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Sortir
de l'école pour mieux y revenir
S’il s’effectue
uniquement à l’intérieur des murs de l’école
l’enseignement risque de se couper du monde extérieur. À
tous les niveaux, les cours de géographie se prêtent bien
à mettre en évidence le lien nécessaire qui doit
lier l’école au monde de la réalité extérieure.
Cet article se fonde sur un voyage scolaire de deux
jours en France. La section de la Vallée d’Aoste de l’association
italienne des enseignants de géographie a proposé à
ses adhérents, au printemps 2004, de visiter la saline royale d’Arc-et-Senans.
La saline royale est une manufacture industrielle de la fin du XVIIIe
s., créée pour extraire le sel de la saumure provenant des
mines de gel gemme de la région. Elle est intéressante,
non seulement du point de vue architectural, culturel et historique, mais
aussi géographique, puisque le site offre l’occasion de parcourir
les phases du processus d’industrialisation et les motivations de
sa localisation, au moment où une nouvelle ère économique
voyait le jour.
Pour ce voyage à caractère géographique, le choix
est fait de se limiter à l’étude de deux grands thèmes,
celui du paysage, fondamental pour la géographie, et un autre entré
récemment parmi les sujets abordés par la discipline, le
patrimoine.
Les récentes Indicazioni Nazionali per i Piani di Studio Personalizzati
nella Scuola Primaria, tout comme les anciens programmes de 1985, introduisent
la notion de paysage à partir des classes de deuxième et
de troisième années. Même si en cinquième année
il n’est pas prévu de sortir du thème d’étude
lié au territoire national, on peut tout de même penser qu’un
voyage en France offre un grand intérêt. Grâce aux
nombreuses comparaisons possibles, non seulement les enfants vont pouvoir
découvrir d’éventuelles ressemblances et différences
avec la réalité italienne qu’ils connaissent davantage,
mais leur enseignant pourra en profiter pour leur faire remarquer que
séparer l’étude de l’Italie de celle du reste
de l’Europe est uniquement fait pour faciliter le déroulement
des programmes scolaires ; il pourra jeter des bases en vue de l’élargissement
de l’étude au territoire de l’Europe, abordé
au secondaire du 1° degré.
Pour le secondaire du 1° degré les Indicazioni Nazionali signalent,
parmi les connaissances à acquérir les deux premières
années, “ les caractères physico-anthropologiques
de l’Europe et de quelques États qui en font partie : aspects
physiques, socio-économiques et culturels… ” en développant
des savoir-faire comme
“ analyser au moyen de l’observation directe/indirecte d’un
territoire (de sa propre commune, de sa propre région, de l’Italie,
de l’Europe), dans le but de connaître et comprendre son organisation,
de repérer des aspects, des problèmes et leur évolution
dans le temps des rapports entre l’homme et son milieu environnant…
”.
En outre, au niveau du secondaire du 1° degré, l’activité
de l’enseignant de géographie ne s’arrêtera pas
là, il sera à juste titre concerné par l'Educazione
alla Convivenza civile et en particulier l'Educazione ambientale et l'Educazione
alla cittadinanza.
Pour le secondaire du 2° degré, à l’heure actuelle
aucun nouveau programme n’est prévu, on se limite donc dans
cet article à analyser d’éventuelles retombées
du voyage sur les classes telles que celles de l’institut technique
commercial et des sections commerciales et touristiques des instituts
professionnels.
Le voyage peut donc être entrepris aussi bien avec des classes du
primaire qu’avec celles du secondaire du 2° degré. Les
thèmes choisis peuvent aisément être transférés
dans l’enseignement, en les adaptant à l’âge
des élèves.
Pour les exemples traités ici, ceux qui concernent plus précisément
le paysage s’adressent tout particulièrement aux enfants
de l’école primaire et du secondaire du 1° degré.
Le thème du patrimoine s’adresse en priorité aux classes
du secondaire du 2° degré même si dans notre discipline
l’étude du paysage reste fondamentale à tous les niveaux.
Le voyage
Le déplacement de plusieurs heures pour arriver
à destination, en partant d’Aoste, se prête tout naturellement
à l’étude géographique. La question se pose
de savoir s’il est possible de développer un vrai discours
géographique à partir de ce que l’on peut observer
de la fenêtre de l’autocar, de façon à ce que
ce soit vraiment instructif pour les élèves. Quels critères
adopter, quelle démarche entreprendre pour décrire le paysage
qui défile sous les yeux ?
Généralement les passagers sont attirés par le paysage.
Le panorama appartient à celui qui le regarde, qui le perçoit
et l’interprète à sa façon, il est subjectif.
En tant qu’enseignants, nous sommes amenés à proposer
aux élèves de se l’approprier pleinement et de façon
personnelle, en le regardant avec l’œil du géographe,
c’est-à-dire en adoptant une approche scientifique, en utilisant
les instruments spécifiques d’une des disciplines qui s’intéresse
à la dimension spatiale de la vie humaine. Par exemple, le regard
du géographe n’est pas celui de l’ethnologue que nous
appelons de plus en plus souvent pour participer à des projets
dans nos classes. C’est un exemple d’un autre type d’approche
qui peut contribuer à alimenter l’intérêt pour
notre discipline.
La durée du trajet ne doit pas être considérée
comme un temps mort. Des moments peuvent être laissés libres
afin que les élèves puissent écouter leurs musiques
préférées ou faire autre chose pour passer le temps.
Dès le départ, il faut leur expliquer clairement qu’on
leur demandera souvent de prêter attention et de participer à
une activité didactique, évidemment différente de
celle pratiquée en classe.
Le paysage
Quelle est la démarche la plus appropriée
pour aborder l’étude du paysage avec les enfants des classes
de deuxième et de troisième de l’école primaire,
compte tenu qu’il se prête de différentes manières
à l’observation et à l’interprétation
?
Il est nécessaire d’illustrer les endroits traversés
en adoptant un vocabulaire correct du point de vue géographique
et en cherchant à ne pas tomber dans le piège du déterminisme
naturel en voulant à tout prix interpréter des faits sociaux
et économiques.
Dès le départ, il est nécessaire de mobiliser toute
l’attention sur ce qui peut faire l’objet d’une interprétation
géographique, adaptée à l’âge des élèves,
même quand il s’agit de se pencher sur une réalité
du territoire apparemment banale.
Prenons quelques exemples. Si on aborde le milieu naturel, il est assez
facile de relier les notions de morphologie avec les événements
tectoniques et les caractéristiques géologiques.
Tout au long du voyage entre Aoste et Arc-et-Senans, les phases de la
formation de l’arc alpin, du plateau suisse et du Jura sont évoquées
pour expliquer la variété du relief. Il est utile de rappeler
brièvement les origines tectoniques de la zone : la collision entre
la plaque lithosphérique européenne qui s’enfonce
sous la plaque adriatique (plaque africaine) ; on peut aussi évoquer
les différents mécanismes susceptibles d’expliquer
l’orogenèse des Alpes.
À mesure que l’autocar s’éloigne des montagnes,
on abandonne les roches cristallines métamorphiques intrusives
pour entrer dans des formations calcaires et marneuses : des sédiments
d’origine marine accumulés au début de l’ère
secondaire. À Besançon, sous le fort de Vauban, des couches
épaisses de calcaire sont bien visibles et il est possible de reconnaître
les formations rocheuses du mésozoïque… Pour expliquer
la présence du sel gemme dans la région, il faut remonter
à la période du triasique ; après le dépôt
de calcaire, la zone qui nous intéresse a été occupée
par une mer peu profonde, soumise à des périodes de forte
évaporation, elle s’est même pratiquement asséchée,
permettant ainsi l’accumulation de grandes quantités de sel.
Ainsi, le fait de commenter la morphologie du territoire amène
de façon logique à aborder la géologie.
L’observation de la végétation conduit à préciser
la différence entre la végétation naturelle et les
cultures. Le thème de la végétation naturelle amène
à expliquer l’étagement en altitude et donc à
parler des conditions climatiques.
Les choses deviennent un peu moins évidentes quand on remarque
que certaines zones apparemment occupées par de la végétation
spontanée sont, en fait, des parcelles de reboisement. On se rend
compte que le fait d’aborder la géographie en la morcelant
par catégories est une habitude très pratique quand on se
trouve en classe, mais cet artifice nécessite des vérifications
sur le terrain. L’enseignement de notre matière acquiert
une valeur pleinement formative quand on se trouve face à la réalité
du paysage et non devant une photographie choisie expressément
pour illustrer un concept.
Le discours se complique ultérieurement quand on s’occupe
vraiment de géographie, c’est-à-dire quand on veut
conjuguer les caractéristiques humaines et la description et l’interprétation
du milieu physique.
À ce niveau là, appliquer un raisonnement déterministe
est vraiment dangereux.
En géographie, parler de paysage signifie aborder deux dimensions
essentielles et indissociables : l’espace et la société.
Prenons l’exemple du tracé des voies de communication empruntées
pour se rendre à destination.
La route du Grand-Saint-Bernard suit logiquement le fond de la vallée,
aussi bien le long des versants italien que suisse. La morphologie du
territoire impose en quelque sorte le trajet, quand il se glisse, de façon
transversale, à travers les plis du Jura en empruntant la cluse
de Pontarlier, dominée par le château médiéval
de Joux. Mais la seule observation des caractéristiques physiques
du territoire est insuffisante pour expliquer le rôle de cet axe
de communication dont l’importance découle bien davantage
des événements historiques, économiques et politiques.
En apprenant aux élèves à observer le paysage, le
but n’est pas de les amener à élaborer un inventaire.
Aujourd’hui, il est bien plus utile pour eux d’apprendre une
méthodologie qui leur permet de s’approprier progressivement
le territoire et ses coordonnées spatiales. Ils pourront ensuite
l’utiliser dans d’autres situations, dans leur découverte
du monde. Cela implique qu’en tout lieu les élèves
soient en mesure de se poser les questions essentielles de la géographie.
Quels rapports a l’objet (l’événement) que je
vois avec les autres objets (événements) que je connais
déjà et qui appartiennent à mon système de
références ? Où se situe-t-il ? Comment se manifeste-t-il
? Pourquoi est-il ici et pas ailleurs ?… Et d’appliquer ces
découvertes à la construction de typologies, à l’élaboration
de modèles d’analyse, de façon à sortir de
l’évidence statique et de se mettre dans une perspective
plus dynamique et plus active.
Il s’agit, pour chaque élève d’éduquer
son propre regard, d’apprendre à élaborer une conceptualisation
géographique progressive des relations qui relient ensemble la
société et l’espace.
Le patrimoine
Au niveau du secondaire du 2° degré, pour
les deux filières prises en considération, le thème
entre pleinement dans les programmes de géographie.
Rappelons le but du voyage : la visite de la manufacture royale d’Arc-et-Senans.
Aux pieds du Jura, en Franche-Comté, l’exploitation du sel
par les hommes est ancienne. La saline royale est située dans le
département du Doubs, à la lisière de la forêt
de Chaux. C’est un chef-d’œuvre de l’architecture
du XVIIIe s., une espèce de phalanstère. Un site industriel,
né au Siècle des Lumières, qui fournit un exemple
concret et fascinant, situé à la charnière entre
le temps où l’économie était principalement
de type artisanal et celui de la Révolution industrielle.
Le complexe architectural est composé d’un ensemble d’édifices
sauvés de la ruine à partir des années 1930. Depuis
1982, il est inscrit au patrimoine mondial de l’humanité
par l’Unesco (voir photos).
Pourquoi aller visiter une ancienne manufacture, pourquoi avoir privilégié
la saline royale d’Arc-et-Senans ? Tout simplement parce que c’est
un splendide exemple apte à sensibiliser les élèves
à l’empreinte laissée sur le territoire par les établissements
industriels et pour leur faire remarquer qu’il est possible de détecter
dans le paysage l’évolution de l’économie au
cours du temps.
Mais il s’agit surtout d’un site qui montre l’application
concrète d’un projet social et philosophique, fruit de l’illuminisme,
dans lequel s’imbriquent science et culture, technique et économie,
en opposition avec la réalité économique statique
de la société féodale basée sur la rente et
les privilèges. En sortant d’une logique strictement géographique,
le sujet se prête très bien à une approche pluri-
ou interdisciplinaire, s’il est abordé au niveau du secondaire
du 2° degré.
Intéressante même si on la considère seulement du
point de vue artistique, la manufacture a été réalisée
à partir du projet d’un des plus célèbres architectes
français de l’époque, Claude-Nicolas Ledoux. Un retour
en arrière dans le temps permet de relier la manufacture aux différents
projets de cité idéale et de remonter jusqu’à
la République de Platon, en passant par l’Utopie de Thomas
More, et la Cité du soleil de Tommaso Campanella. Aucun de ces
projets n’a abouti à une réalisation concrète.
Par contre, il est très intéressant de comparer Arc-et-Senans
à la Real-Colonia de San-Leucio, la manufacture textile située
près de la Reggia de Caserte, réalisée elle aussi
à la fin du XVIIIe s.. Fille de l’utopie des Lumières,
elle est à l’origine de la tradition du travail de la soie,
toujours présente sur place et dans la région. San-Leucio
se présente comme un petit noyau urbain, l’esquisse d’une
cité idéale dans laquelle on a voulu réaliser un
projet social.
Le fait de parcourir les différentes étapes, qui ont ponctué
l’effort de sauvegarde du complexe de la saline royale, invite à
approfondir la réflexion sur le patrimoine industriel contemporain
et à se poser différentes questions. Que restera-t-il demain
des usines d’aujourd’hui ? Quand on sait qu’actuellement
la construction des bâtiments répond davantage à l’urgence
économique et semble ne pas répondre à un projet
de société. Et encore : Quel type d’approche géographique
est-il possible d’effectuer, au-delà de considérations
artistiques ou esthétiques, face à des réalisations
modernes, comme par exemple celle toute récente qui accueille la
structure futuriste du bâtiment de la société L’Oréal
à Aulnay-Sous-Bois?
Le voyage se prête évidemment à bien d’autres
approfondissements. Nous sommes conscients que notre choix est extrêmement
réductif, mais notre seul but est de montrer l’intérêt
du contact avec la réalité. Pour cela, il faut sortir de
la classe pour mieux y revenir.
Ensuite, les élèves préalablement préparés
sauront qu’au retour l’expérience fera l’objet
d’une exploitation qui débouchera sur une évaluation
permettant également aux enseignants de dégager les points
forts à renforcer et les points faibles à corriger, en vue
de la mise sur pied d’un nouveau voyage d’étude.
Per aderire all’AIIG-Valle d’Aosta,
aperta a tutti i docenti e ai cultori delle discipline geografiche,
e conoscere il programma delle attività 2004-2005:
• Sette conferenze.
• Cinque uscite didattiche ed escursioni di studio in Valle
e fuori Valle.
Tel. 0165 31283 |
Geneviève
Crippa
Présidente de l’Association italienne des enseignants de
géographie de la Vallée d’Aoste.
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