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Et l'enseignement artistique en Belgique francophone?

Les disciplines artistiques, souvent sacrifiées a l'école, permettent à l'enfant d'exprimer ses émotions, de trouver la dimension du plaisir et de révéler sa créativité. en belgique, la dimension artistique a enfin sa place dans le " programme intégré " des écoles maternelle et primaire. Celui-ci offre aux enseignants un cadre de référence.

Imaginez ! Imaginez les enfants groupés par quatre ou cinq. Chaque groupe reçoit la reproduction d'une peinture différente et relativement simple. À chacun de ces groupes, l'enseignant demande de rédiger une description de l'œuvre (20 à 30 lignes) en vue de sa reproduction par un autre groupe.
Dans un second temps, chaque enfant dessine sur base de la description rédigée par un groupe voisin. Ce travail est donc individuel. La troisième étape est la confrontation sans jugement des œuvres originales avec les reproductions et le retour aux textes rédigés. Cette phase est capitale dans la mesure où elle va permettre à l'enfant de prendre conscience de la multiplicité des regards que l'on peut porter sur une œuvre d'art et de les confronter à son propre regard. L'expérience montre que souvent les aspects " émotion " et " composition " sont oubliés. Il peut être intéressant que le maître réalise avec les enfants une structuration à ces niveaux. En comparant son travail avec d'autres, l'enfant se rend également compte qu'un même texte peut donner lieu à des interprétations bien différentes, découvrant ainsi le pouvoir des mots (voir les illustrations).

Des prolongements sont multiples. Ainsi, imaginons corriger, améliorer les textes (interdisciplinarité - travail de la langue maternelle), et ensuite les donner à une classe voisine ou à des correspondants en leur proposant une démarche similaire. Chaque peinture pourrait aussi être le point de départ d'une analyse plus approfondie d'un courant artistique ou d'une composante plastique, en procédant idéalement par comparaison. Voilà donc un exercice simple à réaliser et qui me semble particulièrement riche. Dans un premier temps, il est donc demandé à l'enfant d'observer, de percevoir les choses pour les décrire. Ensuite, il est en situation pour exprimer ce qu'il a ressenti à la lecture du texte. Le résultat, la ressemblance avec l'œuvre originale en elle-même n'a aucune importance. Devant l'imprécision ou l'absence d'information descriptive, l'enfant doit interpréter et créer. Et c'est tant mieux. Dans un troisième temps, il est amené à échanger, à réagir, à discuter et à confronter son opinion à celle des autres. Cet exercice a été plusieurs fois expérimenté, toujours avec le même succès, dans des classes du degré supérieur du primaire (enfants de 10-12 ans).

ÉTAT DES LIEUX

Le développement artistique devrait occuper une place privilégiée dans le parcours scolaire de l'enfant. Tout en s'appuyant sur des savoirs et des savoir-faire, sans négliger les savoir-être et savoir-devenir, il doit aussi, et peut-être surtout, permettre à l'enfant de trouver la dimension du plaisir, notamment en y développant l'expression et l'imagination. La réalité sur le terrain en est souvent éloignée. Il faut savoir aussi que si le jeune enfant dessine de façon symbolique à l'école maternelle, lorsqu'il entre à l'école primaire, il prend peu à peu conscience de la réalité et essaye de la traduire de plus en plus fidèlement. Pour ce faire, il a besoin d'outils tels que l'observation, la sensibilisation aux formes, aux couleurs et aux techniques. Malheureusement, très souvent, on ne les lui donne pas.
Je crois aussi que cette sensibilisation passe aussi par le contact avec des œuvres d'art diverses, anciennes et modernes surtout, ces dernières l'autorisant plus facilement à libérer son propre imaginaire.

LE PROGRAMME INTÉGRÉ

Depuis quelques années, les enseignants du fondamental (écoles maternelles et primaires) de l'enseignement libre (entendez catholique) disposent du programme intégré, un outil relativement complet, bien pensé, et dans lequel chaque discipline trouve sa place. Ce document est le fruit d'un travail d'équipes. Commencé en 1988, il aboutit à sa publication en 1993(1). En mai 1999, le Ministère de la Communauté française publie les Socles de compétences (2) qu'il définit comme le " référentiel de base à exercer jusqu'au terme des huit premières années de l'enseignement obligatoire et celles qui sont à maîtriser à la fin de chacune des étapes de celles-ci parce qu'elles sont considérées comme nécessaires à l'insertion sociale et à la poursuite des études "(3).
Dit plus simplement, il s'agit des compétences de base que l'enfant, à différents niveaux, doit maîtriser (valeur certificative). En fonction de ce document, le Programme intégré a été revu afin d'être adapté aux socles de compétences (version 2001)w.

PRÉSENCE DU DÉVELOPPEMENT ARTISTIQUE

La dimension artistique a sa place dans le Programme intégré et offre enfin aux enseignants un cadre de référence. On peut espérer qu'il va être le détonateur d'un changement d'attitude, sans doute lent, face à la discipline qui aujourd'hui, il faut bien le reconnaître, reste encore le parent pauvre. Que de travail à faire ! Y sont développés les domaines des arts plastiques, de la musique, du corps et de la parole (expression théâtrale).
Communes à ces différents domaines, trois compétences d'intégration, à savoir p
ercevoir, exprimer et réagir. Une compétence d'intégration se définit comme étant " une compétence globale constamment en devenir. Cependant, la maîtrise de certains aspects de cette compétence peut être assurée au terme des différentes étapes de l'enseignement fondamental, voire au-delà. Elle se développe peu à peu par l'intégration qualitative de compétences spécifiques acquises au cours de différentes séquences d'apprentissage "(5). Chacune de ces compétences demande quelques explications.
Percevoir, c'est développer une perception globale des choses, tant sensorielle (visuelle, tactile, auditive, kinesthésique...) qu'intellectuelle (identifier, nommer..,) et affective (avoir du plaisir, apprécier...).
C'est par là même accéder au patrimoine culturel et artistique.
Exprimer, c'est libérer une émotion en y prenant du plaisir et ce, par différents moyens, à savoir expérimenter, explorer, réaliser, représenter, (d)écrire, imaginer, interpréter, transformer, inventer...
C'est aussi acquérir les outils et les techniques indispensables à cette expression.
Réagir, c'est donner son avis, communiquer son vécu et son ressenti, s'interroger, analyser, confronter, comparer, éveiller au jugement critique, affiner le sens esthétique, évaluer... face à la production des autres, face à sa propre production et à son processus de création. Réagir, c'est aussi exprimer le percevoir.
Si, dans un schéma théorique, ces trois étapes se succèdent (parfois dans un ordre différent), elles sont intimement liées dans la réalité de la classe et peuvent s'interpénétrer, voire se fondre lors des différents stades de réalisation des activités. Dans chacune de ces trois compétences d'intégration (percevoir, exprimer, réagir), nous trouvons ce que j'appelle les cinq regards que l'on peut porter sur une production plastique. Il s'agit de :
L'émotion. Par émotion, on entend l'impression générale, l'ambiance, le climat qui se dégage de la production plastique (la douceur d'une œuvre impressionniste, la froideur d'un abstrait géométrique...).
Les modes d'expression (dessin, peinture, sculpture...) et les techniques d'exécution. Dans la technique, on peut distinguer le support (papier, carton...), la matière colorante (pastels, gouaches...) et l'outil (plumes, pinceaux, rouleaux...).
Le sujet, le genre, le style (6). Qu'est-ce que cela représente ? Un paysage (genre) dans lequel je vois à l'avant-plan quelques arbres se détachant sur... (sujet).
Le langage plastique. Celui-ci comprend différents éléments plastiques : point, ligne, forme / valeur (ombre et lumière), couleur, texture et matière / espace et volume / perspective / composition(7) (rythme, équilibre, dominante et contraste) / temps (la quatrième dimension) / harmonies (polychromes et monochromes).
Le contexte culturel. Civilisations, événements politiques, sociaux... À titre d'exemple, pourquoi pas le Guernica de Picasso.

Toute production plastique, qu'elle soit d'un enfant ou d'un artiste, est donc un réseau d'interactions complexes entre ces cinq composantes.
Pour chacune d'elles sont proposées différentes
compétences spécifiques. Celles-ci " explicitent la compétence d'intégration dans ses différents aspects. Les activités correspondant à ces compétences assurent, par leur maîtrise, le développement de la compétence d'intégration. Elles ne sont donc pas exercées pour elles-mêmes "(8). Il s'agit donc de compétences plus ciblées, en rapport direct avec une compétence plastique. En regard des différentes compétences spécifiques se trouvent diverses propositions d'activités de structuration, " activités souvent complexes centrées sur la construction et le développement de la compétence en question (9). Ces activités de structuration sont à intégrer idéalement dans des activités fonctionnelles, c'est-à-dire des " activités globales qui mettent en jeu plusieurs compétences dans une situation de vie réelle ou simulée "(10).

À TITRE D'EXEMPLE

Dans le cadre d'un projet sur la gestion des déchets dans notre société {activité fonctionnelle), les enfants créent un nouvel objet à partir d'éléments de récupération qu'ils transforment, déforment, assemblent entre eux ou simplement détournent de leur fonction (activité de structuration), en vue d'exploiter l'espace et le volume (compétence spécifique) ; ce qui leur permet, au niveau du langage plastique (4e composante d'une production plastique), de s'exprimer (2e compétence d'intégration).
Il est évident que l'exemple est caricatural et que la réalité sur le terrain est beaucoup plus souple. La structure ne doit pas être un piège.

ET DEMAIN?

En Belgique, la formation pour devenir instituteur, institutrice maternel (le), primaire s'effectue non pas dans une université mais dans une Haute école. Dans le cadre de cette formation, dont la durée est de trois ans, les futurs instituteurs suivent un cours d'éducation plastique afin de leur donner l'envie, le goût, les capacités de dessiner et de peindre, de libérer l'imaginaire et la créativité, de travailler l'expression, de les sensibiliser aux œuvres d'art, tout cela pour en faire bénéficier l'enfant. Tel est le défi! Demain, des enfants créateurs dans nos écoles ? Utopique, direz-vous ? Alors osons l'utopie !

 

Vincent Rousseau
Artiste sculpteur.
Professeur d'Education plastique à l'HENaC (Haute Ecole Namuroise Catholique), département pédagogique de Champion. Spécialisé dans la formation en Arts plastiques des futurs instituteurs primaires.
Responsable del la Commission artistique lors de la création du
Programme intégré
(1ère version - 1993).

Notes
(1) programme intégré. Conseil Central de l'Enseignement Maternel et Primaire Catholique, Rue Edouard Wacken, Ib, 4000 LIEGE. 1993-1994. Ce programme comprend un volume consacré aux Plans de référence et une farde avec le Plan des activités réparties selon les cycles.
(2) Socles de compétences, Enseignement fondamental et premier degré de l'Enseignement secondaire, Ministère de la Communauté française, Administration générale de l'Enseignement et de la Recherche scientifique, mai 1999.
(3) Socles de compétences, p. 3.
(4) Programme intégré adapté aux Socles de compétences, SeGEC (FédEFoC), 2001, Bruxelles.
(5) Programme intégré adapté aux Socles de compétences, Explicitation de compétences, p. 1.
(6) Personnellement, je considère le style (ou mouvement artistique) comme la résultante d'une combinaison particulière de ces cinq composantes.
(7) Ici encore, je ne partage que partiellement cette structuration, considérant davantage les éléments plastiques (point... / valeurs... / couleurs (et ses harmonies)... / espace... / perspective) au service des lois de la composition.
(8) programme intégré adapté aux Socles de compétences, Explicitation de compétences, p. 1.
(9) Programme intégré adapté aux Socles de compétences, Explicitation de compétences, p. 2.
(10) Programme intégré adapté aux Socles de compétences, Explicitation de compétences, p. 2.

Bibliographie

GEORGES J. (1991), Pour une pédagogie de l'imaginaire, Casterman, Tournai.
LAGOUTTE D. (1990) (sous la direction de), Les arts plastiques. Contenus, enjeux et finalité, Coll. Formation des enseignants, Armand Colin, Paris.
LAGOUTTE D. (1991), Enseigner les arts plastiques, Coll. Pédagogie pratique à l'école élémentaire, Hachette, Paris.
ROUX C. L enseignement de l'art : la formation d'une discipline, Ed. Jacqueline Chambon, Nimes.
SADARNAC V. et TEXIERJ.-P. (1988), Sensibilisation aux arts plastiques, Le temps apprivoisé, Paris.
Dans la Collection R. TAVERNIER, Bordas, Paris :
(1993), Les arts plastiques à l'école. Découvertes et expressions. Cycles 1 et 2. (1996), Les arts plastiques à l'école. Expression et apprentissages. Cycle 3. TRITTEN G. (1988), Peindre. Manuel d'éducation artistique, Dessain et Tolra, Paris.

 

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