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Est-ce une question de mode?

Une tranche de vie de prof enrobée de circulaires ministérielles. Convaincus que la réforme en cours est destinée à amener des changements décisifs dans notre façon d’enseigner, cette réflexion s’applique à dégager, sur la base de l’expérience vécue, d’une part, certaines constantes dans la pratique de l’enseignement et, de l’autre, quelques effets induits par des choix successifs effectués au niveau de l’État.

Le texte de la loi sur la réforme de l’école italienne (L. 28 mars 2003, n. 53), qui abolit définitivement la très obsolète réforme de Giovanni Gentile (1923), a été publié sur la Gazzetta Ufficiale.
Cette nouvelle réforme a été précédée par l’abrogation de la récente loi 30 du 10 février 2000 “ Legge quadro in materia di riordino dei cicli dell’istruzione ”, fortement voulue par les précédents ministres Luigi Berlinguer et Tullio De Mauro. Elle n’a même pas eu le temps d’être appliquée entièrement, alors que pendant plusieurs années nous avions été mobilisés pour travailler activement à sa réalisation. Elle proposait déjà une radicale transformation du système éducatif italien.
On se rappelle la large diffusion qu’a eu, à l’époque,
le “ Documento dei saggi ” : la synthèse des travaux de la Commission coordonnée par Roberto Maragliano (13/05/97) .
Il circulait de main en main parmi les enseignants et suscitait de nombreux commentaires. Était-ce seulement parce que c’était aussi le moment des “ concorsi abilitanti ” ? Je ne crois pas.
Le Sénat de la République vient donc de voter la Loi 53/03,
avec 146 voix pour et 101 contre. À présent on attend les décrets d’application. Ils permettront la progressive réalisation de cette loi que plusieurs syndicats n’hésitent pas à appeler contre-réforme, en lui reprochant de faire retour sur le passé.
La couleur politique de l’équipe au gouvernement change, les systèmes scolaires des pays de l’Union européenne tâtonnent dans leur recherche à s’harmoniser, et notre École en est toute chamboulée.
S’agit-il d’un effet de mode passager ou bien va-t-il falloir s’adapter ? Quoi qu’il en soit, peut-on dégager quelques constantes de notre travail de tous les jours ? celles que nous pensons devoir préserver à tout prix ? Sur quoi n’est-il pas question de transiger, nous qui œuvrons dans l’école tout au long de l’année ?
Dans notre engagement pédagogique, est-il possible de faire comme si ce qui est voulu au Ministère nous était étranger ?
L’école est une composante de la société. Si le Ministère décide d’abaisser l’âge de l’inscription des enfants à l’école maternelle, si la durée de l’instruction obligatoire est modifiée, si le choix de l’orientation scolaire est anticipé..., en un mot, si de tels changements affectent le système scolaire dans lequel nous travaillons, est-il vraiment possible de vivre la classe au quotidien sans en tenir compte ?
Mais laissons un instant de côté l’analyse des dernières décisions prises au-dessus de nos têtes. Oublions ce qui n’est apparemment pas étroitement lié à notre vie de classe. Laissons aussi tout ce qui, dans les locaux des établissements, nous occupe en dehors des heures de cours (les inévitables et parfois interminables réunions, etc.) pour nous pencher sur l’organisation et sur la programmation de notre travail au jour le jour.

LA PROGRAMMATION AU QUOTIDIEN

En début d’année scolaire, il y a un moment incontournable dans la vie de chaque enseignant : celui où il faut déposer au secrétariat un plan de travail annuel que l’on s’engage à suivre.
Bien sûr, il est prévu qu’il s’inspire du fameux programme ministériel, formulé par le Ministère, comme son nom l’indique, sorte d’Arlésienne dont tout le monde entend parler mais que l’on a rarement l’occasion de voir. Il s’agit là du texte officiel de référence qui fixe les finalités de l'activité éducative... (au moins jusqu’au DPR 275/99, quand est entrée en vigueur l’Autonomie).
Le programme (tout au moins à l’école moyenne du deuxième degré) indique des contenus que l’enseignant a le devoir d’interpréter et d’appliquer ; il fournit des indications sur le plan méthodologique et chacun est libre de suivre une méthode d’enseignement qui lui est propre.
Heureusement, il n’existe plus d’enseignant qui se limite à vouloir simplement administrer aux élèves des contenus issus d’une liste rigide destinée, apparemment, à simplifier son travail de maître mais qui, en réalité, tend à l’enfermer dans un carcan d’activités didactiques et éducatives qui risquent de le rendre insensible aux besoins de la classe, en général, et des élèves en particulier ; il faut d’abord qu’il tienne compte des mesures législatives prises dans les années 70, dont il sera question plus loin, ainsi que des textes officiels successifs et, notamment, celui concernant l’Autonomie (DPR 275/99).

UN PETIT DETOUR PAR MON EXPERIENCE PERSONNELLE

Il est vrai qu’en début de carrière tout nouvel enseignant se sent bien loin de toute lecture critique des textes officiels. De manière presque obsessionnelle, il se demande comment faire passer les savoirs, en se préoccupant de faire en sorte que les élèves les assimilent.
Et voilà déjà que la didactique pose problème ! Et ce n’est pas tout : il y a tout ce qui concerne la gestion des élèves réunis dans la classe, qui amène à faire appel à quelque chose qui, elle non plus, n’est pas simple du tout ; je veux parler de la pédagogie.
Didactique et pédagogie sont, sans doute, les deux premiers mots “ barbares ” que j’ai rencontrés dans ma vie professionnelle.
Catapultée, un peu par hasard, à l’école secondaire du second degré, ma scolarité ne m’avait procuré aucune formation pédagogique. Tout juste si je connaissais le nom et la signification du mot pédagogie, contrairement aux collègues destinés à l’enseignement dans les petites classes.
Mais, tout d’abord, qui d’entre nous n’a pas été, à un moment ou à un autre, tout particulièrement au début, impressionné par toute cette clique d’individus assis en face, les yeux rivés sur nous ? et ne s’est pas demandé : est-ce que je vais être capable de faire en sorte qu’ils se tiennent tranquilles ? Comment éviter le chahut ? Et si je n’arrivais plus à tenir ma classe ?
J’ai commencé à enseigner, mon diplôme de licence en poche ; je me suis retrouvée devant 25 adolescents, forte de mes connaissances disciplinaires, cherchant tant bien que mal à me rassurer : si j'avais obtenu mon diplôme, c’est que mes connaissances avaient été jugées d’un bon niveau ! La formation que j’avais reçue dans ma discipline ne devait pas me poser problème. Armée de mon bagage de connaissances et de mon autorité j’étais, apparemment, prête à aborder mes premiers élèves.
Le premier proviseur qui m’a accueillie, face à mon inexpérience, m’a conseillé la fermeté et de ne pas accorder trop de familiarité aux élèves...
Au secrétariat, l’employée m’a confié quelques manuels scolaires à utiliser dans mes classes ; elle m’a invitée à recopier le programme annuel, classe par classe, élaboré par le collègue de l’année d’avant. Il fallait que je me débrouille avec ça. La rentrée des classes avait déjà eu lieu : le lendemain il fallait entrer dans l’arène !
Panique ! Comment m’organiser ? Comment programmer en catastrophe le travail d’une année ? Il ne me restait qu’à suivre à la lettre les chapitres du livre et à m’inspirer des indications du professeur qui m’avait précédée.
Premier écueil, la sélection des contenus. Je passais alors de longues soirées, des week-ends entiers à préparer des pages et des pages de cours. Je me déplaçais avec un cartable bourré de livres et de mes notes personnelles. Il fallait que, sous la main, j’aie tout ce qui pouvait me servir, même en cas d’imprévus ; au cas où !
À l’époque, j’étais trop prise par le programme à enseigner pour me poser la question de savoir comment faire passer ces contenus. Deux objectifs : survivre et consigner mes évaluations lors des conseils de classe ; et une obsession : comment tenir ma classe avant que les collègues des classes voisines, ou que le proviseur ne doivent intervenir pour faire cesser le vacarme. Comment ne pas me laisser bouffer par cette troupe de sauvages ?
En commençant, je m’étais donc fixé de jouer au mieux le rôle de l’enseignant avec tous les rituels attachés à la fonction : installer d’abord le respect et les règles.
Pour ne pas me laisser déborder, je pensais qu’il fallait d’abord soigner l’apparence. Par exemple, j’évitais de mettre les jeans ; je préférais les jupes, le petit tailleur classique, pour accentuer l’air sérieux. Mais je choisissais tout de même un petit bijou ou un foulard fantaisie pour ne pas trop exagérer. Je suivais à la lettre le conseil du proviseur. Je cherchais à faire en sorte de ne pas devoir affirmer mon autorité en haussant la voix, mais de la faire sentir aux élèves comme étant une chose naturelle. Cela a marché, tant et si bien, qu’au bout de quelque temps, au cours d’un conseil de classe, une élève, la représentante de la classe, s’est plainte de ma froideur (je l’en remercie). Elle m’a ainsi donné l’occasion de revoir la façon de me présenter à la classe, car ensuite j’ai fait des efforts pour être moins distante, un peu plus chaleureuse, désirant améliorer ma façon de faire.
Je voulais instaurer un rapport nouveau avec mes élèves. La raideur des premiers temps, qui n’entrait pas en contradiction avec mon souci d’être attentive aux jeunes, devait laisser la place à une attitude plus décontractée, plus conviviale. Je décidais de ne plus rester barricadée derrière le bureau du professeur, en me déplaçant dans la classe pendant le cours ; j’essayais d’entrer en syntonie avec les élèves ; d’avoir une attitude d’ouverture, essentielle pour bien communiquer, et non de repli sur moi-même en évitant, par exemple, de tenir les bras croisés sur la poitrine pendant que je parlais.
Je crois que ce n’est pas un hasard si les séances d’e-learning et si les vidéoconférences ne peuvent substituer le travail quotidien des enseignants ; je me suis rapidement aperçue que le contact humain était essentiel dans toute activité d’apprentissage.
À côté des préoccupations liées à l’enseignement pur et simple des connaissances spécifiques de ma discipline, à la façon de tenir ma classe, j’ai toujours été soucieuse de mener une action didactique correcte.

RETOUR A LA PROGRAMMATION

Grave et consciencieuse, j’abordais les différentes parties de mon cours. Le programme ministériel devenant la base à partir de laquelle, tout comme mes collègues, je formulais une programmation annuelle, conçue comme une activité spécifique de l’enseignement, introduite par le DPR 416/74 et la loi n. 517/77.
Depuis 1974, les “ Decreti delegati ” avaient permis de passer de la simple application du programme ministériel à la programmation qui, à la différence du programme, n’était plus axée exclusivement sur les contenus mais s’articulait autour de quatre éléments ; les objectifs, les contenus, les méthodes et les évaluations, devant être partagés par les collègues des différents conseils de classe. L’activité de programmation me permettait d’adapter le programme ministériel à la réalité concrète de la classe.
Elle répondait principalement à trois questions : Pourquoi est-ce que j’enseigne ? Qu’est-ce que j’enseigne ? Comment j’enseigne ?
Avec la programmation, petit à petit, l’idée de mettre les élèves au centre du projet éducatif se développait.
Une fois passés mes premiers moments dans l’école, qui étaient plutôt apparentés à un plan de survie, je me suis vite rendu compte que j’étais insérée dans le cadre d’un système d’instruction basé sur des principes et dont les finalités avaient été définies.
Au cours de ma carrière, j’ai eu la chance de pouvoir suivre le parcours presque complet de la progression des modèles didactiques peu à peu introduits dans l’école italienne ; les réformes successives assimilant l’évolution pédagogique précédente...
Désormais, il n’était plus question de rêver à la simple application de recettes toutes faites élaborées par d’autres, sortes d’instruments prêts à l’usage, à manier clés en main.
Il a donc fallu apprendre à formuler une programmation. À l’époque, j’ai pu profiter de cours de formation organisés dans le cadre de l’établissement scolaire au sein duquel je me trouvais. Ils m’ont donné l’occasion de m’exercer à décomposer mon cours selon tout un cortège d’objectifs cognitifs, très souvent inspirés de la taxonomie de Bloom. J’ai appris à jongler avec les termes : connaissance, compréhension, application, analyse, synthèse, évaluation, en les regroupant dans des unités didactiques.
Avec l’entrée en vigueur de l’Autonomie (DPR 275/99), désormais il ne s’agissait plus beaucoup de programmation dans les termes à peine indiqués ci-dessus, la notion de curriculum entrant de plain-pied dans la vie de tout enseignant.
Si les objectifs ont accompagné les discours sur la programmation, à présent, plus que jamais il est question, non seulement de “ savoirs ”, mais aussi de “ savoir-faire ” et de “ savoir-être ”, ainsi que de toute une kyrielle de compétences à définir quand on s’engage dans l’élaboration du fameux curriculum.
Alors que ce qui concernait aussi bien l’application du programme que la programmation pouvait être conçu par l’enseignant comme l’objet d’une action relativement individuelle ; désormais, l’élaboration du curriculum requiert nécessairement la collaboration des différents membres de l’équipe éducative, car il est élaboré par l’école dans le cadre du Plan de l’Offre Formative et doit fournir à l’équipe enseignante les éléments fondamentaux pour permettre la mise sur pied de la programmation didactique de chacun.
Aujourd’hui, avec la L. 53/03, quelle signification doit-on donner à l’introduction de la notion de plans d’étude personnalisés, qui est appelée à remplacer celle de curriculum ?

La question fondamentale reste donc posée : est-ce qu’avec la nouvelle réforme il va falloir revoir tout ça ? Si l’on donne de nouveau la priorité à la transmission des savoirs, que devrons-nous modifier dans notre pratique pédagogique, quand on a œuvré, pendant des années, pour mettre l’élève au centre des apprentissages ?

Geneviève Crippa
Enseignante à l’école secondaire du deuxième degré ; détachée auprès de la rédaction de la revue.

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