évaluations,
nouvelle invite au questionnement des critères et de la démarche, autorise
un troisième niveau dintériorisation, celui qui passe par la communication
argumentée à autrui.
Jentends bien les protestations quant au temps consacré à ces pratiques
dévaluation formatrice et dès lors non disponible pour dautres
choses... La pédagogie par compétence est une pédagogie du renoncement ;
on pourrait plus justement dire du recentrage sur lessentiel car
cest bien dun apprentissage de lessentiel quil
sagit.
- Développer une attitude
intellectuelle adéquate dans lapproche des situations nouvelles
(des visées transversales)
Lintroduction de la
notion de compétence à lécole a popularisé le concept de compétences
transversales dont certains ont pu craindre, à raison, quil ne fasse
resurgir le paradigme formel des disciplines prétextes (" vidanges
perdues " - M. Romainville, 1994 ; Joshua, 2000) qui
auraient pour seule mission de servir de support au développement de capacités
cognitives.
Les travaux de psychologie cognitive (voir Glaser, 1986) ont bien mis
en évidence que la qualité des démarches mentales dun individu dépend
grandement de son degré de maîtrise des contenus abordés (voir aussi Chi,
Glaser et Farr, 1988). Il ne faudrait pas pour autant en tirer argument
pour donner une priorité temporelle à la transmission-restitution de contenus,
lexploitation éventuelle de ceux-ci dans des démarches intelligentes
étant reportée à un stade ultérieur. Les études sur lapprentissage
(Bransford et al., 1986) montrent que les savoirs acquis de cette manière
sont des savoirs morts que les élèves ne pourront pas mobiliser efficacement
dans la résolution de problèmes.
Cest donc en invitant les élèves à satteler aux contenus dans
des situations qui leur imposent den trouver ou den préciser
personnellement les contours que lon garantira à cette base de connaissance
les meilleures chances dintégration et de mobilisation personnelles.
Sappuyant sur les théories de la cognition située (Brown, Collins
et Duguid, 1989), Allal défend lidée que les conditions dans lesquelles
un apprentissage se réalise fait partie de ce que le sujet apprend.
" [cest] le
message essentiel des travaux sur la cognition située : à savoir
que cest lorganisation des connaissances en réseau, telle
quétablie au cours du processus dacquisition, qui rend plus
ou moins probable leur mobilisation dans des situations ultérieures
". (Allal, 2000, p. 84)
Laccompagnement des
élèves dans la résolution de situations-problèmes poursuit donc un double
objectif : apprendre à maîtriser cette famille de situations particulières
parce quelle est importante et travailler délibérément, à cette
occasion, une approche cognitive efficace, des démarches mentales de qualité.
Sur la base des constats précédents, on a sans doute raison de considérer
quil y a une certaine contradiction à parler de compétences transversales ;
il ne faudrait pas conclure trop vite quaucune entité transversale
nexiste...
Dans le fonctionnement spontané dun individu, certaines connaissances
qui ont évolué à loccasion dexpériences à la fois répétées
et multiformes, ont pu se stabiliser en mémoire à long terme sous une
forme décontextualisée, prêtes à être utilisées dans de nombreuses situations
non routinières ; elles permettent le développement de ce que P. Gillet
(1991) et les chercheurs du CEPEC désignent comme capacités pour les différencier
des compétences qui sont, elles, spécifiques à des familles de situations.
On trouvait déjà la même conception chez R. Gagné (1976) et L. DHainaut
(1977) par exemple, pour qui lexploitation et la mise en réseau
de connaissances et de procédures permettent lélaboration dorganisations
mentales stables appelées " capacités " et qui, apparaissant
comme résultante de ces apprentissages divers, seraient transversales.
Au terme de sa longue traque des compétences transversales, B. Rey
lui-même (1996, p. 150) conclut quil apparaît bien cependant
que " les sujets humains sont capables de répondre à linfinité
des situations singulières dune manière sinon toujours adéquate,
du moins constamment renouvelée et inexplicable par les seuls effets de
stimuli ".
Certains élèves montrent spontanément de telles capacités. Selon B. Rey,
ce sont ceux qui manifestent une volonté de faire des liens, de chercher
des analogies avec des situations déjà rencontrées, de mobiliser leurs
connaissances et savoir-faire antérieurs pour la résolution de problèmes
nouveaux. Cest pourquoi cet auteur propose de parler de visées ou
intentions transversales plutôt que de compétences transversales.
Ces élèves-là sont mieux armés pour aborder des situations totalement
nouvelles, et donc pour réussir dans une société en changement constant.
Laisser lacquisition de telles visées transversales ou capacités,
toute entière sous la responsabilité de lindividu, relève dune
conception antidémocratique de lapprentissage. Une école qui ne
prend pas en charge, explicitement et directement, leur apprentissage
avec ceux qui spontanément ne sen montrent pas capables, renforce
les inégalités.
Si lon voit bien le rôle que lenseignant peut assez directement
jouer dans laménagement des situations-problèmes pertinentes et
létayage de lélève dans son approche des situations, la prise
quil peut avoir sur la mobilisation des intentions transversales
par lélève apparaît comme plus hypothétique. Pour B. Rey, la
meilleure pédagogie en la matière est celle de lexemple.
" Ce qui est souhaitable,
cest quils [les enseignants] manifestent devant leurs élèves
la mise en uvre dintentions cognitives..., quils montrent
très visiblement quils les mettent en uvre " . (p. 168)
Dans laccompagnement
du développement des compétences, on a souligné en premier combien il
était important que les élèves soient mis eux-mêmes en contexte daction
et de recherche active de solution et de réflexion et non " exposés "
à une résolution de problème par lenseignant. Les " modèles "
de fonctionnement cognitifs efficaces dont lutilité est évoquée
par Rey devraient sentendre, me semble-t-il sous la forme de co-constructions,
entre pairs et/ou avec la participation de lenseignant, face aux
situations-problèmes.
Que conclure ?
Que lapproche par compétences
ne se substitue pas à tout ce quon a fait à lécole jusquici :
en particulier, elle nentraîne pas un positionnement dominé par
lutilitarisme et ne conduit à négliger ni lapproche des savoirs
ni lentraînement à des savoir-faire au pouvoir instrumental fort.
Ces craintes doivent être levées pour inciter les équipes éducatives à
aménager des conditions qui permettent aussi le développement de compétences.
Il ne peut sagir dimprovisation, particulièrement si lenjeu
est de favoriser une égalité des acquis à ce point de vue et non de faire
de cette exigence une nouvelle occasion de renforcer les différences entre
élèves : la sélection de situations disciplinaires et interdisciplinaires
pertinentes, le travail délibéré des démarches et de leur généralisation,
les efforts tendus vers une intériorisation par lélève des critères
de qualité et des attitudes intellectuellement porteuses, expriment toute
la professionnalité des équipes.
Jacqueline Beckers
Chargée denseignement
à lUniversité de Liège Faculté de psychologie et des Sciences de
léducation.
Membre du Comité scientifique de la revue.
Notes
1 Le lecteur reconnaîtra
là un modèle constructiviste dinspiration vygotskienne (1934 : 1977).
Voir aussi J. Bruner (1996).
2 " Réussir et comprendre " est le titre dun
ouvrage de Piaget, publié en 1974.
3 Voir les précisions de Perrenoud opposant la métaphore du
transfert à celle de la mobilisation, 2000, pp. 45-60.
4 Les travaux de léquipe de J.-J. Bonniol sur les critères
et de Talyzina sur leur formalisation dans lélaboration avec les
élèves de cartes détudes constituent une voie prometteuse à cet
égard (voir Vial, 1987). Pour la distinction entre les critères de réalisation
et les critères de réussite, voir Bonniol et Vial (1997).
5 Voir à ce sujet des propositions méthodologiques déjà anciennes
mais qui gardent toute leur actualité (De Bal et al., 1976).
6 Cette expression est utilisée par V. Jans (thèse de doctorat
non publiée, Université de Liège, décembre 2000, p. 314) pour désigner
la mise en présence des points de vue pour les comparer. Je lélargirai
à une discussion qui dépasse lobjectif de la comparaison pour se
centrer davantage sur lintérêt de léchange, de largumentation
de son point de vue, de la communication de signification à autrui, processus
qui reflète le degré dintériorisation des significations offertes
par le dispositif de formation.
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