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Le
franco-provençal à l'école
Nous proposons ci-dessous l’intervention que
l’auteur, membre de la « Commission de travail pour l’apprentissage
de la langue et de la culture francoprovençale », a effectuée
le 23 septembre 2005 à l’occasion de la Journée d’étude
organisée par le Service de l’Inspection Technique d’Aoste
: « Quel apprentissage des langues pour le citoyen européen
? ».
En vue de l'introduction de l'enseignement des langues
minoritaires dans les écoles valdôtaines, une commission
de travail a été instituée depuis 2004. Elle a surtout
travaillé durant l'année 2005. Des représentants
du BREL, de l'Université de la Vallée d'Aoste, du Service
d'Inspection et du corps enseignant de l'école primaire ont, jusqu'à
présent, apporté leur contribution.
Tous les membres de la commission ont déjà mûri, à
plusieurs niveaux, des expériences de sauvegarde et de valorisation
du francoprovençal. Ils partagent donc toute une série de
convictions, la plus importante étant que la diversité culturelle
et linguistique, tout comme la diversité biologique, est une richesse
à préserver. Tous sont conscients qu'au niveau européen,
une langue du « savoir-faire » est en train de s'affirmer,
l'anglais ou euroenglish, mais le Conseil de l'Europe recommande
également de ne pas abandonner les langues du « savoir-être
», c'est-à-dire celles qui englobent aussi les facteurs culturels
et d'identité nationale et régionale. C'est pour la défense
de cette identité régionale et pour donner une perspective
d'avenir à la langue qui la représente qu'aujourd'hui on
fait appel à l'école.
Les problématiques liées à l'enseignement/apprentissage
du francoprovençal sont nombreuses. Jusqu'à présent,
la commission a mis en évidence les plus importantes. Pour certaines,
une réponse ou une hypothèse de solution a déjà
été trouvée. Pour d'autres, en particulier pour celles
à caractère pédagogique et organisationnel, et ce
sont les plus nombreuses, les questions sont encore multiples.
Voici la liste des différents problèmes auxquels nous sommes
confrontés.
Problèmes d'ordre linguistique
Tout d'abord, quel patois enseigner et quelle graphie
adopter ? À ces deux questions préliminaires, les réponses
ont été relativement immédiates. La commission s'est
déclarée favorable à respecter la variété
des parlers locaux en repoussant toute forme d'homologation vue comme
anachronique et contradictoire. Bien sûr, on sait que le choix de
valoriser la diversité linguistique est plus délicat à
réaliser et pose beaucoup plus de difficultés. De plus,
on peut entrevoir que l'enseignement du patois à l'école
aboutira progressivement mais inévitablement à une sorte
de normalisation de la langue. Néanmoins, tout choix différent
serait en contradiction avec l'esprit de la loi et du projet. En ce qui
concerne la graphie du patois, un système a déjà
été élaboré et mis au point par le BREL. Il
est fondé sur des critères de simplicité et d'universalité
; il a déjà été testé dans les travaux
du Concours Cerlogne et il a démontré sa validité.
Problèmes d'ordre législatif
Les membres de la commission sont convaincus de l'opportunité
de s'inspirer des projets européens. Ils partagent le souci d'éviter
toute sorte d'implication idéologique et visent à proposer
un plan de haut niveau culturel.
Des bases législatives existent déjà et elles reposent
sur :
• l'art. 19 de la L.R. 26.7.2000 n° 19 - Autonomie des établissements
scolaires ;
• l'art. 1, al. 5, de la L.R. 1.8.2005 n° 18 - Dispositions
relatives à l'organisation scolaire […].
Problèmes de présentation
et de communication
Il faut qu'un projet de ce genre se fonde le plus possible
sur le consentement général et pour l'obtenir, il doit être
élaboré et présenté sans réserve et
sans ambiguïté aux enseignants et aux familles. Il est évident
que le patois peut entrer à l'école à deux niveaux
différents : à travers les programmes scolaires régionaux,
et il serait alors obligatoire, ou à travers les projets de chaque
institution, en vertu du régime d'autonomie, et il serait alors
facultatif. Les deux hypothèses présentent un côté
négatif : le premier choix peut être perçu comme une
imposition, une contrainte ; le deuxième risque d'avoir peu de
crédibilité. La commission suggère de suivre une
démarche très souple et envisage une première expérimentation
adressée dans un premier temps à l'école enfantine
et à l'école primaire parce qu'il serait, pour l'heure,
difficile de structurer un itinéraire de formation des enseignants
et de planification des activités didactiques axé sur les
trois niveaux de l'école de base.
Pour obtenir le consentement nécessaire, il faudrait donc savoir
dépasser toute perspective ethnocentrique et protectionniste et
mettre en œuvre un projet culturel de qualité. Le rôle
de notre Université sera fondamental pour adopter, déjà
dans la phase expérimentale, les critères d'excellence et
de scientificité souhaités.
Problèmes d'ordre pédagogique
et didactique
Comme pour les problèmes de présentation,
un autre choix fondamental s'impose. Le francoprovençal doit-il
devenir un objet d'étude, une matière en tant que telle,
une langue à côté des autres ou un outil d'enseignement
et d'apprentissage ? Un problème qui, d'ailleurs, a déjà
investi la didactique du français et a orienté la «
voie valdôtaine » vers l'éducation bilingue et plurilingue.
Sans doute une langue-objet facilite l'adoption d'un horaire précis
et d'une méthode d'enseignement, mais une langue-outil est la seule
apte à donner des garanties d'acquisition durable. Selon l'avis
de la commission, ces deux aspects sont complémentaires et, même
s'ils sont réalisés par phases successives, ils doivent
être posés comme des buts à atteindre, compte tenu
aussi de la diversité des situations de départ dans les
différentes réalités socio-culturelles de notre région.
Une autre question importante est la suivante : si le francoprovençal
gagne le statut d'instrument d'enseignement et d'apprentissage, cela devrait-il
se réaliser dans le domaine de la civilisation valdôtaine
ou dans des domaines disciplinaires autres et plus amples ? Et lesquels
? Se prête-t-il mieux à être inséré dans
les « éducations » ou dans les disciplines ? Dans les
disciplines humanistes ou scientifiques ?
Problèmes d'ordre organisationnel
Les problèmes d'organisation sont strictement
liés aux choix d'ordre pédagogique. Le plus important étant
celui de l'horaire, non seulement en termes de nombre d'heures hebdomadaire
ou annuel à y consacrer, mais aussi et surtout en termes de place
dans l'horaire. Selon que l'enseignement du francoprovençal devienne
obligatoire ou facultatif, il devra trouver sa place à l'intérieur
ou à l'extérieur de l'horaire habituel des activités
et des cours. Ce choix est de la plus grande importance. D'autres langues
sont déjà présentes dans notre école ; pour
certaines, l'enseignement est obligatoire depuis longtemps ; pour d'autres,
leur introduction est plus récente. Des expériences très
intéressantes de didactique intégrée des langues
ont déjà été réalisées. C'est
là peut-être la voie d'accès pour de nouveaux apprentissages
d'ordre linguistique sans pour autant alourdir le secteur des langues
par rapport au secteur des sciences.
Ce problème en entraîne un autre encore. Cet enseignement
doit-il être confié à un « enseignant du module
» ou à un enseignant externe ? On peut soutenir que le fait
d'identifier une langue à une personne facilite l'apprentissage
parce que le type de communication qui s'installe est alors différent
et plus incisif, mais ce n'est qu'à travers l'usage de la langue
dans des activités de conceptualisation que son enseignement devient
vraiment efficace.
Cependant, le premier problème à résoudre est celui
des enseignants : problème de la connaissance et de la maîtrise
du francoprovençal, problème de la formation en didactique
des langues, problème de la certification des compétences.
Là encore, l'appui et le concours de notre Université devront
être sollicités. Une première enquête et une
première formation dépendront de l'ampleur de l'expérimentation
initiale qui sera autorisée.
Problèmes complémentaires
et d'équipement
Il va de soi que tous les enseignants, même les
« pionniers » les plus convaincus et enthousiastes, devront
être soutenus et accompagnés dans cette entreprise. Notre
école a parcouru une voie qui lui est propre dans ce qu'on appelle
couramment l'éducation bilingue et plurilingue. Il y a ainsi déjà
une compétence méthodologique de fond à exploiter.
Cependant, on ne peut pas nier qu'un accompagnement d'ordre linguistique
et un accompagnement d'ordre didactique sont indispensables.
Pour le premier, il est temps de créer une institution (on a souvent
parlé d'Académie) ayant pour but la sauvegarde et la promotion
du patrimoine linguistique francoprovençal en tenant compte de
ses caractéristiques structurales et de ses nécessités
évolutives. Il faut pouvoir à présent définir
les traits distinctifs de la langue auxquels on ne peut pas renoncer sans
perturber profondément sa structure et il faut aussi envisager
les néologismes jugés nécessaires ainsi que suggérer
des extensions sémantiques éventuelles. Pour le deuxième
type d'accompagnement, celui d'ordre didactique, on peut aisément
reconnaître la nécessité d'un matériel spécifique
qui serait entièrement à concevoir pour les différents
niveaux d'école. Mais ici aussi, on peut mettre à profit
tout le travail accompli pour la réalisation du matériel
qui accompagne aujourd'hui l'enseignement du français.
Entrevoir des réponses à ces questions et les transformer
en hypothèses de travail sera l'engagement de la commission pour
les mois à venir.
Rita Decime
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