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Théâtre
! Faire du théâtre !
Souvent, quand ils ont gôuté
au théâtre, les élèves s’engagent plus
volontiers dans leur travail scolaire.
Théâtre ! Faire du théâtre.
Lorsque ces mots sont prononcés dans une classe, ils font naître
l'angoisse ou l'émerveillement, mais jamais ils ne laissent indifférents.
L'émotion passée, tout paraît facile : il suffit de
trouver un texte, d'attribuer les rôles, de répéter,
de fixer une date et… l'on entend déjà les applaudissements
!
Même si la réalité n'est pas tout à fait aussi
simple, elle est vraiment passionnante. Voilà trois ans qu'en tant
que professeur de français, je vis cette aventure avec une classe,
trois ans que je passe par des phases d'enthousiasme, d'angoisse et parfois
même de découragement où je me promets de tout arrêter
en fin d'année.
Dans les lignes qui suivent, je vais vous faire part de mon expérience
en abordant cinq points qui me paraissent essentiels et je finirai par
une remarque plus générale.
L'organisation
J'ai pu réaliser ces trois expériences
de théâtre grâce au Conseil Général de
Vaucluse qui, dans les collèges, soutient diverses propositions
culturelles regroupées dans un ensemble appelé " Escapades
collégiennes ". " Collège au théâtre
" est l'une de ces propositions. Pour participer à cette opération,
il faut monter un projet, c'est-à-dire définir :
• les modalités de fonctionnement : le choix de l'intervenant,
la fréquence et le lieu d'intervention ;
• le cadre pédagogique : IDD(1), atelier de pratique
artistique, Projets Artistiques et Culturels liés au théâtre
;
• les objectifs pédagogiques : apprendre à mémoriser
un texte, à parler devant les autres, à respecter le travail
et les efforts des autres ;
• et pour nous professeurs, appren-
dre à travailler en partenariat avec l'équipe pédagogique
: comédien et enseignants.
Lorsque le projet est accepté, le Conseil Général
finance les heures de présence d'un comédien professionnel
dans l'établissement scolaire.
La première année, nous avons ainsi obtenu dix-sept heures
d'intervention ! Nous avons fonctionné à trois : le comédien,
le professeur documentaliste et moi-même. J'avais une classe de
5ème (ndr : 2ème année du secondaire du premier degré)
de trente et un élèves d'un niveau satisfaisant. Nous avons
choisi deux textes différents et fait travailler les élèves
en deux groupes, deux heures par semaine : une heure sur un cours de français,
une heure sur le temps réservé aux IDD dans la classe et
cela à partir de janvier. Pendant qu'un groupe répétait
avec le comédien et moi-même, l'autre faisait des recherches
au CDI(2) avec le professeur documentaliste, sur le vocabulaire
propre au théâtre, la structure d'une salle de théâtre,
les grands auteurs français et étrangers. La prestation
des élèves fut correcte, mais sa réalisation nous
a demandé à tous les trois un investissement horaire très
lourd !
Pour la seconde expérience, nous avons obtenu vingt heures payées
par le Conseil Général et l'Association des parents d'élèves
nous a alloué une somme correspondant
à dix heures supplémentaires pour le comédien. Notre
équipe s'est modifiée, un professeur d'arts plastiques est
venu nous rejoindre et ensemble, nous avons mis sur pied un IDD théâtre.
Ainsi, non seulement les 29 élèves de la classe ont interprété
un rôle, mais ils ont conçu et réalisé les
décors et les costumes du spectacle. Il a fallu tout le talent
(et de nombreuses heures supplémentaires) du professeur d'arts
plastiques pour mener à bien ce projet. Il nous fallait des épées,
des casques, des boucliers des hauberts… puisque nous avions choisi
de mettre en scène des chevaliers. Nous avions également
besoin de masques car la seconde pièce mettait en scène
les personnages de La Fontaine. Ils ont eu leur petit succès !
Cette année, nous poursuivons notre aventure avec la même
équipe à moyen constant. Mais la classe concernée
par le projet est très difficile et nous n'avons pu envisager un
IDD théâtre qu'avec une répartition différente
des activités : dix élèves acteurs, dix-huit décorateurs
et costumiers. Cette structure est plus agréable pour le comédien,
mais demande aux deux professeurs une adaptabilité certaine ! Et
surtout une organisation très difficile à mettre en place
: nous n'avons, le professeur d'arts plastiques et moi-même, aucune
heure commune dans la classe !
Les temps forts
Monter une pièce de théâtre entraîne
obligatoirement de la présenter devant un public plus ou moins
restreint.
Au début des répétitions, les élèves
ne veulent jamais se produire, puis plus la pièce prend forme et
plus ils en sentent le désir.
Compte tenu des difficultés financières que rencontrent
les parents de la majorité de nos élèves, nous apprécions
là encore l'aide du Conseil Général. Nous nous rendons
deux fois, dans le courant du mois de mai, au théâtre appartenant
au comédien qui nous accompagne. Il est situé à 50
kilomètres de Valréas, ville où est implanté
le collège. Les deux voyages sont entièrement payés,
ce qui rend l'activité de théâtre totalement gratuite
!
Au cours de la première journée au théâtre,
les élèves découvrent les structures d'une véritable
salle de spectacle, avec les coulisses, une régie… Ils répètent
leur pièce dans un espace adapté, avec musique et éclairage.
Le début de la gloire ! C'est une journée difficile, car
ils se rendent compte des efforts indispensables pour parler fort, se
placer correctement devant le public, avoir des gestes précis…
La seconde journée, souvent à une semaine d'intervalle,
est très intéressante. Sont regroupées dans le théâtre
plusieurs classes de différents collèges privés et
publics. Chaque classe présente un extrait du spectacle qu'elle
a préparé. Cette prestation est suivie d'une discussion
qui s'établit entre la salle et les élèves installés
sur l'espace scénique. Sur ce point, mes deux expériences
ont été très positives. Il est étonnant de
voir ce que des enfants venant d'horizons différents sont capables
de réaliser, il est intéressant de voir des spectacles,
des décors et, à travers cela, découvrir un esprit,
le projet des professeurs et celui de l'établissement.
Enfin arrive le spectacle de fin d'année ! Mobilisation générale.
Les élèves et l'équipe qui les entoure passent la
matinée à organiser la salle, car nous nous produisons dans
des salles vides d'équipement. Le comédien apporte les rideaux,
la régie… mais tout est à installer. Et tout se fait
dans la bonne humeur. Jusqu'à présent, le spectacle s'est
bien passé, les spectateurs, parents et amis, ont un regard bienveillant.
Ils réalisent, à ce moment-là, le travail demandé
aux élèves et les efforts fournis par leur enfant. C'est
toujours un moment d'angoisse, mais toujours aussi un moment exceptionnel
! C'est la magie du théâtre. Après les applaudissements,
rien n'est fini ! Il faut tout ranger.
Cette année, le Conseil Général a proposé
à quatre élèves de quatre collèges différents,
d'assister à trois représentations du Festival d'Avignon
données dans la Cour d'honneur du Palais des Papes. Ils pourront
visiter les salles de la Maison Jean Vilar, lieu d'exposition où
sont présentés des maquettes de décors, des photos
des spectacles montés par le metteur en scène de référence
du festival. Ils pourront également visiter toute l'infrastructure
installée pour le festival dans la Cour d'honneur. J'ai, bien entendu,
inscrit des élèves de 3ème (ndr : 1ère année
du secondaire 2ème degré) qui avaient participé aux
activités théâtre en 5ème (ndr : 2ème
année, secondaire 1er degré). J'attends la réponse.
Le choix des textes
Le choix des textes se fait par l'équipe : comédien
et professeurs. Ce choix dépend du nombre d'élèves
en scène, de leurs capacités et du programme de français.
Le comédien, qui travaille souvent avec un public scolaire, possède
une bibliothèque riche en recueils de pièces de tous genres,
publiés dans les éditions Magnard et Retz.
Voici les pièces mises en scène :
• Les habits neufs de l'empereur, d'après Andersen
;
• Gavroche, d'après V. Hugo ;
• En attendant La Fontaine, Brigitte Saussard ;
• L'apprenti chevalier, d'après Perceval le Gallois,
adaptation de Valpierre ;
• L 'affaire Poliakoff, Juliette Pirolli.
Les élèves
Dire que le théâtre permet aux élèves
de s'exprimer, de se dépasser, de prendre confiance en eux est
d'une grande banalité. Et pourtant !
Quand l'activité de théâtre commence, des élèves
refusent de jouer car ils ont trop peur, se disent incapables d'apprendre
un texte… Le comédien sait chaque fois mettre les enfants
à l'aise, les détendre par des plaisanteries.
Ainsi, l'année dernière, nous avions une élève
particulièrement timide et faible. Au cours de la première
séance de théâtre, elle a pleuré tant elle
avait peur. Nous l'avons encouragée, aidée à apprendre
son texte… Et puis ! Elle a pris de l'assurance sur scène,
à tel point qu'elle a demandé à remplacer une camarade
absente en fin d'année. Mais surtout, elle a pris confiance en
elle et a compris qu'elle pouvait sortir de ses difficultés, que
pour apprendre, pour travailler, il faut de la méthode, des efforts
réguliers et de la concentration.
Le théâtre apprend également à écouter
les autres, à respecter leur travail.
Faire du théâtre est une chance formidable pour tous les
élèves. Pour ceux qui sont en difficulté, être
applaudi pour une prestation, faire naître un regard d'envie chez
les autres leur permet d'avoir une représentation positive d'eux-mêmes
et les aide à réaliser qu'ils ont des chances comme les
autres, mais que l'on ne réussit pas sans méthode et sans
efforts. Très souvent, le travail scolaire leur semble moins rébarbatif
: capables d'apprendre un rôle, ils peuvent apprendre une leçon
; capables de s'exprimer en public, ils peuvent prendre la parole en classe.
Les enseignants
Mon expérience a été chaque fois
différente. La première année, j'échangeais
beaucoup avec le comédien, mais j'étais très seule.
L'an dernier, j'ai vécu un moment très important. Pour la
première fois, j'ai senti la richesse et la force d'une équipe
: le professeur principal de la classe et professeur de technologie, le
professeur d'arts plastiques, le comédien et moi-même. Nos
cultures différentes ont entraîné quelques échanges
mémorables, mais nous avons appris à travailler ensemble,
à respecter nos personnalités. Nous avons travaillé
avec une classe très difficile au début de l'année.
Grâce à notre équipe, nous avons gagné ce qui
nous paraissait un véritable défi en commençant.
Calmer un groupe, recevoir le trac des élèves, partager
leur réussite, planter des clous, recoudre un costume à
la dernière minute nous a fait vivre des moments forts.
Pour terminer ce propos
Je dirais que mener un projet comme celui-là demande
des finances et de la disponibilité. Jusqu'à présent,
nous avons réuni les deux. Pour combien de temps encore ? Les Conseils
Généraux ont de plus en plus de charges et les crédits
alloués à la culture risquent de diminuer sérieusement
; l'Association des parents d'élèves accepte de financer
nos projets à la condition que nous apportions de l'argent dans
les caisses ! Quant à la disponibilité, beaucoup sont capables
d'être très généreux, mais encore faut-il qu'ils
trouvent dans la direction de leur établissement aide et soutien.
L'essentiel serait que le théâtre, comme les arts plastiques,
la musique fassent partie du projet d'un établissement, que ces
matières soient considérées comme une ouverture pour
les élèves, une possibilité de connaître de
l'intérieur des activités souvent jugées hermétiques.
Il faudrait surtout accepter que ces domaines ne soient pas traités
comme les autres. S'ils bouleversent parfois l'ordre établi, c'est
qu'ils sont l'expression de la vie. Créant une ouverture et une
dynamique au sein de l'école, ils permettraient peut-être
d'apporter d'autres réponses aux problèmes que nous posent
les adolescents aujourd'hui.
Ces remarques sont fondées sur mon expérience mais je crois
qu'actuellement, les difficultés rencontrées par les professeurs
qui veulent faire du théâtre dans les collèges sont
à peu de chose près identiques.
Heureusement, il existera toujours des personnes qui souhaiteront apporter
à leurs élèves une ouverture à la vie ; c'est
là l'essentiel !
Mireille Vanneste
Notes
(1) IDD : Itinéraires De Découverte : activités pédagogiques
interdisciplinaires portant sur quatre domaines thématiques en
relation avec le programme du cycle central (deuxième et troisième
années du secondaire du 1er degré).
(2) CDI : Centre de Documentation et d'Information : dans les établissements
scolaires, espace de lectures, de recherches, de débats utilisant
les technologies de l'information et de la communication.
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