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L'apprentissage du français langue non-maternelle

Assemblée parlementaire de la francophonie Berne - juillet 2002

Comme le disait déjà Francis Mahieux en 1976: “ L’apprentissage du français n’a de sens pour la jeunesse francophone du Sud que dans la mesure où la connaissance de cette langue permet à cette jeunesse de se former, de se perfectionner, de travailler avec efficacité et de mieux vivre.[...] Autrement dit, à côté de l’enseignement du français, langue véhiculaire, à côté de l’enseignement en français des connaissances fondamentales [...], le français doit devenir une langue de développement. Nous en sommes loin...

“ Aujourd’hui, la vérité n’est pas que le français recule, elle est que l’anglais avance plus vite que lui ”. C’est ce qu’écrivait le linguiste, Claude Hagège, en 1987. Ce constat, plus que jamais d’actualité, nous a amenés à examiner la problématique de l’apprentissage du français, dans les pays de la Francophonie institutionnelle et plus particulièrement ceux d’Afrique, ceux de l’Europe occidentale et de l’Europe centrale et orientale, ensuite les pays du Maghreb et enfin ceux du Proche-Orient.
Pour mesurer les atouts mais aussi les faiblesses de la langue française, il convient de tenir compte à la fois du contexte géopolitique et socioculturel de chaque pays. Du Nord au Sud, l’apprentissage du français diffère selon le statut : langue maternelle, langue seconde ou langue dans un contexte plurilingue.
La qualité et le rayonnement de la langue française dépendent de facteurs déterminants : la nécessité d’un système éducatif stable caractérisé par un apprentissage précoce des langues, par une formation permanente des maîtres et enfin, par différentes formes d’encouragement au bilinguisme ou au plurilinguisme selon le pays.
Le rapport sur “ L’apprentissage du français langue non-maternelle ” (dont nous présentons ici, brièvement, seulement quelques volets) a été présenté, au nom de la Commission de l’éducation, de la communication et des affaires culturelles de l’Assemblée parlementaire de la francophonie, et approuvé par la 28e session de l’APF réunie à Berne au mois de juillet 2002.

Situation du français, langue parlée et langue enseignée

Combien y a-t-il de francophones dans le monde ? Les évaluations sont nombreuses et variées, allant de cent à cinq cents millions. Le Haut Conseil de la Francophonie dénombre en 1998 :
112 666 000
francophones réels pour lesquels le français est langue première(1), langue seconde(2) ou langue d’adoption ; 60 612 000 francophones occasionnels pour lesquels l’usage et la maîtrise du français sont limités par les circonstances et les capacités d’expression ;
100 à 110 millions de “
francisants ”, soit des personnes qui ont appris le français durant plusieurs années et en ont gardé une maîtrise variable ou ceux qui, de par leur activité, sont amenés à le pratiquer même partiellement.(3)
Les dix pays où l’on trouve le plus de francophones restent la France métropolitaine, l’Algérie, le Canada, le Maroc, la Belgique, la Côte d’Ivoire, la Tunisie, le Cameroun, la République démocratique du Congo et la Suisse.
Par ailleurs, le français se classe au onzième rang dans la liste des langues les plus parlées dans le monde, derrière les groupes de chinois mandarin (726 millions), anglais (427 millions), espagnol (266 millions), hindi (182 millions), arabe (181 millions), portugais (165 millions), bengali (162 millions), russe (158 millions), japonais (124 millions) et allemand (121 millions).
Le recul institutionnel que subit le français depuis le début du XXe siècle ne l’empêche pas d’être avec l’anglais et l’espagnol, une langue à statut mondial. Après l’anglais, il reste la deuxième langue étrangère la plus choisie dans le monde.
Une menace spécifique est créée par la dégradation dramatique des systèmes éducatifs dans certains pays d’Afrique où le français est langue d’enseignement ou langue enseignée. En plus, il faut tenir compte des tendances en Afrique, et notamment en Afrique du Nord, à une nouvelle identification culturelle, y compris linguistique.
Dans les pays d’Afrique subsaharienne et de l’Océan indien le nombre des apprenants de et en français reste considérable. En effet, il représente plus du tiers du nombre total des apprenants de français hors de France. Le français s’inscrit de plus en plus, en Afrique subsaharienne, dans un contexte de multilinguisme.
Près de 20 % des apprenants de français ou en français hors de France se trouvent dans les pays d’Afrique du Nord et du Proche-Orient. D’une manière générale, le français conserve une position dominante en tant que deuxième langue étrangère enseignée. Il se situe très loin derrière l’anglais, en tant que première langue.
En ce qui concerne l’Europe occidentale, si l’on prend l’exemple de l’Italie, l’enseignement du français a connu une baisse au début des années 80. Depuis, dans les écoles primaires et secondaires, il demeure assez stable. Par contre, à l’université, la baisse des effectifs d’étudiants dans les départements d’études françaises paraît patente, en correspondance avec la diminution progressive des inscriptions dans les facultés littéraires en général. L’enseignement du français aux non-spécialistes de langues, notamment à travers le développement des Centres de langues interuniversitaires, est en revanche un progrès. L’attrait des bourses Erasmus-Socrates (la France est la deuxième destination, après l’Espagne, des étudiants italiens) l’explique en partie.
Au plan européen, le français n’est pas parvenu à se doter d’un statut privilégié. Cependant, l’installation des principales structures institutionnelles européennes, le Conseil des Ministres, la Commission, le Parlement et la Cour de Justice, situés sur l’axe de trois capitales francopho-
nes (à des degrés divers), Bruxelles, Luxembourg et Strasbourg constitue un facteur non négligeable d’adoption du français par les familles des quelque 20.000 fonctionnaires ou des élus concernés.
Les pays d’Europe centrale et orientale forment un groupe spécifique parmi les pays francophones. Dans ces pays-là, le français n’a jamais été une langue officielle, régionale, de minorité ou de domination. Il représentait plutôt une langue traditionnelle privilégiée (Roumanie, Moldavie), traditionnelle non privilégiée (Bulgarie, Macédoine, Pologne) ou tout simplement une langue étrangère optionnelle (Tchécoslovaquie, Hongrie, Albanie, Pays Baltes).
L’effondrement des régimes communistes a provoqué la libéralisation de l’offre linguistique, accompagnée par une réforme progressive des systèmes éducatifs.
L’anglais est catégoriquement le grand gagnant de cette conjoncture, mais le français a également progressé. Actuellement, 10 % des 55 millions d’apprenants de français hors de France habitent les pays d’Europe centrale et orientale, ce qui explique leur importance pour la Francophonie.
Au Québec, où le français est la langue officielle, la plupart des établissements dispensent l’enseignement en français.
À la seule exception du Cambodge, le français est rarement enseigné en Asie centrale et en Extrême-Orient.
Au Vietnam cependant, on remarque la progression du français dans les médias, ainsi que la demande d’un enseignement de spécialité, surtout dans le domaine du tourisme.

Pour une nouvelle dynamique de l’enseignement du français

Le développement du français dans les pays de l’Europe implique, selon Mme Trupin(4), la promotion du multilinguisme.
Les efforts entrepris par l’Union européenne et le Conseil de l’Europe visent à inciter l’ensemble des pays européens et notamment ceux d’Europe centrale et orientale à diversifier leur politique linguistique. Sachant, en effet, qu’en première langue, le choix des élèves se porte très majoritairement sur l’anglais, l’enseignement du français ne pourra se développer que dans les pays qui généraliseront l’apprentissage d’une deuxième langue vivante, dans leur système éducatif.
Dans un projet de coopération linguistique, la France dispose, à l’étranger, de réseaux d’établissements d’enseignement du français gérés par l’Alliance française et l’Agence pour l’enseignement du français à l’étranger.
Pour les états multilingues de l’Afrique subsaharienne, une question se pose à nous : comment la masse grandissante des non-scolarisés et des déscolarisés peut-elle apprendre le français ? La priorité doit être, avant tout, accordée à l’accès à la scolarisation et à la modernité ; et devant l’échec d’une école devenue exsangue, il faut imaginer, pour la diffusion du français, des solutions novatrices.

Conclusions

Le français se voit contester un statut privilégié, étant donné la progression de l’anglo-américain, langue de la plus grande puissance économique du monde. La seule réponse valable à cette évolution réside dans une éducation plurilingue.
Une langue, c’est bien plus qu’un simple ensemble de sons, de caractères, de mots et de grammaire. Une langue contient la mémoire collective d’une communauté, les valeurs et les traditions d’un peuple. Son existence est le signe de distinction le plus évident de toute culture.
Aujourd’hui, le danger d’un “ choc des civilisations ” est réel : la preuve en est le conflit qui s’est ouvert au début de ce troisième millénaire, où il ne s’agit plus de conquérir un territoire mais plutôt de défendre le droit à l’existence de chaque culture et de chaque civilisation.
En ce moment, le français et plus généralement la Francophonie sont à même d’exprimer et de nourrir des valeurs de partage entre des communautés et des peuples différents, mais unis par une langue commune ainsi que par un idéal partagé de démocratie, de paix et de liberté.
Nous sommes persuadés que c’est dans un esprit de partage que la Francophonie doit mettre en œuvre un enseignement du et en français, langue seconde, tout en l’inscrivant dans un plurilinguisme capable d’intégrer en priorité la langue du milieu, aussi harmonieusement que possible, dans le système scolaire.

Nathaniel Bah
Député du Bénin

Mitzura Arghezi
Députée de Roumanie

Rémy Scheurer
Président de la Sous-commission de l'Education

Notes
(1) Selon Louis-Jean Calvet, le français, langue première, ne coexiste avec aucune autre langue (situation extrêmement rare).
(2) Le français, langue seconde, coexiste avec de nombreuses langues locales (Afrique francophone). Une autre définition précise que la langue seconde est la langue de communication et langue de culture.
(3) Haut Conseil de la Francophonie, 1999.
(4) TRUPIN, Odette - L’enseignement du français dans les pays d’Europe non francophone. Compte rendu des travaux - XXe Assemblée régionale Europe, Bucarest, 14-18 septembre 1998.

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