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Élever l’élève au statut de citoyen

Tout système éducatif est le produit de sa propre histoire et d'une évolution singulière qui obéit à de multiples paramètres. Il ne saurait donc servir de modèle à aucun autre. Mais il peut cependant être une source de réflexion.

Cette modeste contribution n'a donc pas pour but de dire ce qu'il faut faire, mais simplement de faire un bref état de ce qu'offre le système français, système centralisé, en matière d'accompagnement des élèves dans le champ des arts et de la culture.

Former des citoyens

À priori, le cas français obéit à une règle universelle. L'institution éducative a pour but de faire d'abord acquérir à tous les élèves les acquisitions fondamentales : “ écrire, lire et compter ”. Rien à redire à cela. En France la lutte pour la prévention contre l'illettrisme est devenue une priorité affirmée.
Mais bien sûr, si la citoyenneté se fonde sur ce triptyque, elle ne saurait s'y limiter. D'autres enseignements sont indispensables pour “ élever ” l’enfant puis l'adolescent au statut d'adulte citoyen capable de comprendre et maîtriser le monde dans lequel il vit et de s'y mouvoir au point de s'engager pour en améliorer le fonctionnement.
L'élève européen, qui a la chance de n'avoir connu que la démocratie, doit savoir combien cette forme de gouvernance n'est jamais définitivement acquise et sécrète même ses propres faiblesses.
Et comme tout système, fût-ce t-il le meilleur d'entre tous, reste toujours perfectible.
Pour aider le jeune à cette prise de conscience, l'école se doit de lui donner des armes intellectuelles autant que sensibles afin de lui permettre d'interroger le monde et d'œuvrer à l'installation de plus de justice, d'équité, de respect de l'autre, de fraternité. Aussi est-ce pour cela qu'à côté de l'enseignement de la lecture, de la grammaire, des mathématiques prennent place dès le plus jeune âge la littérature, l'histoire, la géographie, l'éducation civique, juridique et sociale, les sciences de la vie et de la terre, la physique, la chimie, les langues, la technologie, l'éducation physique et sportive et les enseignements artistiques. Personne ne conteste plus l'impérieuse nécessité de rendre obligatoire chacun de ces enseignements. Tous se complètent pour permettre l'expression la plus achevée de la personnalité.
Mais dans l'esprit commun, une hiérarchie s'établit trop souvent et trop banalement, qui place le sport et surtout les arts, si longtemps refoulés, au rang d'accessoire alors que les programmes mêmes en font des enseignements obligatoires de l'école
au lycée.

Qu'en est-il des enseignements artistiques et de l'éducation à la culture?

Mon propos se recentrera sur le champ des arts, et de la culture, dans son acception la plus large.
Toutes les disciplines enseignées prévoient une place à l'enseignement de leur propre histoire, et les professeurs sont invités à ne pas faire l'impasse sur cette dimension culturelle de leur enseignement.
Par ailleurs, l'enseignement des lettres, celui de la langue française, doit faire place à la littérature, à la poésie, au théâtre, les langues vivantes abordent le champ des civilisations, les disciplines scientifiques constituent la base de l'acquisition d'une culture scientifique qui éveille de plus en plus fortement à la prise en compte prioritaire de la préservation de l'environnement vers un développement durable, le champ de l'éducation physique et sportive invite à la pratique de la danse et des arts du cirque.
En ce qui concerne les enseignements artistiques proprement dits, deux disciplines sont enseignées depuis l'école maternelle et jusqu'au collège : les arts plastiques et l'éducation musicale avec une forte incitation au développement du chant choral. Deux heures hebdomadaires sont consacrées de façon obligatoire à ces deux disciplines.
Une expérimentation sera engagée en 2005-2006 afin de permettre aux élèves dans la dernière année du collège de pouvoir choisir entre l'approfondissement d'une de ces deux disciplines, soit deux heures de musique, soit deux heures d'arts plastiques, et la découverte d’un autre enseignement parmi les suivants : arts appliqués, danse, cinéma-audiovisuel, histoire des arts et théâtre…
En quittant le collège, tout élève a donc bénéficié par le jeu de sa scolarité obligatoire de neuf années d'enseignement artistique à raison de deux heures hebdomadaires.
Au lycée, seul l'enseignement des arts appliqués est obligatoire dans la voie professionnelle alors qu'au lycée d'enseignement général et technique ne subsiste alors qu'un système d'options artistiques dans les domaines suivants : arts plastiques, cinéma-audiovisuel, danse, histoire des arts, musique, théâtre.
Les élèves ont le choix entre un enseignement optionnel lourd, réservé à la série littéraire, avec un volume horaire hebdomadaire de cinq heures leur permettant de passer un baccalauréat de spécialité ou un enseignement optionnel plus léger de trois heures hebdomadaires réservé à toutes les sections littéraire, économique, scientifique et technologique.
Ces deux enseignements optionnels sont gérés par des programmes nationaux à caractère impératif, et qui paraissent au Bulletin officiel de l'Éducation nationale. Ils détaillent les objectifs poursuivis, les compétences à développer, les connaissances devant être acquises et les modalités de la pratique artistique. Tous prennent en compte l'utilisation des technologies de l'information et de la communication.
On peut certes regretter que l'enseignement de disciplines artistiques ne demeure au lycée que sous une forme optionnelle. Mais le lycée est le lieu du choix où s'envisage déjà une voie professionnelle et l'on ne peut indéfiniment y imposer des enseignements sans alourdir de façon déraisonnable le travail des élèves.
Deux mesures récentes sont à noter : les classes préparatoires aux grandes écoles peuvent désormais proposer un enseignement artistique qui prépare au concours d'entrée des deux écoles nationales supérieures littéraires de Paris et de Lyon. La dimension artistique de l'enseignement s'en trouve donc largement valorisée et prise sérieusement en compte.
Par ailleurs se mettent en place des formations permettant aux élèves qui achèvent un parcours littéraire à option artistique de se mettre à niveau pour envisager des poursuites d'études nécessitant des bases scientifiques ou techniques plus approfondies.
À côté de ces enseignements disciplinaires, existent des enseignements dits “ transversaux ”, obligatoires, qui imposent la pluridisciplinarité, et au moins la bi-disciplinarité. Il s'agit au collège des “ itinéraires de découverte ” où les élèves travaillent sur un objet d'étude nécessitant le croisement des regards de plusieurs disciplines et, au lycée des “ TPE ”, travaux personnels encadrés, obligatoires en classes de première et de terminale. Là encore, les élèves par groupes de deux ou trois doivent conduire une recherche thématique croisant les regards de deux disciplines. Dans les deux cas, les sujets d'études à dimension culturelle et artistique sont très présents.

Enfin des dispositifs complémentaires permettent également une approche des arts et de la culture :
• les “ ateliers artistiques ” proposent à des élèves volontaires de plusieurs classes et plusieurs niveaux une pratique artistique accompagnée par des artistes ;
• les “ classes à Projet Artistique et Culturel ” (classes dites à PAC) imposent à tous les élèves d'aborder tout au long de l'année scolaire une partie des programmes dans une dimension artistique et culturelle. Les élèves sont également accompagnés par un intervenant extérieur, artiste ou professionnel de la culture ;
• enfin, les simples projets artistiques conduits dans la liberté pédagogique de l'enseignant.
Tous ces dispositifs sont financés par l'éducation nationale mais aussi par le ministère de la culture et par les collectivités territoriales.
Au-delà du caractère impératif des programmes, il faut bien souligner qu'une large place est réservée à la liberté pédagogique des enseignants et que la proximité géographique est privilégiée, aussi bien dans le choix des intervenants, artistes ou professionnels de la culture que dans les objets étudiés : politique d'urbanisme, politique culturelle locale, sites, bâtiments, œuvres. Cette approche donne toute sa place à la dimension locale comme à celle de l'universel.

Pourquoi conforter le champ de l'éducation artistique ?

L'école a toujours su développer l'intelligence abstraite.
Depuis l'après-guerre un enseignement sportif de qualité a permis de développer les aptitudes corporelles.
Depuis quelques années, la préoccupation de l'insertion professionnelle a favorisé la valorisation de l'intelligence concrète par l'enseignement de la technologie.
En affinant l'appareil sensoriel des élèves, l'enseignement artistique et culturel, loin d'être un vernis supplémentaire, permet à l'école de développer l'intelligence sensible et de s'acquitter ainsi de sa mission d'enseignement et d'éducation en touchant à la totalité complexe de l'être.
Bien compris, cet enseignement fait place à l'activité créatrice de l'élève et à la créativité professionnelle de l'enseignant. Il permet, par une mise en contact avec la création et le patrimoine, l'apprentissage d'une exploration curieuse du monde dans sa dimension culturelle, apprentissage qui nécessite l'acquisition impérative de vocabulaire spécifique, de connaissances précises, la maîtrise des grands courants historiques, et des métissages culturels toujours à l'œuvre depuis les débuts de l'humanité. On ne dira jamais assez combien l'enseignement artistique est un enseignement exigeant.
Tous les enseignants sensibles à cette dimension sont unanimes pour dire combien cette éducation artistique permet à certains élèves qui seraient marginalisés par le seul enseignement classique de s'exprimer, et de se valoriser par l'expression de qualités créatrices.
L'IA-IPR (inspecteur pédagogique régional) d'Histoire et Géographie que je suis, chargée du suivi de l'enseignement de l'histoire des arts et du cinéma audiovisuel ainsi que de la Délégation académique pour les arts et la culture peut témoigner au quotidien de la transformation, et même de l'épanouissement de plus d'un élève au contact des œuvres, des artistes, d'une pratique et de recherches personnelles approfondies sur des thématiques artistiques.
Citons parmi beaucoup d'autres, l'exemple de Nathalie, élève de lycée professionnel et qui grâce à une classe à PAC sur la photographie s'est découvert une véritable vocation de photographe d'art. Cette expérience lui a permis d'exprimer et sa personnalité et ses qualités, lui faisant retrouver la motivation qui lui avait fait défaut pour poursuivre des études littéraires. Cette jeune a repris un enseignement général avec une option cinéma-audiovisuel.
Je tiens aussi à citer cette classe de 5e d'enseignement général professionnel adapté (SEGPA) de la banlieue de Grenoble, dont les élèves éprouvent de très grandes difficultés scolaires. Grâce à l'intervention tenace d'enseignants motivés et sensibles les élèves font de fabuleuses rencontres avec des artistes, des poètes, des écrivains capables de les mettre en mouvement en les aidant à exprimer leur personnalité dans une démarche collective prenant en compte des productions individuelles. Le résultat en est aussi bouleversant qu'admirable.

“ Avec nos paroles de quartiers
Les mots de Victor Hugo,
Les haïkus du Japon
Ophélia d'Arthur Rimbaud,
Nous avons voyagé,
Quitté la neige de chez nous
Pour la lumière de Grignan. ”

Est-il écrit au dos du superbe ouvrage de poésie “ éclats du fond du cœur ” produit par les élèves.
Et voilà des élèves que l'on croyait “ perdus ” se mettre en posture de désirer lire et écrire.
L'expression artistique, celle des arts du son, des arts visuels, du spectacle vivant, de la littérature ne s'éloigne jamais des fondamentaux.
Le contact avec les œuvres a sa propre justification.
Il peut aussi relancer la motivation des élèves pour d'autres apprentissages.
Par ailleurs l'artiste, en travail face à une classe, parce qu'il est symboliquement contact avec l'inconnu, l'étrange, l'étranger, permet un regard sur l'autre et sur la différence, et par ricochet sur soi, appréhendé à travers le prisme de l'autre. Là encore, nombreux sont les exemples qui montrent combien l'éducation artistique imposant un travail sur soi dans le cadre collectif de la classe devient facteur d’une cohésion sociale qui fait si souvent défaut.
Enfin, en invitant les élèves à découvrir l'expression culturelle et artistique d'une société, portée par des choix politiques : ceux de la préservation, de la conservation, de la mise en valeur, de la commande publique, elle participe pleinement à l'intégration culturelle des jeunes et à l'apprentissage d'une citoyenneté active.

Conclusion

Il ne m'appartient pas, bien évidemment, de m'immiscer dans les choix d'ordre politique (au sens noble du terme) d'un pays ou d'une région, choix toujours nécessaires et difficiles. Tout enseignement, qu'il soit optionnel ou obligatoire ne peut s'imposer que parce que les qualités qu'il développe font sens. Les enseignements artistiques sont des enseignements exigeants qui imposent l'acquisition de connaissances, de pratiques, tout en développant la sensorialité des élèves et en les aidant à “ être ” au monde. Ils méritent donc considération et attention.

Marie-Claire Gachet
Inspecteur d'Académie.
Inspecteur pédagogique régional d'Histoire et Géographie.
Déléguée académique pour les arts et la culture Académie de Grenoble.

 

 

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