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Pas de murs pour lécole de Lashkargah Goz
Il faut
dabord établir les cartes pour pouvoir situer un village de montagne
et ses écoliers dans une région reculée du Pakistan. La multitude des
langues parlées y rend nécessaire un efficace système de communication
verbale.
Les régions de montagne sont
les plus pauvres et les plus isolées du Pakistan, elles sont aussi les
plus touchées par l'illettrisme. Dans la Province de la Frontière du Nord-Ouest
et dans les Régions Nord, un homme sur trois et une femme sur vingt seulement
savent lire et écrire alors que, dans tout le pays, deux adultes sur trois,
cest-à-dire un homme sur deux et quatre femmes sur cinq, ne savent
ni lire ni écrire. Un adulte, ici, est une personne âgée de plus de 15
ans (Ces chiffres sont des estimations et se rapportent au milieu des
années 90).
L'État ne consacre en fait
quun trentième de ses dépenses à l'éducation, contre un tiers au
budget de ses armées. Le système scolaire étant inégalement réparti, les
disparités régionales saggravent et, là où il existe, la qualité
de lenseignement se détériore. Presque partout, le secteur privé
vient suppléer les insuffisances de lÉtat.
Lécole
à 3 600 m daltitude
Ici, fin septembre, les journées, froides, sont encore belles et cette
classe en plein air est celle de Lashkargah Goz, dernier hameau permanent
de la haute vallée de la rivière Yarkhun, à dix bonnes heures de marche
de Lasht, terminus de la piste qui conduit à Chitral, chef-lieu du district.
À 3 600 m daltitude, une trentaine de maisons s'éparpillent
en cercle, autour de maigres champs dorge, à la croisée de cols
amples et faciles, ouverts sur les Pamirs et donnant accès à lIndus.
La position est stratégique. Son nom, Lashkargah Goz, signifie en xikwor
(1), la langue dici : "le lieu où peut camper
et fourrager une armée [de cavaliers]". En effet, le versant
où est établi le hameau est ample et herbeux. Une armée chinoise, forte
de 6 000 hommes et de leurs chevaux, conduite par un général coréen,
y a sans doute bivouaqué une nuit daoût 747. Après avoir traversé
le Borogul An (2) et, ayant remonté la Yarkhun, elle sétait
arrêtée là, avant de poursuivre jusquà Shuwor Shir pour franchir
ensuite, en trois jours, le Darkot An. Elle allait fondre sur Yasin et
y défaire les Tibétains qui, sen étant emparé, menaçaient lEmpire.
Plus haut, sur une lame rocheuse, au cur des pâturages, un nom turc,
le seul de toute la vallée, Top Khana, la maison (khana)
du canon (top) désigne un fort en ruine. Il rappelle indirectement
les luttes dont ces parcours ont été lenjeu entre turcophones et
iranophones.
Des familles dorigine kirghize, venues du Wakhan afghan et dont
le xikwor est proche du farsi (persan), ont réussi, avec le temps, à sinstaller
à Lashkargah Goz et à sy maintenir chichement.
La récolte est achevée et, avec les premières neiges, les troupeaux sont
redescendus. Les plus jeunes, huit garçons et quatre filles dans cette
classe mixte, ont désormais le temps dapprendre, en ourdou et en
anglais, à parler, à écrire et à lire sous la férule de leur maître, Abibullah.
Leur école est lune des 176 créées et soutenues par la Fondation
de lAga Khan dans les vallées les plus reculées du nord du pays
où elle est implantée depuis 1946. Certes, la religion pratiquée au village
est celle de lislam chiite ismaélien, dont Karim Aga Khan est le
chef mais, plus généralement, la fondation aide tout projet éducatif quand
il sadresse, comme ici, aux plus isolés, aux plus défavorisés et
aux filles.
Pas de carte
sans une préalable et méticuleuse recherche sur le terrain
Jai découvert ce hameau avec ces élèves et leur instituteur
installés en plein air, lors dun de mes voyages. À partir de l'été
1998, j'ai conduit plusieurs reconnaissances au Pakistan, dans l'Hindu
Raj (Hindu Kush), pour le compte de la Fédération Française de la Montagne
et de l'Escalade et l'Union Internationale des Associations d'Alpinisme,
afin d'organiser, dans un premier temps, un camp de jeunes alpinistes
en 1999.
Il en est résulté un rapport Hindu Raj (Hindu Kush-Pakistan),
en deux parties : 1-Nialthi et Ishkoman (1998)
et 2-Darkot et Yarkhun (2002). Des sept cartes inédites qui
l'accompagnaient, j'ai tiré celle-ci.
Voici comment j'ai pu les établir. Avant mon départ, à partir des cartes
au 1/250 000 AMS Series U-502, Mastuj (NJ 43-13, 1955) et
Baltit (NJ 43-13, 1963) et avec l'aide de croquis publiés par ailleurs
(A. Linsbauer 1968, A. Stamm 1969, R. Isherwood 1970, A. Diemberger 1971,
F. Brunello 1998
), j'ai dessiné des fonds, que j'ai emportés avec
moi, de ce massif, à lextrêmité nord-est de lHindu Kush.
Au fur et à mesure de mon avance, je les ai complétés, corrigés ou adaptés
sur place (les glaciers, en particulier, ont largement reculé depuis 1955) ;
et pour la toponymie qui faisait largement défaut, après avoir contrôlé
celle qui existait, j'ai recherché, avec l'aide de mes amis hunzas qui
m'accompagnaient, Jawed Ali, d'Altit, Amanullah Khan, de Baltit, Saïd
Jan et Alam, de Hussainabad, auprès des habitants, chasseurs et bergers
des vallées que je remontais (Nialthi, Darkot, Ishkoman et Yarkhun), quel
était le nom des sommets, des versants, des torrents, des bergeries, des
hameaux, des villages
La plupart n'étant pas connus, je les consignais pour qu'ils ne soient
pas oubliés et perdus. À Nialthi, Murrad Ali, Sahib Shah, Sher Neap et
Ali Yar Khan l'ont compris et me les ont indiqués. Autour de Darkot, Bilawar
Khan, Karim Khan et Sefat Ali et, pour Ishkoman, Taigoun Shah et son beau-frère
ont fait de même comme, dans la haute vallée du Yarkhun, Laili Khan, Habil
Khan et Juma Khan à Ishkarwaz, Nour Mohamed à Garhil et Amir Khan à Lashkargah
Goz. Le burushaski de Hunza étant parlé dans ces vallées, Alam, qui connaissait
aussi le shina, Jawed, Saïd et Amanullah ont essayé de m'en donner une
traduction anglaise quand cela était possible.
Le cheminement de l'enquête était parfois tortueux comme ici pour cette
carte. Alam, Jawed et moi revenions sur nos pas et descendions le Yarkhun.
Nous nous étions arrêtés dans la matinée à Lashkargah Goz et à nouveau,
nous faisons halte à Garhil.
Les deux frères qui nous accompagnaient depuis plusieurs jours avec leurs
chevaux, Habil et Juma Beg, nous avaient bien nommé les lieux traversés,
mais ignoraient leur signification. Nour Mohamed, qui est un vieil homme,
s'approche ; sa seule langue est le xikwor, proche du farsi (iranien)
qui est parlé dans la vallée. Impossible de le questionner.
Amir Khan, d'Imit, près d'Ishkoman,
curieux, descend de cheval. Il a traversé comme nous le Karambar An ce
matin et se rend à Ishkarwaz dans sa belle-famille. Le shina est sa langue
maternelle et le xikwor, celle de sa femme ; la conversation peut
donc s'engager. Ainsi, lorsque je posais mes questions à Nour Mohamed,
je m'adressais d'abord en anglais à Jaweed qui transmettait en burushaski
à Alam, Alam traduisait en shina à Amir Khan qui, à son tour, l'ayant
comprise, posait ma question en wakhi à Nour Mohamed. De même, en retour,
la réponse me parvenait en quatre étapes :
Nour > wakhi >Amir > shina
> Ala > burushaski > Jawed > anglais
> Bernard.
Et voici les explications que donna Nour
Mohamed :
-
Garhil : de gar,
rocher et de hil, enclos ;
-
Thin Yuphkh :
la source (yuphkh) chaude (thin) ;
-
Lashkargah Goz :
"où peut camper et fourrager une armée [de cavaliers]" ;
de lashkar, armée, gah, lieu et de goz, herbe ;
-
Tiridas : la flèche
(tir) fichée (dans le roc) [il y a 20 ans]
-
Shuwor Shir :
"où s'est tenue l'assemblée" [il y a longtemps -cent ans
au moins] [pour régler les conflits de parcours sur ces pâturages,
les plus riches de ces montagnes]
-
Top Khana : la
maison (khana) du canon (top)
-
Yirgot Maiden :
la bergerie du vautour (yirgot)
-
Lale Rabot : de
lale, riche et de rabot, maison
-
Dor Mergish :
de mergish, endroit pur et propre où habitent les fées et de
dor, étroit
-
Bori Mergish :
bori, "d'été"
-
Rabot : "maison"
-
Jhui Sar : la
montagne (sar) du lac (jhui).
(1) Le xikwor
est une langue indo-européenne, iranienne, du groupe de celles du Pamir,
où "lashkar" est l'armée, "gah", le lieu
et "goz", l'herbe.
(2) "An",
pour col, en khowar. Le Khowar, la langue (war) du peuple
(kho), est parlé et compris dans le district de Chitral.
Léducation :
un objectif majeur pour l Aga Khan Foundation |
La Fondation Aga Khan (Aga Khan
Foundation) est une organisation non-gouvernementale, une agence
non confessionnelle de développement international, créée en Suisse
par son altesse lAga Khan. Son activité, exemplaire en Afrique
orientale et en Asie musulmane, est mal connue. Sa mission est
de développer et de promouvoir des solutions aptes à résoudre
les problèmes qui sont un obstacle au développement social.
LAga Khan Education Services (AKES) est une des quatre agences
de la fondation. Elle soutient des activités dans le domaine de
léducation. Elle gère plus de 300 écoles et programmes éducatifs
avancés destinés à fournir des services de qualité, dans les écoles
maternelle, élémentaire, secondaire et denseignement supérieur,
destinés à plus de 54 000 étudiants dans différents pays :
Pakistan, Inde, Kenya, Uganda, Tanzanie et Bangladesh.
Un important objectif de la fondation est celui daméliorer
la qualité de léducation de base avec un programme de subventions
aux gouvernements et aux ONG.
Parmi les nombreux facteurs qui influencent la qualité de léducation
de base, quatre en particulier ont été retenus par la fondation :
- lieu, temps et contenu de la
formation des enseignants ;
- qualité de la formation pour
toutes les catégories professionnelles qui soccupent
déducation ;
- rôle des gouvernements, des
ONG, des communautés et des parents pour financer et gérer
léducation ;
- importance culturelle et économique
du curriculum.
Par exemple, la formation
denseignants sur place a été lancée, déjà en 1983, dans
les régions septentrionales du Pakistan où lAKES y a introduit
des méthodes denseignement mettant lenfant au centre
du projet éducatif. En Tanzanie, de nouvelles techniques pour
lenseignement de langlais ont été introduites dans
le secondaire. Au Kenya, lAKES a eu une action pionnière
dans lintroduction des ordinateurs dans les classes.
Partout où elle est présente, lAKES est particulièrement
soucieuse de développer son programme denseignement non
seulement auprès des garçons mais aussi et surtout auprès des
filles.
Voici quelques problèmes, parmi les plus graves, auxquels se confronte
le système AKES :
- la pression continue exercée
sur les écoles AKES de la part des systèmes scolaires nationaux
extrêmement précaires et aux financements insuffisants ;
- laugmentation rapide de
la population en âge scolaire ;
- la difficulté de recrutement
et de maintien denseignants dans les zones difficiles
daccès ;
- des curriculum inadaptés aux
changements rapides de la société, en particulier en ce qui
concerne léconomie, la technologie, le système des valeurs
et louverture vers dautres cultures ;
- la situation sanitaire précaire
et la difficulté daccès à linstruction pour les
filles.
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Bernard Doménech.
Guide de haute montagne, géographe
et chercheur au Centre National de la Recherche Scientifique à Marseille-Luminy.
A aussi été amené à parcourir le Haut-Atlas au Maroc, le désert de Wadi-Rum
en Jordanie ou le Sultanat d'Oman pour proposer ou discuter d'options
d'aménagement de ces montagnes.
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