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L'école à la maison
Les métiers de la montagne
ont pratiquement tous ce point commun : ils sont saisonniers et, lorsquils
sont liés au tourisme, ceux qui les occupent doivent être disponibles
et opérationnels au moment où, évidemment, les autres jouissent de vacances.
Dans ces conditions il est difficile de concilier certains métiers de
la montagne avec le rôle de père et de mère de famille !
Mon mari et moi avons choisi de vivre avec notre famille dans un hameau
daltitude situé au cur des Alpes sur le versant français,
de façon à lier étroitement notre source de revenus, issus du tourisme
montagnard, et notre style de vie au plus près de la nature. Nous sommes
tous deux moniteurs de ski lhiver et de kayak le printemps et lété.
Il y a quelques années, avec un puis deux enfants, les saisons nétaient
pas simples à passer. Nous arrivions à peu près à résoudre les problèmes
de garde denfants, mais les pics des week-ends et des vacances scolaires
étaient de plus en plus difficiles à gérer en raison de notre manque de
disponibilité, de notre fatigue, de labsence de congé, et donc de
temps libre à consacrer aux enfants. Il sagissait, en effet, de
périodes pendant lesquelles les stations sont pleines à craquer, les moniteurs
devant travailler de façon acharnée.
La vie de famille risquait de prendre une drôle de tournure au moment
où je me posais de sérieuses questions sur léquilibre de mon foyer.
Les réactions très significatives de mes enfants étaient de plus en plus
pressantes. Je me souviens de mon fils aîné, âgé à lépoque de trois
ans et demi, qui hurlait toutes les nuits
Le jour où jai arrêté
mon travail, à la fin de lhiver, il a passé sa nuit sans broncher.
Le message était clair.
Une amie me parla alors dune formation denseignement de type
particulier : des personnes apprenant à instruire eux-mêmes leurs
enfants, sans le recours de lécole. Pour cela elles se préparaient
grâce à une formation commençant dans la période creuse de lautomne.
Je décidai de my inscrire. Il sagissait de la méthode Maria
Montessori, dispensée par le centre pédagogique La Source à Villemus (Alpes-de-Haute-Provence).
Donc, après avoir reçu une préparation à lenseignement Montessori
et avoir été séduite, jai décidé de ne plus exercer mon métier de
monitrice de ski et de kayak pour instruire mes trois enfants à la maison.
Belle et difficile à la fois, laventure a commencé il y a 7 ans
et dure encore aujourdhui.
Cette forme denseignement ma tout de suite paru logique, sensée
et respectueuse de lenfant. Elle vise, en effet, à développer chez
lapprenant le vecteur conscience en même temps que le vecteur intelligence.
Elle prévoit une synthèse entre instruction et éducation. Les rythmes,
la personnalité, les différentes formes dintelligence propres à
chaque enfant sont respectés.
Dans le cadre de cet article, il est bien sûr impossible dexpliquer
dans le détail cette méthode. En deux mots, grâce à elle, il est possible,
à partir de lâge de deux ans et demi, de proposer à lenfant
le maniement de toute une panoplie de matériels lui permettant de développer
sa concentration, son attention visuelle et auditive, son orientation
spatiale etc. Cette démarche lamène, progressivement et en douceur,
à labstraction, sans aucune difficulté, puisquil a, petit
à petit, constaté le pourquoi des choses, la compris et assimilé.
Cette méthode intègre des activités manuelles telles que le jardinage,
le bricolage, les travaux domestiques qui acquièrent une place aussi importante
que les disciplines purement scolaires.
Comme nous avons pu le constater pour nos trois enfants, chacun peut apprendre
à sa manière grâce à la flexibilité de cette méthode. Cela nest
pas très commode pour la personne qui soccupe de lenseignement ;
mais quel enrichissement pour tous!
Une notion me paraît essentielle
: lenfant nest jamais mis en situation déchec, car le
matériel lui permet toujours de trouver seul la solution. Il ny
a pas de note, ni dappréciation dans lenseignement Montessori.
Quand lenfant narrive pas à comprendre létape proposée,
on revient à la précédente jusquà ce quelle soit bien assimilée.
Il sagit toujours de dire oui à leffort que fournit lenfant,
jamais au résultat.
Le fait davoir la possibilité dorganiser lemploi du
temps de lenfant, de choisir son rythme et ses périodes de travail,
permet de sadapter aux exigences de ces métiers de la montagne que
nous exerçons et, en même temps, cela sest révélé être une solution
à nos problèmes. Ainsi, nous prenons nos vacances aux mois doctobre
et de novembre, lorsque la saison deau vive est terminée et celle
de ski pas encore commencée. Cest la seule période pendant laquelle
nous pouvons tous nous retrouver en famille et en congé !
Étant libres de tout horaire imposé de lextérieur, je peux emmener
mes enfants sur les lieux de travail de mon mari pendant les neuf autres
longs mois sans congé. Lorsque son planning le lui permet, aux périodes
creuses, nous passons une heure ou deux avec lui. Ainsi, nous grappillons
quelques heures de ski délicieuses pour les enfants, au mois de janvier,
quelques descentes de raft au mois de juin, un pique-nique au bord dune
rivière, etc.
Nous apprécions aussi le fait de pouvoir pratiquer toutes sortes dactivités
hors de la cohue (piscine, musique, randonnée, ski, etc.) ; de choisir
les rendez-vous chez les dentistes ou autres docteurs, en dehors des mercredis
ou samedis ; de ramasser les champignons quand ils sortent même si
cest un mardi ou un jeudi ; de profiter sans danger dinoubliables
parties de luge sur la route, juste avant le passage du chasse-neige.
Les exemples sont nombreux.
En contrepartie de cette liberté, il y a une ferme volonté, de la part
de tous les membres de la famille, de maintenir ses engagements pour accomplir
un travail de qualité avec des objectifs bien définis à atteindre. Les
enfants savent que sils ne travaillent pas suffisamment, ils ne
pourront plus rester à la maison et il faudra quils aillent à lécole.
Ils savent pertinemment que leur mère ne peut pas jouer le rôle de gendarme
et que sils ne travaillent pas volontiers, il faudra changer notre
manière de vivre.
Suivant la personnalité de chacun, cela se réalise plus ou moins facilement.
Ils sont ainsi responsabilisés. Ils voient concrètement le temps que nous
passons pour effectuer chaque chose. Ils perçoivent la nécessité daccomplir
correctement la tâche confiée, dans quelque domaine que ce soit, pour
la bonne marche de la maisonnée et la pleine jouissance des moments de
liberté. Si quelque chose se passe mal, lorganisation est bousculée
et, parfois, on ne peut pas réaliser ce que lon avait prévu. Je
pense que cest une bonne école de vie.
Nous navons pas un horaire rigide mais nous avons adopté un canevas,
avec des mailles assez larges, qui permet de sadapter aux circonstances.
Les activités que les enfants pratiquent à lextérieur, avec les
autres, comme la musique ou le sport, sont, quant à elles, soumises à
des horaires fixes.
En général, nous travaillons beaucoup plus le matin que laprès midi.
La journée commence par un solide petit déjeuner que les enfants prennent
tranquillement. Nous navons jamais de grandes périodes sans activités
de type scolaire mais, par contre, une répartition équilibrée sur toute
lannée.
Notre organisation est attentive aux rythmes de chacun des enfants. Par
exemple, à propos des rythmes journaliers, mon fils est capable dune
grande concentration et dune bonne capacité de travail le matin,
mais pas laprès-midi. En ce qui concerne les rythmes saisonniers,
lhiver les enfants demandent toujours à manger et à se coucher plus
tôt. Pour ce qui est des rythmes biologiques, nous sommes attentifs aux
périodes de fatigue de chacun, comme les " poussées de croissance
", par exemple. Malgré tout, nous devons faire preuve dune
certaine rigueur car il est assez facile, à la maison, de se laisser aller
à la dérive et de ne pas terminer ce qui était prévu au départ.
" Tout cela est bien
joli, me direz-vous, mais la socialisation dans tout ça ? " Je ne
métendrai pas trop sur ce sujet qui tourne si facilement à la polémique !
Souvent amenés à discuter de ce problème, lexpérience aidant, nous
adoptons la tactique dexposer simplement ce que nous vivons et de
laisser lautre juger par lui-même.
À ce propos, certaines personnes mont affirmé que, daprès
elles, la façon de vivre que nous proposons à nos enfants est insensée.
Je me souviens encore de cette fameuse rencontre pendant laquelle ces
personnes étaient accompagnées de leurs enfants qui ne cessaient de crier,
de taper, de provoquer, tandis que les miens restaient calmes et impassibles.
Les préjugés ont la vie dure !
Dautres personnes, par contre, nous ont avoué quelles étaient
surprises du bon résultat que nous obtenions.
Nous sommes sensibles aux critiques car, du fait de notre marginalité,
nous sommes extrêmement vigilants et nous recherchons constamment à déceler
ce qui pourrait "coincer" de façon à rectifier le tir quand
cela savère nécessaire.
Comment oser refuser de donner, à ses propres enfants, lopportunité
de profiter de lécole gratuite offerte par lÉtat, si lon
nest pas intimement convaincus quil est possible de parcourir
une autre voie et dobtenir de bons résultats ? Comment, en
tant que parents, est-il envisageable dassumer cette énorme responsabilité
de ne pas faire comme tout le monde dans ce domaine en nobtenant
pas un résultat que lon pense plus satisfaisant ?
Mes enfants sont appréciés par leurs camarades et ils se voient bien souvent
confier des responsabilités dans des activités quils pratiquent
avec les autres ; par exemple, ils aident volontiers ceux qui en
ont besoin. Je me suis laissée dire quen collectivité ils sont dynamiques
et agréables. Je suis bien certaine quils sont comme les autres
mais, ne vivant pas en permanence le stress de la vie de groupe, ils sont
tout simplement plus disponibles et plus à lécoute.
Je navais pas du tout ces idées il y a une dizaine dannées.
À lépoque, jai même beaucoup critiqué et douté du choix damis
qui nenvoyaient pas leurs enfants à lécole. Jai été
très surprise par lattitude de ces enfants, dits marginaux, par
leur joie de vivre, leur serviabilité, leur maturité et leur sens des
responsabilités.
Dans le département, nous sommes une vingtaine de familles à ne pas faire
fréquenter lécole à nos enfants ; dans certains départements
il y en a davantage. Il semblerait même quau niveau national de
plus en plus de familles fassent ce choix.
Pour la plupart, ce choix alternatif est fait à cause de léchec
scolaire, de problèmes psychologiques liés à la violence etc., ou tout
simplement pour proposer une instruction alternative à celle institutionnelle.
Beaucoup optent pour des organismes spécialisés dans lenseignement
par correspondance. Une minorité de familles font comme nous et, comme
dans toutes les minorités, la solidarité est très forte. Les contacts
sont extrêmement riches et intéressants, chacun sorganisant et faisant
des choix particuliers en fonction de ses enfants, de son identité propre
Lentraide est très forte et les informations de toutes sortes circulent
bien. Une association " Lécole à la maison " sest
même constituée dans le département.
Pour ma part, je reste en contact avec des personnes qui ont suivi la
même formation Montessori que moi, ainsi quavec les formateurs du
centre La source de Villemus. Ces derniers sont toujours extrêmement disponibles
et compétents.
La méthode que jai adoptée suit une progression par étapes qui senchaînent
avec précision.
Si le travail se déroule selon la programmation prévue, lenfant
acquiert largement les compétences requises par le ministère de léducation
nationale. Il existe de nombreux livres parascolaires pour vérifier les
acquis des enfants. Nous adoptons aussi des grilles dévaluation
en vigueur dans les écoles. Je garde aussi des contacts avec des amis
ou des parents instituteurs. Même quand ils nhésitent pas à critiquer
le travail que nous faisons, jaccepte volontiers le dialogue et
je tiens compte de leurs remarques et de leurs suggestions, lorsquils
sont ouverts. Ils apprécient eux-mêmes certains concepts quils nont
pas rencontré dans leur formation.
Quel rapport avons-nous avec les institutions de lÉtat ?
Lorsquun enfant est inscrit dans une école par correspondance, il
suffit denvoyer un certificat de scolarité au maire de la commune
et à linspecteur de lacadémie. Si celui-ci veut avoir des
renseignements sur le niveau de lenfant, il sadresse à lorganisme
qui dispense les cours. Cest le cas, à présent, de mon fils aîné,
11 ans, depuis quil a dépassé le niveau de lécole primaire.
Pour mes deux filles, 8 ans et 5 ans, dont jassume complètement
linstruction à la maison, un contrôle par lacadémie est prévu
chaque année pour vérifier le niveau atteint et un autre contrôle, tous
les deux ans, par le maire pour sinformer sur la famille, pour vérifier
si les conditions sont favorables au travail de lenfant et déceler
déventuels problèmes de maltraitance ou bien liés à lappartenance
à des sectes, etc.
Depuis le renforcement de la loi française pour le contrôle de lenseignement
en dehors du milieu scolaire institutionnalisé, nous avons eu trois contrôles
et une visite à domicile.
Il y aurait beaucoup de choses à dire sur la manière dont ils se sont
déroulés bien quils se soient considérablement améliorés depuis
la première en 2000.
Souvent, on a limpression que les contrôles sont effectués davantage
pour déceler les lacunes que pour vérifier les points forts de lenseignement
reçu. Jai pu remarquer que les critères ne tiennent pas compte de
la spécificité de la méthode Montessori. Si cela peut être indifférent
lors de lépreuve passée à la fin des années de primaire, quand lenfant
maîtrise bien labstraction, par contre cela peut être davantage
perturbant dans les petites classes comme au cours préparatoire, par exemple.
On peut tout de même rappeler quen France un instituteur a pourtant
le choix de sa méthode au sein de sa classe pourvu que les objectifs prévus
par le ministère soient atteints.
Toutefois, il est même arrivé, dans certains départements, que le personnel
de lacadémie ait été enthousiaste, ouvert, curieux et intéressé,
sachant voir au-delà des repères habituels et sachant apprécier linstruction
et lépanouissement de lenfant dans sa globalité.
Il est vrai aussi quun bon nombre de mamans qui ont suivi la formation
Montessori soccupent, en soutien scolaire, denfants en échec
scolaire pour lesquels, soi-disant, plus personne ne pouvait rien faire.
Elles les ont aidés à remonter la pente. Les enfants ont repris confiance
en eux et envers les autres et enfin ils ont été à même de lire, de résoudre
opérations et problèmes. Dans ces cas, linspection est très discrète.
Anne-Marie Röhken
Éducatrice sportive. Mère qui enseigne
elle-même à ses enfants
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