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Entre science et bricolage : un vagabondage rigoureux
Compte tenu
de mon expérience dans le domaine de lart thérapie et de la formation,
je me concentrerai ici sur le deuxième mot, bricolage, dans la tentative
un peu farouche de lui rendre une place intéressante dans le parcours
de concrétisation dune idée ou dun trajet de recherche.
On oppose souvent Science , symbole dorganisation
et de crédibilité, à Bricolage , compagnon dune certaine
approximation et maladresse, une sorte de bric-à-brac pointillé de clous
et de soudures improvisées. Mais est-ce lunique lecture possible
?
Notre culture met en compétition ces deux mondes ; on pense alors à la
science comme à une garantie de rigueur et dobjectivité et on apparente
le bricolage à une précarité parfois douteuse.
Certes on peut imaginer le bricoleur qui apprend à utiliser des instruments
souvent inconnus pour assembler des pièces, pour créer des nouveautés...
pour décider tout seul et inventer une façon déchapper au déjà vu
!
Mais ce nest pas suffisant. On entend souvent dire, à ce propos
: ce nest que des bricoles , un petit rien par rapport
à la science.
Lidée mest venue alors de fouiner dans létymologie pour
suivre une piste codifiée qui nous permette de trouver des issues inattendues
et des ouvertures.
Bricole , du germanique brechen , briser, nous
ouvre une piste intéressante. Si lon revient à notre parcours de
recherche on peut penser que bricoler pourrait nous permettre de briser
des certitudes, des affirmations catégoriques, voire un savoir statique,
non pas pour lanéantir, mais plutôt pour le déconstruire afin de
lapprocher différemment.
Puisque science sapparente avec savoir, claire connaissance, conscience,
on pourrait penser que bricoler, étymologiquement faire des zigzags
, ricocher , sapproche aussi du savoir, mais
pour indiquer un chemin à parcourir, différent, avec le bénéfice des allers
et des retours et du doute.
Bricoler deviendrait ainsi une possibilité supplémentaire de connaissance.
Qui est-ce qui ne sest jamais trouvé dans ce vagabondage (étymologie
de bricoleur :
vagabond) qui amène à aérer la pensée emprisonnée dans des schémas rigides
en lui offrant des détours et des ouvertures inattendues ?
Quitte à revenir dans un deuxième temps à la rigueur de la science pour
ranger tout ce fouillis foisonnant. Ainsi luvre dart
est faite de vagabondages et de tentatives avant de trouver sa mise en
forme définitive et il en est de même pour la science : tout en gardant
sa rigueur, elle demande lerrance pour accomplir sa recherche.
Cest pour dire limportance du bricolage, vagabondage, assemblage.
Mais quen est-il dans la pratique ?
Au quotidien
on se retrouve maintes et maintes fois face à ce dilemme. On nous demande
souvent de planifier, de programmer avec la plus grande précision possible
nos objectifs, ce qui est tout à fait indispensable mais parfois, au contact
direct avec la réalité et les relations humaines conséquentes, on se retrouve
face à la nécessité de changer de cap, soudainement.
Cest alors que le bricolage vient à notre secours pour nous permettre
de réajuster nos parcours et nos interventions afin quils correspondent
aux attentes et aux besoins réels.
La science nous donne un contenant de rigueur et de précision afin que
nos vagabondages se traduisent en action concrète et adaptée.
Je pense, en écrivant, à une petite fille que jai rencontrée lorsque
je travaillais dans lunité doncologie pédiatrique à Perugia.
Jétais à ce moment-là enseignante et on mavait demandé de
moccuper du cursus scolaire des enfants hospitalisés. Javais
préparé tous mes projets dinterventions et établi les programmes
individualisés après avoir rencontré les différents élèves et après avoir
étudié la situation particulière dans laquelle je devais intervenir, sans
oublier les contacts avec les familles et les écoles de provenance.
Je pouvais commencer mon travail avec enthousiasme et avec ce sentiment
de sécurité que la planification nous offre souvent. Jaimais parler
du hasard qui fait basculer les vies et les destins avec la rapidité dun
éclair, je ne savais pas quil se présenterait à moi, ce matin-là,
sous les formes dune petite fille pétillante et dune étonnante
vitalité. Elle avait été hospitalisée dans la nuit, et quand je franchis
le seuil de sa chambre elle madressa à peine la parole en me disant
quelle avait déjà une maîtresse quelle aimait beaucoup et
quelle ne savait pas quoi en faire dune autre et, sur ces
mots, la conversation fut impérativement close pendant plusieurs jours.
Cette rencontre inattendue mobligea à errer beaucoup pour trouver
une collaboration possible, les zigzags et les vagabondages se multiplièrent
avant quun parcours tout à fait différent puisse voir le jour. Cest
elle qui mindiqua le chemin, elle avait surtout besoin dexprimer
ses vécus et ses angoisses avant de pouvoir simpliquer dans un travail
scolaire, elle ne pouvait pas simplement aller à lécole comme si
de rien nétait.
Jétais désormais prête au vagabondage, à casser mes certitudes,
à laisser la place à lincertitude de la rencontre et elle accepta
enfin de me rencontrer à condition quelle puisse peindre.
Elle commença alors à peindre sur tous les matériaux à disposition, y
compris les murs de sa chambre puis-quelle voulait s exprimer,
mais elle voulait le faire dans un langage symbolique, là elle trouvait
un terrain pour accepter et transformer ses vécus. De cette façon, elle
pouvait se dégager de ses angoisses et elle pouvait enfin affronter la
réalité.
Ce fut mon premier contact avec ce qui deviendra plus tard une passion
et un travail, lart thérapie, autre vagabondage qui me porta aussitôt
vers une recherche scientifique. Pour elle, ce fut un vagabondage à travers
lequel elle resta enfant malgré les difficultés de la maladie.
Voilà comment est né mon grand respect pour le bricolage, vagabondage
de disponibilité.
Il facilite le changement et il conduit par des voies inattendues à la
rigueur de la science.
Miranda Fanny-Fey
Art-thérapeute Formatrice, propose des interventions
dans les écoles et dans les institutions de soins sous forme dateliers
dexpression ou de modules flexibles ayant comme thème :
La difficulté: non plus une cassure, mais un parcours évolutif.
Au cours de la.s. 2002/2003, elle est intervenue dans les institutions
scolaires Aoste 2 et Aoste 4 avec des projets de supervision pour les
enseignants et de travail expressif avec des classes et des élèves en
difficulté sur le thème : Identité individuelle, identité groupale,
des allers/retours pour mieux se retrouver .
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