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Léducation
pour tous en Afrique : un slogan pour qui ?
Le problème
de léchec répété de la perspective dune Éducation pour tous
(EPT) en Afrique est posé dans cet extrait dune communication au
Séminaire Mondial sur lÉducation de Porto Alegre, Brésil, le 31.
01. 2002. Trois axes de réponses sont proposés : dabord sur lidentité
commune des choix éducatifs de lAfrique tels que définis à Johannesburg
en 1999 et à Dakar en 2000 ; ensuite sur une lecture syndicale, objective
et critique de ces discours officiels sur lEPT; enfin, sur lavenir
de lécole en Afrique.
Déjà dans les années 1960,
la communauté internationale espérait faire de lannée 1980, lannée
dune éducation accordée à tous les enfants du monde en âge daller
à lécole. Cétait à Addis Abbéba, en Ethiopie
Un nouvel
espoir naquit en 1990 à Jomtien en Thaïlande, quand la communauté internationale
jura que lan 2000 aurait vu, dans tous les pays, la réalisation
de lÉducation pour tous ! LAfrique reprit confiance. Mais
là encore, ce fut un autre rendez-vous manqué : le dénuement, le délabrement
et la pénurie chronique en tout ont continué à caractériser les systèmes
éducatifs en Afrique.
LEDUCATION
POUR LA RENAISSANCE AFRICAINE
Du 6 au 10 décembre 1999
à Johannesburg, les Ministres de lÉducation, les représentants de
la société civile et les organismes de développement international se
sont retrouvés pour faire le bilan de Jomtien et préparer Dakar 2000.
Le document final produit se voulait un Cadre daction pour lAfrique
subsaharienne dans le cas de lÉducation Pour Tous. Il avait pour
sous-titre : " LÉducation pour la Renaissance de lAfrique
au XXIe siècle ".
Il sagissait de " relancer le processus de rénovation des
systèmes éducatifs africains pour relever avec succès les défis du XXIe
siècle ".
Faisant le bilan de Jomtien, le document précise que seuls quelques dix
pays ont atteint lenseignement primaire universel. Entre 1990 et
1998, le taux net de scolarisation des garçons a progressé de 9 %, sétablissant
à 56 %, et celui des filles de 7 % pour se situer à 48 % pour lensemble
de lAfrique subsaharienne.
Des progrès qui se font avec des disparités. Par exemple, dans les pays
de lOcéan Indien, les taux (garçons et filles) atteignent 70 % ;
en Afrique de lEst aussi, (hormis la Somalie), on a noté des progrès
de 60 %. Sur les 41 millions denfants en âge scolaire qui ne sont
pas scolarisés, 56 % sont de sexe féminin.
Les Ministres reconnaissent
que les abandons scolaires se sont aussi aggravés, en raison de laugmentation
des coûts de lécole et des nombreux conflits armés. Sy ajoute
le fait que la " qualité de lenseignement reste médiocre,
et les programmes scolaires sont souvent éloignés des besoins des apprenants
".
Les Ministres sétaient engagés à " supprimer tous les obstacles
(dordre social, culturel, économique, politique et juridique) qui
empêchent les enfants, les jeunes et les adultes africains davoir
accès à une éducation de qualité ", et avaient reconnu que le
développement des systèmes déducation sur le continent " doit
reposer sur les systèmes de connaissance, les langues et les valeurs locaux,
etc. "
Les Ministres avaient mis laccent sur " la nouvelle vision
dune Renaissance africaine " qui nest pas un retour
nostalgique au précolonialisme, mais un objectif pour une Afrique "
resplendissante dans la diversité de ses cultures, dune Afrique
ayant remporté sa lutte pour la libération de lesprit ".
Dans le but de faire de cette vision une réalité, les Ministres envisageaient
de renforcer lunité africaine et la promotion de la Renaissance
africaine. Définissant dans ce cadre, des domaines prioritaires daction,
les Ministres ont souligné la nécessité : daméliorer laccès
et légalité en accordant un intérêt accru aux enfants de la rue,
en développant des stratégies déducation non formelles pour atteindre
les enfants et les adultes défavorisés ; daméliorer la qualité et
la pertinence de léducation en révisant les programmes scolaires
et les méthodes denseignement, en promouvant lutilisation
de la langue maternelle dans léducation ; de renforcer les capacités
institutionnelles et professionnelles en créant un contexte politique
propice pour offrir à tous une éducation de base, en impliquant les syndicats
denseignants et les enseignants dans lamélioration de la profession.
Sur la base de ces objectifs généraux constituant le Cadre général daction,
les Ministres ont convenu que chaque équipe nationale aurait défini des
stratégies
La réunion des Ministres sacheva sur laffirmation du rôle
de léducation comme " moyen stratégique pour parvenir à
la renaissance de lAfrique ".
LEDUCATION
POUR TOUS :
TENIR NOS ENGAGEMENTS RESPECTIFS
En Avril 2000 (du 26 au 28)
à Dakar, un autre Cadre daction est adopté par la communauté internationale.
Les participants expriment leur détermination commune pour que "
les buts et objectifs de léducation pour tous soient réalisés
de façon durable ".
Jomtien est rappelé dans ses principes et dans ses engagements, et les
participants réaffirment leur fidélité à ses conclusions. Ils notent cependant
que, dix ans après, 113 millions denfants restent exclus de lenseignement
primaire, 800 millions dadultes sont toujours analphabètes, et que
la discrimination sexuelle continue dans les systèmes éducatifs. À partir
de ces constats, le Forum de Dakar sest engagé à : développer la
protection et léducation de la petite enfance ; assurer en 2015
laccès à lÉducation de qualité pour tous ; améliorer de 50
% les niveaux dalphabétisation des adultes ; abolir les discriminations
entre les sexes
Pour atteindre ces objectifs, les gouvernements, organisations, institutions,
groupes et associations représentés ont retenu opportun de susciter un
puissant " mouvement politique en faveur de léducation pour
tous ", aussi bien au niveau national quau plan international.
Dans lÉducation, un investissement supérieur est nécessaire afin
dassurer le suivi et lévaluation des décisions, ainsi que
pour " améliorer la condition, la motivation et le professionnalisme
des enseignants "
Après Dakar, le Comité de rédaction du Forum Mondial a établi un "
Commentaire élargi sur le Cadre daction de Dakar ".
Il a pu noter que, si laide internationale à léducation de
base a augmenté dans les années 90, le total de laide au développement
a baissé dans lensemble. Et le Comité dindiquer les risques
dune marginalisation croissante des pays dAfrique privés daccès
à léducation de base, dans une économie mondiale de plus en plus
articulée autour du savoir.
La date de 2015 est soulignée pour rappeler que cest une obligation
pour tous les états d" offrir un enseignement primaire gratuit
et obligatoire conformément à la Convention relative aux droits de lenfant
". Ce qui signifie que tous les obstacles (frais de scolarité, repas
scolaires, fournitures et autres frais) doivent être réduits pour inciter,
par de telles mesures sociales, tous les enfants à mener à terme lenseignement
primaire.
LECTURE SYNDICALE
DE CES DISCOURS SUR LEDUCATION EN AFRIQUE
Il est clair que les rencontres
internationales sur lÉducation ont le mérite de reconnaître que
lÉcole ne marche pas, que les enseignants sont dévalorisés. Elles
prouvent tout aussi clairement léchec des politiques éducatives
jusquici mises sur pied en Afrique.
Que ce soit le Cadre daction pour lAfrique Subsaharienne renaissante
ou celui du Forum de Dakar, les recommandations sont les mêmes : une école
qui assure le développement de lAfrique reste à réaliser. Dailleurs
le titre du Rapport du Forum de Dakar est suffisamment éloquent : "
Léducation pour tous : tenir nos engagements collectifs "
!
Rappelons la situation précaire dans laquelle versent bon nombre denseignants,
à cause de salaires inadéquats, de leur surexploitation, de leur formation
insuffisante. À cela sajoutent les effectifs pléthoriques (des moyennes
de 100 à 150 élèves par classe), la pénurie en matériels didactiques (un
livre pour sept à neuf élèves), etc.
On a bien souvent limpression que tout se passe comme si en Afrique
on considérait que léducation consiste simplement à accueillir des
jeunes dans des écoles par des aînés qui jouent à être des maîtres décole.
Malgré tout, des bailleurs comme la Banque Mondiale considèrent que lurgence
nest pas de former des enseignants dans des écoles appropriées,
pour des durées longues et régulières, avec des salaires décents, mais
plutôt la " lutte contre le Sida qui mine les efforts "
déjà réalisés, qui tue massivement les enseignants africains, qui réduit
les naissances
La priorité du Sida doit aller de pair avec la surpriorité
de léducation de qualité
EN CONCLUSION
: UNE AUTRE ECOLE EST POSSIBLE
Lactivisme actuel des
pouvoirs politiques en Afrique autour du " Nouveau partenariat
pour le développement de lAfrique " naboutira nulle
part si le pari dune autre école nest pas formulé, assumé
et gagné. Or, pour gagner ce pari, lexpression dune volonté
politique conséquente est indispensable.
Cette autre école est possible. Elle sappuiera sur une autre société,
une société libre, démocratique, soucieuse de justice et épanouie, dans
laquelle un nouveau type dhomme et de femme va émerger : un homme
et une femme équilibrés, tolérants, engagés dans laction pour le
progrès social, économique, scientifique et culturel, un homme et une
femme critiques et autocritiques, ouverts vers des apports extérieurs,
mais aussi, profondément enracinés dans leurs propres valeurs de civilisation.
Cette autre école fera des cultures et des langues africaines son socle,
utilisera les nouvelles technologies non pas comme des outils marchands,
mais comme des instruments privilégiés pour trouver des réponses adéquates
aux interrogations de la vie. Lécole sera ainsi une institution
crédible pour promouvoir lémancipation de la personne et la justice
sociale.
Les moyens pour bâtir cette nouvelle école proviendront de laffirmation
concrète de la souveraineté des États, qui accroîtront ainsi les budgets
nationaux, solliciteront une aide internationale non contraignante, exigeront
lannulation de la dette et la réduction des dépenses militaires
et ceux de pur prestige.
Il reste que le moyen le plus sûr pour lavènement de la nouvelle
école en Afrique demeure la détermination des enseignantes et des enseignants
à résister contre la jungle néolibérale, à se battre pour la dignité de
leur profession et pour un avenir décent pour eux-mêmes, pour leurs enfants
et pour les peuples dAfrique.
Iba Ndiaje Diadji
Professeur à l'université C. A. Diop de Dakar.
Secrétaire Général du Syndicat Unique et Démocratique des Enseignants
du Sénégal
(SUDES)
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