Le Mont-Blanc apprivoisé La grande aventure de la montagne permet aux enfants de se découvrir des capacités nouvelles et de jouir dune satisfaction à la hauteur du défi lancé pour surmonter les difficultés rencontrées. En mai 2002 jai donné lors du Forum Transfrontalier de lÉducation une conférence intitulée : " léquipe face au risque ". Cest une intervention que je fais habituellement devant un public dentreprises, et qui sert de point de départ à un travail de réflexion sur les conditions dans lesquelles des individus, au sein dune équipe, agissent dans un environnement présentant des risques ou des enjeux importants. Pour présenter ce que mes expériences en montagne mont appris, je pars dabord du récit dune tentative que jai faite sur lEverest, et de lascension de ce sommet que jai effectuée lannée suivante. Dans une deuxième partie, je pars dautres ascensions effectuées en cordée de deux et de récits appartenant à lhistoire de lalpinisme, pour développer un peu plus particulièrement ce qui a trait aux relations au sein dune cordée. Nous voilà apparemment un peu loin de la pratique de la montagne par des enfants et des jeunes. Et pourtant quelques mètres descalade, larrivée à un petit sommet sont pour des jeunes loccasion de découvertes aussi extraordinaires et formatrices que le sont pour des alpinistes chevronnés les géants de lHimalaya. Pour illustrer mon propos nous nirons pas cette fois-ci sur lEverest, mais sur des sommets plus modestes qui ont servi de terrains de jeux à des stages que je fais avec des enfants depuis plusieurs années. Nous y suivons une progression que je vous propose de découvrir avec moi, et qui nous permettra de voir quel peut être lapport pédagogique dune pratique de la montagne pour des enfants et des jeunes.
Grimper sur des blocs. Le parcours dinitiation. Nous faisons des petites montées, des petites descentes et des traversées pour acquérir les rudiments des gestes de lescalade. Les enfants découvrent un nouvel usage de leur corps : se placer, anticiper des mouvements, chercher léquilibre, déplacer son poids sur ses appuis. La peur du vide nintervient pas puisque nous ne sommes pas en hauteur, mais les enfants prennent conscience quil faut acquérir une technique, quil faut un apprentissage. Face à cette situation nouvelle, les enfants ont des comportements divers, sont plus ou moins doués ou rapides, calmes ou nerveux, coordonnés ou hésitants. Tous se concentrent et, pour peu que lon veille à ne pas les mettre dans des situations insurmontables, tous se découvrent des capacités nouvelles et se voient progresser (on peut refaire des passages). Dès ce stade, ils apprennent à évaluer des risques : une petite chute sur une racine, pourquoi on met le casque, Le jeu nest pas quindividuel : dans certains passages, on apprend à se parer mutuellement, à être partiellement responsable de la sécurité de lautre. Le matériel individuel. Lenfant découvre les chaussons descalade, le casque, le baudrier. Il sera responsable de ce matériel pendant toute la semaine. Il apprend à se préparer, à faire un nud dencordement. Par une répétition inlassable, ces gestes de sécurité seront acquis à la fin de la semaine. Il sait que lescalade est une activité qui présente des risques ; il apprendra à les maîtriser par la vigilance, le respect des règles et lanticipation. Assurer un compagnon. Sur un bloc un peu plus haut, nous plaçons une corde et les enfants sassurent mutuellement pour le gravir. Lun développe le sens de sa responsabilité vis-à-vis de lautre, ce dernier développe sa confiance. Se confronter à la hauteur bouscule les hiérarchies naissantes du groupe : les réactions au vide sont quelquefois surprenantes. Certains doivent faire preuve dun peu de modestie ; dautres, plus réservés, se trouvent valorisés. Faire un petit rappel. Le rappel, cest un peu de technique, beaucoup de maîtrise des émotions. Dès ces premières activités, il y a évidemment de lémulation entre les enfants. Mais tous les enfants, à des degrés divers, connaissent les mêmes émotions et rencontrent les mêmes problèmes et, lorsque lun dentre eux est en difficulté, cest lentraide qui domine, pas la raillerie. Grimper en falaise Grimper plusieurs longueurs de corde en second. Changement de dimension :
nous faisons lescalade dune falaise de 80 mètres. Il faut
faire plusieurs longueurs de corde et des relais intermédiaires. Plusieurs
choses sont nouvelles : le vide ; la répartition des tâches
(les enfants assurent le guide) ; lorganisation au relais,
endroit exigu ; les manuvres au relais (auto-assurage, assurage
du premier, soccuper du bon défilement de la corde, manuvres
au départ). En outre, plus dautonomie est nécessaire face aux difficultés
techniques et à lappréhension, car le guide se trouve plus éloigné
et ne peut conseiller de la même manière. Lenfant prend des responsabilités,
doit devenir plus autonome, se rend compte de la nécessité dobserver
des règles pour se trouver en sécurité (dautant plus facilement
que le vide impressionne !). Chaque cordée comprend 2 ou 3 enfants
qui se conseillent mutuellement et commencent à faire un travail déquipe. Grimper une longueur en tête. Cest la grande aventure, sur une voie dune quinzaine de mètres, assez facile pour ne pas mettre lenfant en échec : il est déjà bien difficile de maîtriser sa peur, de faire toutes les manuvres correctement. Les enfants sont par équipes de deux, par cordées : lun grimpe, lautre assure. Lassureur doit être attentif, vigilant, bien donner le mou, être prêt à réagir. Les enfants se conseillent mutuellement et se corrigent. Nous avons toujours constaté une grande entraide dans cette situation exigeante.
Bivouaquer en montagne Préparer et faire son sac. Le bivouac en montagne est le moment le plus marquant car le plus aventureux. Les enfants découvrent que laventure se prépare, ne simprovise pas, et cela commence par la préparation du sac : quoi emmener ? Comment remplir le sac pour que tout rentre ? Quest-ce qui est utile, indispensable, superflu ? Quest-ce qui doit être sur le dessus, au fond du sac ? Quallons-nous rencontrer ? Avec laide de lencadrement, il faut imaginer de quoi on aura besoin, se projeter dans lavenir. Faire une longue marche. Il est souvent difficile de faire une marche de plusieurs heures avec des enfants sauf avec la perspective de laventure nocturne ! On y apprend à séconomiser, à prendre un rythme régulier, à persévérer dans leffort, à soccuper des petites misères de la marche, à sentraider si les plus faibles ou les plus jeunes ont du mal : car tout le groupe est solidaire, il faut rester ensemble. Chacun apprend à prendre dans le groupe la place qui rendra celui-ci le plus efficace : en tête pour dynamiser, en queue pour aider et ne laisser personne derrière. Installer le bivouac et passer la nuit. On affronte linconnu, on apprend que leau est une denrée précieuse à économiser, on apprend à partager et à ne pas gaspiller la nourriture, à choisir un emplacement pour planter la tente, à protéger le matériel et enfin on découvre la nuit en montagne, inquiétante et excitante à la fois. Le groupe se soude énormément dans cette circonstance. Atteindre un sommet Partir tôt . Du bivouac il faut partir tôt. Cest la motivation pour le sommet qui est notre moteur, que nous soyons adultes ou jeunes. Evoluer sur des arêtes rocheuses. Pas de difficulté technique, mais cest le vide en grandeur nature, la dimension de la montagne, et cest là que lon commence à comprendre à quoi nous sert tout ce que nous avons appris, que ce soit techniquement ou sur le plan du comportement. Le sommet. La magie du sommet est très forte, il suffit de voir le regard des enfants à ce moment-là, la joie immédiate et le plaisir davoir maîtrisé ses peurs. Cest un plaisir qui se partage. La descente. Cest le moment dun apprentissage essentiel pour lapprenti-alpiniste : au sommet, la course nest pas encore finie. Cette " leçon " trouve des échos dans bien des circonstances de la vie. Evoluer sur un glacier Découvrir un milieu et ses dangers. Les enfants découvrent rapidement que marcher et même grimper avec des crampons sur un glacier nest pas aussi difficile quils se limaginaient. Ils découvrent aussi le vrai danger : les crevasses. Le glacier est un des meilleurs endroits pour se rendre compte concrètement que la difficulté et le danger ne sont pas synonymes, quune action en apparence facile peut être dangereuse.
Faire lascension dune grande paroi Durant lapprentissage des jours précédents, on sest efforcé daborder les difficultés nouvelles une par une pour se donner les moyens de les maîtriser progressivement. La grande paroi, cest un peu la synthèse car les enfants se trouvent dans une situation plus complexe qui leur demande de sortir le meilleur deux-mêmes : lescalade est un peu difficile et elle dure longtemps ; il faut de lautonomie pour surmonter les difficultés techniques et pour assumer ce que lon doit faire au relais ; il faut de linitiative face aux imprévus (une corde qui se coince ou fait des nuds, le premier de cordée que lon nentend plus,..) ; il faut de la solidarité car tout le monde est embarqué dans une aventure en commun ; il faut de la persévérance et du courage dans cet environnement impressionnant. La satisfaction des enfants et des jeunes est à la hauteur du défi quils relèvent avec nous. En même temps que les compétences individuelles et collectives quils développent en devenant des " apprentis-alpinistes ", ils découvrent par lexpérience une dimension à mes yeux essentielle : en pratiquant la montagne, on apprend non pas à jouer les " matamores ", mais à évaluer les risques et à se donner les moyens de les maîtriser.
Érik Décamp
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