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Le
théâtre au quotidien
En tournée avec la compagnie
théâtrale “ Macocco-Lardenois " de Privas (Ardèche),
le 28 mars 2006 à Aoste, Pierre Lucat interprète le rôle
de Iphicrate dans la comédie de Marivaux L’Ile
des esclaves. Il nous fait part de ses réflexions et de son
parcours.
Théâtre, culture et
école : la rencontre de trois entités
Trop souvent, on considère le théâtre
comme un simple loisir et, comme tel, il est difficile de lui reconnaître
une place dans l’école. À mon avis, il faudrait que
le théâtre fasse partie de la vie de tous les jours. Je ne
prétends pas qu’il devienne une matière d’étude
à l’école mais je regrette qu’en Vallée
d’Aoste le fait d’assister à une pièce de théâtre
ne soit pas ancré dans les habitudes.
D’après moi, pour convaincre le public, il faut amener le
théâtre hors de la scène et pas seulement dans les
écoles. À Privas, par exemple, une petite ville de 10 000
habitants environ, lors du " Printemps des poètes ",
chaque année au mois de mars, pendant deux semaines, on trouve
des comédiens un peu partout : ils font des lectures au marché,
ils vont à la maison d’arrêt rencontrer des prisonniers,
ils se produisent à l’hôpital psychiatrique, etc. Ils
investissent vraiment les lieux de la vie quotidienne et démontrent
comment le texte littéraire, et en particulier la poésie
ici, peut amener un moment de lumière, de joie et proposer une
autre façon de vivre ensemble.
À Privas, le théâtre entretient de bons rapports avec
l’école. Souvent, on voit de petits mômes de quatre
ou cinq ans investir le théâtre de la ville : ils occupent
l’endroit de façon ludique.
La compagnie avec laquelle je travaille, " Macocco-Lardenois et compagnie
", ne se contente pas de monter des pièces ; depuis des années,
dans les écoles, elle s’est engagée dans un travail
d’initiation au métier de comédien. Elle guide les
jeunes dans une démarche de découverte du théâtre
en tant que milieu, en tant qu’institution.
C’est ainsi qu’en Ardèche, de nombreux élèves
se sont désormais familiarisés avec cet art, et cela à
partir du plus jeune âge. Tout au long de leur scolarité,
nombreux sont ceux qui découvrent comment fonctionne le théâtre,
comment on travaille un texte. Ils arrivent à connaître les
lieux de l’intérieur ainsi que les multiples facettes du
théâtre. Ils rencontrent des comédiens, des metteurs
en scène, etc. Les activités en classe peuvent donc devenir
un tremplin pour donner le goût de la comédie et l’envie
d’embrasser plus tard la carrière. Arrivés dans le
secondaire du deuxième degré, dans le cadre de leurs études,
les lycéens peuvent choisir l’option théâtre
grâce à un parcours approfondi sur des auteurs et sur des
spectacles vivants.
Théâtre et identité
En Vallée d’Aoste, chaque année,
la " Saison Culturelle " offre aux Valdôtains un choix
de qualité.
Je crois que le théâtre populaire de patois joue un rôle
actif dans la société valdôtaine. Malheureusement,
je le connais très mal. Je n’ai pas eu l’occasion de
le fréquenter. Quand j’étais ici, j’ai bien
eu l’idée d’aller voir ce que c’était,
mais je ne l’ai pas fait. Il aurait fallu que je me familiarise
avec le francoprovençal. J’y ai un peu songé, mais
j’ai dû laisser tomber à cause d’autres engagements.
Je ne connais donc pas vraiment la réalité de ce théâtre
qui doit être, je l’imagine, beaucoup plus proche de la population.
Je trouve que c’est bien de sentir les gens intéressés
parce que ça leur parle d’un patrimoine commun, ça
leur parle d’eux-mêmes et ils s’y reconnaissent.
Je sais aussi que la compagnie " Envers Théâtre "
et d’autres encore ont régulièrement des contacts
avec les écoles de la région.
Mais, si l’on continue à considérer le théâtre
comme un simple loisir, c’est la meilleure manière de le
priver de sa valeur sociale, de l’empêcher d’être
un lien au sein de la communauté. Le plaisir partagé d’écouter
ensemble permet de l’élever au rang de patrimoine commun.
Le théâtre peut aider à (re)trouver une identité
culturelle. Je regrette qu’en Italie, la seule chose qui offre l’illusion
d’une identité culturelle commune, c’est la télévision.
Et il ne faut pas s’étonner que les gens aillent au théâtre
pour y retrouver le spectacle de cabaret qu’ils ont vu sur le petit
écran. Pour le grand public, on propose souvent sur scène
ce qui se fait à la télévision et c’est un
désastre ! La télévision prend ainsi la place du
théâtre alors qu’elle ne peut pas prétendre
en être.
Désormais, elle est présente dans tous les foyers. Pourquoi
aurait-elle aussi besoin d’occuper des lieux où elle touche
beaucoup moins de public à la fois ? Pour elle, il s’agit
d’une mutation génétique. Le fait d’usurper
une place qui n’est pas la sienne relève de la boulimie.
A-t-elle peur de la pensée que le théâtre sait générer
? Elle est tellement puissante que, si elle désire dévorer
quelque chose, elle le fait. Nous devons vraiment combattre cette maladie.
Sa place est ailleurs. Elle doit demeurer quelque chose d’autre.
Elle peut être extrêmement intéressante, mais elle
n’a rien à voir avec le théâtre.
La littérature m’a
donné le goût du théâtre
Je me souviens qu’au secondaire du premier degré,
on avait monté L’île au trésor. En
remontant encore plus loin dans le temps, je me rappelle aussi d’un
petit spectacle auquel j’ai participé à l’école
primaire mais, même à l’époque, je n’ai
jamais eu l’impression de faire vraiment du théâtre.
Il s’agissait de monter quelque chose de ludique : un prétexte
pour présenter une initiative sympa aux parents. Et, en y réfléchissant
aujourd’hui, au cours de ma scolarité, je ne pense pas avoir
eu l’occasion d’être sensibilisé au travail du
comédien, ni même d’avoir abordé le thème
de la valeur formatrice et sociale du théâtre.
C’est plutôt mon amour pour la littérature qui m’a
donné l’idée d’aller vers le théâtre.
J’ai fait mes études au lycée linguistique à
Verrès. Là, j’ai eu la possibilité de découvrir
et d’approfondir les littératures française, anglaise,
allemande et italienne. Mais franchement, je n’ai pas le souvenir
d’avoir été conduit vers une véritable approche
du théâtre, ni du point de vue théorique, ni du point
de vue pratique.
Au lycée, nous n’avons jamais monté de pièce.
En effet, ce n’était pas prévu. Finalement, c’est
plutôt les différentes littératures abordées
qui m’ont amené à m’orienter vers le théâtre
et puis ma passion pour le cinéma. Effectivement, j’ai participé
à de nombreux ateliers, notamment ceux organisés par l’association
culturelle " Il Cinematografo " d’Aoste. Ensuite, j’ai
voyagé : je suis même parti faire des stages à Mons
en Belgique…
C’est, enfin, le cours de formation financé par le Fonds
social européen, qui m’a convaincu de me lancer dans l’aventure.
Tant que j’étais en Italie, il m’était difficile
de comprendre vraiment comment devenir comédien. Lorsqu’on
ne choisit pas les grandes écoles nationales, les académies,
c’est compliqué de savoir en quoi consiste ce travail. J’ai
essayé de rencontrer des professionnels pour qu’ils m’expliquent
la marche à suivre ; malheureusement, j’ai rarement rencontré
des gens accueillants.
En résumé, ma passion est le résultat d’une
recherche personnelle visant à m’approprier le langage littéraire
qui peut paraître si éloigné de la vie quotidienne.
C’est aussi à partir d’affinités que j’ai
pu parfois ressentir pour un auteur, pour des personnages ; c’est
plutôt cela qui m’a donné l’envie de devenir
comédien.
Pierre Lucat
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