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De
la débrouillardise à la recherche active.
Réflexions sur une expérience pédagogique
Une nouvelle gestion
de la classe et des savoirs disciplinaires requièrent de l'enseignant
une large ouverture d'esprit et une disponibilité majeure à la collaboration
avec les collègues ; mais, dans cette situation, l'élève doit également
accepter de sortir du cadre sécurisant que peut procurer l'apprentissage
de type traditionnel.
Depuis quelques années, le système scolaire
en Belgique francophone (la Communauté française de Belgique, ou Communauté
Wallonie-Bruxelles) est parcouru par de profondes réformes qui suscitent
souvent inquiétude, incertitude ou lassitude dans le monde enseignant,
mais qui consacrent une nouvelle façon d'envisager la relation pédagogique.
En 1997, un décret a défini les missions prioritaires de l'enseignement
fondamental et de l'enseignement secondaire. Il a été complété, sur un
plan pédagogique, par des décrets qui ont précisé les compétences que
les élèves doivent avoir acquises aux moments charnières de leur scolarité.
Plus récemment, en 2000 et en 2001, c'est la formation initiale des enseignants
du maternel, du primaire et du secondaire qui a été réformée dans une
intention générale de professionnalisation. À travers ces réformes successives,
l'apprenant a été placé au cur de la démarche pédagogique. La préférence
semble être donnée à une orientation " learning " plutôt qu'à
une orientation " teaching " et le rôle de l'enseignant s'apparente
à celui d'un coach plutôt qu'à celui d'un arbitre. L'élaboration de nouvelles
situations d'apprentissage doit à présent aider à la constitution de compétences
plutôt qu'à l'assimilation de connaissances, de façon à permettre à l'apprenant
une adaptabilité plus importante aux sollicitations d'un environnement
de plus en plus mouvant. En bref, il s'agirait surtout d'apprendre à apprendre.
Une telle perspective pédagogique n'est pas étrangère au contexte plus
global des politiques européennes axées sur le " lifelong learning
" (l'éducation et la formation tout au long de la vie). On y affirme
l'importance de l'acquisition et de la mise à jour de toutes sortes de
capacités, d'intérêts, de connaissances et de qualifications depuis l'enseignement
préscolaire jusqu'à la retraite. Un accent tout particulier y est mis
sur l'idée de " compétences " qui doivent permettre à chaque
citoyen de s'adapter à la société de la connaissance, de participer activement
à la vie économique et sociale, d'avoir une meilleure maîtrise de son
avenir.
On entend également valoriser toutes les
formes d'apprentissage, à la fois les éléments inscrits dans un cursus
formel (diplômes scolaires, par exemple) et d'autres éléments liés à des
apprentissages non formels (compétences professionnelles acquises sur
le lieu de travail, par exemple) ou informels (apprentissages s'inscrivant
par exemple dans un cadre familial, comme quand un grand-parent apprend
par l'intermédiaire de son petit-fils à utiliser les nouvelles technologies
de l'information).
Mais s'il convient de se centrer sur l'apprenant, et sur des besoins de
formation qui peuvent être très différents selon son positionnement biographique,
encore faut-il stimuler la volonté de connaissance et créer " une
culture de l'apprentissage " (d'après le site http://europa.eu.int/
comm/education/life, 23.04.2002).
En admettant que l'école reste un lieu primordial de transmission des
connaissances ou de formation des apprenants, son action doit dès lors
s'inscrire dans cette idée du " lifelong learning ". Ce qui,
dès lors, suppose une inflexion des modèles professionnels de ceux qui
ont en charge enfants et jeunes, considérés dans leurs droits - et devoirs
- de citoyens, d'agents économiques, ou d'acteurs dans des sociétés de
la connaissance. En Belgique francophone, les décrets sur la formation
initiale et continue des enseignants détaillent ainsi l'ensemble des compétences
que doivent acquérir les enseignants :
- mobiliser des connaissances en sciences humaines pour une juste interprétation
des situations vécues en classe et autour de la classe et pour une meilleure
adaptation aux publics scolaires ;
- entretenir avec l'institution, les collègues et les parents d'élèves
des relations de partenariat efficaces ;
- être informe' sur son rôle au sein de l'institution scolaire et exercer
la profession telle qu'elle est définie par les textes légaux de référence
;
- maîtriser les savoirs disciplinaires et interdisciplinaires qui justifient
l'action pédagogique ;
- maîtriser la didactique disciplinaire qui guide l'action pédagogique
;
- faire preuve d'une culture générale importante afin d'éveiller l'intérêt
des élèves au monde culturel ;
- développer les compétences relationnelles liées aux exigences de la
profession ;
- mesurer les enjeux éthiques liés à sa pratique quotidienne ;
- travailler en équipe au sein de l'école ;
- concevoir des dispositifs d'enseignement, les tester, les évaluer et
les réguler ;
- entretenir un rapport critique et autonome avec le savoir scientifique
passé et à venir ;
- planifier, gérer et évaluer des situations d'apprentissage ;
- porter un regard réflexif sur sa pratique et organiser sa formation
continuée.
L'articulation de ces compétences contribue à dessiner les contours d'un
nouveau modèle professionnel, celui d'un " praticien réflexif ".
L'innovation pédagogique, le travail en équipe, l'interdisciplinarité,
l'évaluation des dispositifs collectifs mis en place y sont particulièrement
valorisés. Cependant, si les décrets successifs consacrent ou affirment
le bien-fondé de ces compétences, des expériences avaient déjà été initiées
dans des établissements scolaires bien avant 1997. C'est l'une de ces
expériences que nous présenterons succinctement et que nous envisagerons
de façon critique. Elle a pour cadre un établissement d'enseignement secondaire
de la région liégeoise, où sont organisées des formations à finalité professionnelle (travaux de bureau, notamment).
Cette expérience, initiée il y a plus de dix ans, comporte deux dimensions
fondamentales :
- la collaboration d'une équipe pluridisciplinaire, qui a débouché sur
une approche interdisciplinaire de l'apprentissage ;
- une méthode de travail, initialement appelée " questions de débrouillardise
" puis dénommée " questions de recherche active ".
Le premier niveau, celui de la collaboration entre enseignants de disciplines
différentes, s'est imposé, selon les promoteurs de l'initiative, au départ
d'un constat : " puisque l'école rassemble des professeurs de différentes
disciplines, plutôt que de donner toujours 50 minutes à chacun un certain
nombre de fois par semaine, sans souci de cohésion, avec la seule volonté
d'attribuer à chaque enseignant son quota d'heures, pourquoi ne pas faire
autrement à certains moments de l'année ? " Mais comment comprendre
que cette volonté d'innovation, ce désir d'intégration de la démarche
pédagogique ne se sont pas éteints et ont été plus qu'un feu de paille
? Plusieurs facteurs y ont probablement contribué.
- La constitution d'une équipe autour d'un projet commun.
- La libre adhésion des enseignants à cette équipe : personne n'y a été
contraint.
- Un attachement fort de la part de chacun des membres de l'équipe à ce
projet commun, et un engagement subjectif important.
- L'apparition d'une responsabilité collective dans la prise en charge
de ce projet, et dans sa réalisation.
- Des liens interpersonnels marqués par l'estime, le respect et le dialogue.
- La volonté, dans l'élaboration du projet, de reléguer au second plan
les spécificités disciplinaires et de privilégier une approche originale
: ensemble les professeurs ont composé ce que dans leur jargon, ils appellent
une " mayonnaise ", c'est-à-dire " un produit dans lequel
les ingrédients de base indispensables à l'élaboration du résultat final
ont néanmoins disparu, se sont dissous dans un ensemble intégré ".
- La mise en uvre effective d'un projet dont la finalité était donc
opératoire - l'équipe ne s'est pas contentée d'imaginer mais elle a créé,
même si c'était en bricolant -, projet centré sur les besoins de formation
des élèves.
- Une évaluation positive des conséquences induites par la méthode imaginée
collectivement, sur les compétences acquises par les élèves, sur leur
motivation et leur engagement personnel dans la démarche et sur la satisfaction
personnelle des enseignants. L'un des effets de la démarche a probablement
été de redonner un sens à la démarche pédagogique, c'est-à-dire tout à
la fois une direction, un but vers
lequel orienter les efforts des uns et des autres, mais aussi une signification à l'activité professionnelle
et à la relation éducative.
- Le soutien de la direction de l'établissement scolaire.
À ce propos, on peut concevoir qu'un leadership
de type " démocratique " facilite le développement d'initiatives
ou d'innovations pédagogiques. Analysant les performances de trois collèges
en France, le sociologue François Dubet (1989,241-242) soulignait la situation
d'un collège où se succédaient des actions visant à réduire l'échec scolaire
mais aussi à améliorer le climat et les relations, où les enseignants
s'efforçaient chaque année d'évaluer les résultats de leurs initiatives.
L'activité au sein de ce collège semblait tenir " à la stratégie
du chef d'établissement qui ne se place pas à la tête du mouvement mais
qui le couvre. La règle peut s'énoncer ainsi : la direction aide et encourage
tous ceux qui veulent prendre des initiatives, n'oblige personne à les
suivre, mais demande à chacun de ne pas y faire obstacle (...). Cette
politique (...) offre l'avantage de ne pas diviser le corps enseignant
entre rénovateurs et conservateurs puisque personne n'est obligé de participer
à un mouvement qui implique un travail supplémentaire, tout en mettant
ceux qui y résistent dans une position assez difficile ".
En dépit de différences liées au cadre institutionnel propre à chaque
pays, le rôle de la direction paraît bel et bien central à la fois dans
l'émergence des innovations pédagogiques et dans leur poursuite. L'attitude
du chef d'établissement doit pousser ceux qui s'engagent dans un projet
novateur, et légitime, à aller de l'avant et à consentir un investissement
personnel parfois considérable car, dans les premières étapes, un travail
supplémentaire s'ajoute aux tâches quotidiennes. Le gain doit être considéré
à plus long terme et en regard de la situation des apprenants.
Ainsi, dans l'école liégeoise, plusieurs projets ont émergé : des séminaires
dans lesquels interviennent différents professeurs de diverses disciplines,
comme par exemple un séminaire budget, une journée préparatoire à la recherche
d'un emploi, un séminaire citoyenneté, etc.
Ces innovations pédagogiques ont été inspirées par une première réflexion
suscitée par une enquête réalisée par des professeurs de l'école auprès
des employeurs de leurs anciens élèves (une section professionnelle orientée
vers les travaux de bureau). Dans les réponses des employeurs, un accent
tout particulier était placé sur l'importance de l'esprit d'initiative
ou, pour reprendre l'expression de certains employeurs, de " débrouillardise
". Parfois, les élèves leur paraissaient manquer de " capacités
" pratiques comme se présenter, téléphoner, chercher une information,
etc.
En outre, compte tenu des qualifications possédées par des élèves issus
de l'enseignement professionnel et de l'image particulièrement dévalorisée
qui lui est attribuée, les professeurs estimaient important de doter leurs
élèves de " compétences " qui soient de nature à leur éviter,
une fois la scolarité achevée, de basculer dans le monde de l'aide sociale
ou du décrochage. Il s'agissait donc de penser la formation comme menant
vers le monde du travail et un revenu personnel ou, option plus minimaliste,
amenant le jeune à obtenir des revenus de remplacement (allocations de
chômage, par exemple).
La réflexion s'est alors orientée vers
une déconstruction de l'approche pédagogique. La méthode des QRA (Questions
de Recherche Active) a été progressivement affinée,
au fil des expériences successives. Sur un plan plus technique, la méthode
consiste à donner, le matin, à chaque élève d'une classe, une question
posée sous forme de casus, dans une matière qui n'a pas encore été abordée
au cours. Les cours " normaux " sont suspendus pendant le reste
de la journée, de façon à permettre aux élèves de sortir de l'école pour
trouver la réponse au problème posé. Les professeurs mettent également
à la disposition des élèves un local. Avec téléphone et annuaires, un
centre cyber-medias et, parfois, une documentation de base. Durant cette
journée de recherche, un professeur reste à l'école et est à la disposition
des élèves pour éventuellement les aider dans leur recherche. Il limite
néanmoins son intervention à la méthode et n'oriente donc pas le contenu
de la réponse à apporter.
On remet à chaque élève, en même temps que la question proprement dite,
une feuille de consignes pratiques et une fiche d'accompagnement sur laquelle
ils doivent:
- inscrire les coordonnées des sources consultées, des personnes contactées
;
- évaluer la qualité des réponses qui leur ont été apportées et l'accueil
qui leur a été réservé ;
- évaluer leur propre travail.
En fin de journée, les élèves dactylographient leurs réponses qu'ils présentent
sous la forme d'un dossier auquel ils joignent la documentation reçue
lors de leurs contacts. Le lendemain, selon un horaire préétabli, chaque
élève se présente devant un jury composé de professeurs et de personnes-ressources
pour exposer le dossier qu'il a constitué. L'évaluation porte sur :
- la qualité de la recherche effectuée;
- la compréhension de la question;
- la pertinence de la réponse;
- la forme écrite, verbale et non-verbale de la prestation. L'ensemble
des QRA est exploité la semaine suivante. Les questions et les réponses
sont rassemblées dans un petit livret qui est remis à chaque élève. Chacun
va alors exposer aux autres la question initiale et la réponse apportée.
Le professeur rectifie, complète si c'est nécessaire. Les élèves prennent
note de chaque réponse. Selon le nombre d'élèves, deux ou trois séances
sont consacrées à cette mise en commun.
Une nouvelle orientation allait être donnée à la méthode lors d'un séminaire
" Droit du travail " organisé en 2000 dans une classe de 5eme
professionnelle (l'avant-dernière année de formation) comptant 24 élèves.
Les professeurs voulaient au départ rédiger 24 questions englobant la
matière et suivre la procédure décrite. Mais la participation du professeur
de français (langue maternelle) au projet allait le transformer radicalement
et aboutir à une réalisation inattendue.
La classe avait été divisée en douze équipes de 2 élèves et 12 questions
(plus larges) avaient été rédigées. L'innovation introduite tenait à l'exposé
des réponses : plutôt que de rassembler un jury, l'équipe imagina de faire
monter chaque question et chaque réponse en une petite représentation
théâtrale. Les avis des professeurs étaient unanimes. " II faut alors
imaginer la mise en commun ... dans la salle des fêtes... Chaque équipe
à tour de rôle sur la scène. Un éducateur en renfort, comédien quand le
besoin était là. Deux demi-journées de bonheur. Pour eux. Pour nous ".
En fin de parcours, une évaluation générale est réalisée : pour chaque
élève, l'évaluation portera sur l'ensemble de la matière ou des matières
que recouvraient les QRA. Plusieurs options ont été utilisées :
- interrogation " classique" individuelle ou par groupe ;
- interrogation par des casus d'application (des casus inédits dont la
solution peut être trouvée à partir des casus abordés au cours de la recherche)
;
- remise d'un nouveau casus lors d'une épreuve intégrée en fin de trimestre
ou en fin d'année (avec un temps de préparation). Il est important de
souligner que l'évaluation générale est pensée, organisée et expliquée
aux élèves avant même de leur distribuer les QRA. Il n'est pas concevable
d'imaginer et de rédiger les casus d'évaluation après la mise en commun
: toute préparation de leçons, de séquences de cours, de séminaires passe
d'abord par la réalisation concrète de l'évaluation finale. Parmi les
matières actuellement abordées sous forme de QRA, on retrouve des questions
liées aux matières juridiques, économiques, sociales, administratives,
bancaires, financières, organisationnelles. Mais, aux yeux de ses promoteurs,
il paraît concevable que la méthode s'oriente vers des disciplines scientifiques
et littéraires. L'utilisation de cette méthode - ou technique - n'est
pas sans appeler un certain nombre de commentaires.
LES CONDITIONS ORGANISATIONNELLES
DE L'APPLICATION PRATIQUE DE LA MÉTHODE
Le recours à cette technique oblige à
(ré)organiser le temps scolaire et les activités en classe. Le soutien
de la direction et des responsables administratifs (les représentants
des " pouvoirs organisateurs ") est ici prépondérant, car il
faut convaincre les membres du corps professoral de quitter, momentanément,
certaines des routines si prégnantes dans le monde scolaire ou, à tout
le moins, de ne pas faire obstacle à l'initiative. Ce qui ne va pas toujours
de soi.
LES COMPETENCES REQUISES CHEZ LES ÉLÈVES
Les élèves très attachés à un " ordre
" scolaire " traditionnel " et les plus réservés éprouvent
beaucoup de difficultés à intégrer les nouvelles exigences. Certains font
intervenir leurs parents et ce sont eux que l'enseignant devra convaincre
sans verser dans l'affrontement. Les élèves plus réservés ou plus timides
sont accompagnés dans leur recherche par un condisciple plus audacieux,
de même que ceux qui n'ont pas une bonne connaissance de l'environnement
urbain ; mais ici, le problème ne semble que momentané. En cas de difficultés
trop fortes, il est arrivé que des élèves quittent l'établissement scolaire.
Il est vrai que la méthode renvoie à des objectifs plus larges qui peuvent
trancher avec une logique scolaire plus " traditionnelle ".
Les professeurs de l'équipe soulignent l'importance de " sortir de
la routine ", " faire un cours actif pour les professeurs et
les élèves, un cours construit par les professeurs et les élèves ",
" développer un partenariat ", " prendre des initiatives
", " faire pour savoir ", " apprendre à bouger, à
chercher, à se poser des questions ", " apprendre aux professeurs
et aux élèves à travailler en équipe, à retrouver ou à découvrir le plaisir
de travailler ensemble ", " apprendre que l'école n'est pas
un lieu fermé ", " apprendre à oser "... Cependant, sur
un plan pédagogique, cette technique doit être considérée comme une façon
de faire parmi d'autres : la diversification des approches est, en la
matière, probablement plus fructueuse dans la rencontre d'un public scolaire
de plus en plus hétérogène. Et on peut rappeler que les orientations pédagogiques
choisies ne sont d'ailleurs pas sans effets sur les élèves. Et ces effets
sont largement différenciés parce que la pédagogie retenue n'éveille pas
nécessairement le même écho chez les uns et chez les autres, compte tenu
par exemple des connaissances possédées par le milieu familial, des compétences
culturelles, des valeurs éducatives privilégiées, etc.
Dans une critique des nouvelles pédagogies, le sociologue genevois Philippe
Perrenoud (" Les pédagogies nouvelles sont-elles élitaires ? Réflexions
sur les contradictions de l'école active ", Service de la recherche
sociologique, Genève, 1985, texte ronéotypé) estimait que leurs caractéristiques
les rapprochaient du système de valeurs des couches moyennes du secteur
culturel ou social qui, dans l'exercice de leurs activités professionnelles,
voient évidemment l'importance de l'autonomie.
Par contre, " l'enfant qui travaille à l'école pour faire plaisir
à ses parents, l'enfant sécurisé par les apprentissages par cur,
l'enfant qui a besoin d'identifier le sens de ses efforts en cherchant
un parallèle avec la vie de travail telle qu'il la perçoit chez ses parents,
cet enfant-là risque d'être mal à l'aise et mal compris quand il raconte
sa journée de travail à l'école ". En d'autres termes, les pédagogies
traditionnelles ont plus de points communs avec le monde du travail ouvrier
(importance de la discipline et de l'ordre, respect des règles, valorisation
de l'effort), au contraire des pédagogies nouvelles centrées sur :
- la valorisation de la personne dans sa singularité par opposition au
rôle qu'elle occupe ou au groupe auquel elle appartient ;
- la participation à la vie sociale par intériorisation de ses normes
plutôt que par obéissance ;
- l'autonomie et la réalisation de soi au travers d'un projet personnel
qui consacre une vie réussie ;
- une organisation de la classe souple, peu codifiée et négociée ;
- un affaiblissement des frontières entre disciplines et une formation
centrée sur l'acquisition de démarches fondamentales
(Perrenoud P.,1985).
En fin de compte, il semble bien que les
investissements consentis par les élèves qui deviennent " partenaires
" de leur réussite mettent en scène des dimensions fondamentales
de leur identité. Plus que de satisfaction, il pourrait être question
de reconnaissance : " II n'est pas rare qu'en fin de semaine, les
élèves s'applaudissent et/ou nous applaudissent " ; " Une fois
les pleurs et les peurs dominés, vient la fierté, le plaisir ".
L'INCIDENCE D'UNE DÉMARCHE COLLECTIVE
La méthode est particulièrement exigeante
pour l'enseignant. Il lui faut quitter des fonctions habituelles pour
endosser de nouveaux rôles : encadrer ses élèves, se comporter comme un
entraîneur ou un coach. Il lui faut aussi travailler en équipe et dépasser
le fréquent cloisonnement des activités pédagogiques. " Par cette
technique, on découvre ou on redécouvre le travail en équipe, la convivialité,
le plaisir de travailler... Un exemple, parmi les nombreux cas qui ont
été vécus, suffisent : il nous est déjà arrivé plusieurs fois de nous
retrouver à 7 heures et demie du matin, un jour de congé, dans un hôtel
liégeois pour le petit déjeuner -pas n'importe lequel - et passer la matinée
à jeter les bases d'un nouveau séminaire".
Cependant, il convient de s'interroger sur la portée d'une démarche en
interdisciplinarité. Peut-elle constituer une fin en soi ? Si la rencontre
et la collaboration de spécialistes de différentes disciplines scolaires
perdaient de vue l'intérêt objectif des apprenants, il est probable que
la belle machine mise en place perdrait vite de son attrait...
En outre, en tant que méthodologie au service de la démarche pédagogique,
l'interdisciplinarité suppose que soient maîtrisées des compétences didactiques
qui lui sont antérieures et qui portent notamment sur la discipline de
chacun des professionnels. La mise en uvre d'un projet en interdisciplinarité
requiert que ces spécificités disciplinaires soient tout à la fois reconnues
et soumises à un objectif qui les dépasse et que la méthodologie adoptée
reunisse, coordonne et distribue les apports des uns et des autres. Et
ce sont d'ailleurs ces apports qui sont mis à l'épreuve dans la démarche
des QRA : chacun est amené à décomposer, à déconstruire ses savoirs en
regard d'une situation concrète et à les réorganiser en fonction d'une
démarche collective. Ce qui, parfois, installe l'insécurité et oblige
à l'humilité.
Enfin, conformément au modèle du praticien-réflexif, la démarche conçue
collectivement amène chacun à opérer un retour réflexif et critique sur
ce qui a été fait, et le passage par l'expérimentation concrète semble
offrir une occasion privilégiée pour que la participation devienne engagement
et pour qu'ainsi émerge le sentiment d'une réappropriation collective
de la pratique pédagogique.
Jean-François Guillaume
Docteur en sociologie.
Chargé de cours adjoint au Département de Sciences Sociales de l'Université
de Liège (Belgique).
Dans le cadre de la formation des enseignants du secondaire il enseigne:
Sociologie de l'éducation et Didactique des sciences sociales.
A l'école de spécialisation pour les enseignants de l'école secondaire
de l'Université de la Vallée d'Aoste, depuis quelques années, il enseigne
: Sociologie de l'éducation
Michel Xhonneux
Licencié en droit, il enseigne le Droit et l'Education
économique et sociale dans l'enseignement secondaire (sections de l'enseignement
général, techique et professionnel).
Depuis de nombreuses années, il collabore à la formation des futurs enseignants
en Sciences sociales à l'Université de Liège, où il est actuellement assistant
auprès du Service de didactique des sciences sociales.
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