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Au pays des enfants-zappeurs, une compétence-clé:
surprendre pour (faire) apprendre

L’école, n’est plus le lieu privilégié d’information sur le monde, sa fonction a évolué. Motiver les élèves devient une nécessité. Dans cet article, sont regroupées des compétences autour de huit grands thèmes qui sont autant de leviers sur lesquels le formateur peut agir pour dynamiser les apprentissages.


En ce début de troisième millénaire, les enfants sont saturés d’informations par les médias. Ceux-ci génèrent tout à la fois des phénomènes de rejet et un conditionnement pesant. L’école n’est plus le lieu privilégié d’information sur le monde, sa fonction a évolué.
L’importance de la télévision a produit le phénomène de zapping : une émission lasse très vite, hop ! On change de programme.
Un tel comportement est entretenu par ce conditionnement de consommateurs de pays riches instrumentés par ces médias.
On retrouve la même chose en classe. La somnolence cognitive est incompatible avec les conditions, aujourd’hui identifiées, de réussite des apprentissages. Car apprendre c’est modifier ses représentations, c’est les mettre en crise après les avoir mobilisées.
Ce premier constat se double d’un second. La mémoire est sélective, elle ne retient que ce qui la marque. Nous n’enregistrons que ce qui sort de l’ordinaire, de la grisaille du quotidien.
Il est donc, de plus en plus nécessaire, en formation, de mobiliser un savoir professionnel décisif : “ Surprendre l’élève pour qu’il apprenne ”.
Nous sommes là en présence d’une compétence critique trop peu développée dans les centres de formation des enseignants. Lors de la recherche que nous avons menée sur les savoirs professionnels des enseignants (Les savoirs cachés des enseignants, l’Harmattan, Paris, 2001) auprès d’une trentaine de collègues, avec lesquels nous avons longuement travaillé à plusieurs reprises, entre autres choses nous avons repéré des compétences autour de ce problème récurrent : comment motiver les élèves ?
“ Motiver ”, étant le terme le plus souvent employé par la totalité des acteurs. Pour le présent article j’ai regroupé des compétences autour de huit grands thèmes qui sont autant de leviers sur lesquels le formateur peut agir pour dynamiser les apprentissages.

1. Aménager l’espace de travail en fonction de l’objectif de la séance de façon à ce qu’il puisse directement surprendre les apprenants en rompant avec la routine. L’utilisation originale d’auxiliaires pédagogiques comme le simple tableau, ou le retro-projecteur, ou bien encore la vidéo peut renforcer cet effet.
2. Jouer avec la diversité des mises en situation. Une douzaine ont été conceptualisées : de la situation-problème à la pédagogie du projet. Certaines pratiques particulièrement innovantes, comme le jeu, sont destinées à faire rupture par rapport à d’autres plus communes.
3. Proposer des tâches moins scolaires où l’on fait “ pour de bon ” et pas seulement pour le maître ou la maîtresse. Ces tâches peuvent être introduites par des formulations aptes à prendre à contre-pied les représentations dominantes, faisant naître des conflits cognitifs dans les têtes.
4. Toute action d’apprentissage génère des interactions verbales. Leur gestion, loin de rechercher un consensus mou, doit amener à développer les conflits socio-cognitifs en repérant les points de vue différents et en demandant de les justifier. Elle est destinée à susciter des zones potentielles d’imprévu dans le but de les cultiver.
5. Surprendre les élèves suppose de traquer les ruptures épistémologiques dans les contenus à enseigner, de percevoir l’insolite, le révolutionnaire dans ces savoirs, d’analyser en quoi ils peuvent être en rupture avec les représentations dominantes, bref une transposition didactique dynamique.
6. Jouer sur le défi, la provocation, la dramatisation, la théâtralisation.
7. Ouvrir le lieu de formation sur la vie réelle par des visites sur le terrain ou en faisant appel à des intervenants extérieurs.
8. Mettre avant tout l’accent sur le positif. Révéler, en agissant sur la métacognition, à l’élève ses capacités, faire emerger sa créativité, ses pouvoirs, y compris collectifs, sur le monde. Associer l’apprenant à la gestion de ses apprentissages.
La majorité des enseignants observés n’ont bien souvent développé qu’une compétence autour de ce problème, comme : “ jouer sur l’effet de surprise au tableau ”, “ faire la comédie ”, “ partir du vécu des élèves ”, “ provoquer les élèves moyens ou faibles ”, “ casser les certitudes des élèves ”, “ utiliser le questionnement mitraillette ”.
Si une des compétences développées leur semble efficace, elle a tendance à devenir dominante, à structurer la pratique de l’enseignant, quitte à l’appauvrir, à la scléroser.
Seuls quelques “ militants pédagogiques ” vont développer toute une panoplie de savoirs professionnels relevant de différents thèmes parmi ceux qui ont été identifiés précédemment, pour susciter l’intérêt des élèves ainsi que leur éveil cognitif.
Pour ces maîtres, le problème ne se pose pas en termes de maîtrise de tel ou tel outil, de mobilisation de telle ou telle compétence, mais en termes de stratégies en les combinant pour atteindre ainsi une plus grande efficacité.
L’écart entre l’enseignant moyen et le “ militant pédagogique ” permet d’identifier toute une zone potentielle de développement de compétences professionnelles. Ceci met en question la formation continue qui est sollicitée pour favoriser une prise de conscience des compétences produites et leur mutualisation pour une professionnalité plus efficace.
Une professionalité accrue doit avoir pour effet de favoriser, chez les élèves, une prise de conscience et un certain recul face à l’environnement médiatique. Ce qui favoriserait ainsi le développement de l’esprit critique et une compréhension plus profonde de la complexité du monde d’aujourd’hui.

Michel Huber
Enseignant et chercheur à l’Etablissement National d’Enseignement Supérieur Agronomique de Dijon.
Responsable national du Groupe Français d’Education Nouvelle (G.F.E.N.).

Bibliographie
DALONGEVILLE A., HUBER M. (2001), (Se) former par les situations-problèmes, Chroniques sociales, Lyon.
DE VECCHI G., CARMONA-MAGNALDI N. (1996), Faire construire des savoirs, Hachette Education, Paris.
HUBER M., CHANTARD P. (2001), Les savoirs cachés des enseignants, l’Harmattan, Paris.
Meirieu P. (1995), La pédagogie entre le dire et le faire, ESF Editeur, Paris.
PERRENOUD P. (1999), Dix nouvelles compétences pour enseigner, ESF Editeur, Paris .

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