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Le
mieux est l'ennemi du bien
Que conseiller aux parents pour faire face
aux éventuelles difficultés scolaires de leurs enfants ?.
Face à l'échec scolaire, personne n'est
tranquille. Chacun l'a compris, les meilleurs diplômes ne garantissent
plus des salaires mirobolants, ni même un emploi stable ; pourtant,
nul ne peut se dégager de la course à la réussite,
car l'absence de diplôme rend plus vulnérable encore en période
de crise et de chômage. Qu'une mère, qu'un père aient
le souci d'aider leur enfant à réussir à l'école
est donc légitime, et leurs craintes sont compréhensibles.
Toutefois, leur façon de s'en préoccuper peut aggraver les
difficultés éventuelles. Dire chaque jour à son enfant
: “ As-tu bien écouté à l'école ? Bien
lu ta poésie ? Bien fait tes calculs ? Attention, si tu ne travailles
pas, tu ne réussiras pas dans la vie ! ” n'est pas très
efficace. Cela peut même engendrer de l'angoisse ou de la résistance
et produire l'effet contraire. Les enseignantes et les enseignants peuvent-ils,
doivent-ils conseiller les parents dont l'enfant aborde le parcours scolaire
? Ce n'est pas tout à fait clairement leur mandat, et leur formation
ne les prépare pas dans ce sens. Je crois toutefois qu'il est utile
de s'y risquer si l'on se sent soi-même assez au clair sur ces questions.
Il importe que ce dialogue s'amorce dès le début de la scolarité,
à un moment où les enseignants peuvent encore, sans ambiguïté,
faire cause commune avec les parents et partager leurs espoirs.
Que dire alors ? Je me suis risqué à dresser une liste de
conseils, dont le fil rouge est très simple : nul n'apprend et
n'aide à apprendre dans l'angoisse. Sans plaider pour une insouciance
irresponsable, je plaide pour une confiance fondatrice, arrimée
au principe d'éducabilité, à l'idée que tous
les enfants sont capables d'apprendre si on les place dans des conditions
favorables. Tous les enfants sont différents, toutes les familles
sont différentes. Il n'y a donc pas de règle absolue. Les
parents bien intentionnés n'imaginent pas volontiers qu'ils peuvent
accroître les difficultés de leurs enfants. Pourtant, l'acharnement
pédagogique guette tous les éducateurs et fait parfois des
ravages… On comprend toujours trop tard que le mieux est l'ennemi
du bien et que l'école peut devenir une punition à force
de la considérer comme le pivot de l'existence et le “ Sésame,
ouvre-toi ” de la réussite.
Converser avec ses enfants régulièrement
Converser avec ses enfants, ce n'est pas leur dire ce
qu'ils doivent faire pour bien faire, ni penser à leur place. Il
faut expliquer aux parents que l'important est d’écouter
ses enfants et de les entendre. Et aussi leur dire des choses qui les
aident à sortir de leur solitude et de leur culpabilité.
Un enfant qui commence à avoir ou pense avoir des difficultés
à l'école est soulagé d'entendre que ses parents
en ont eu aussi, qu'ils n'aimaient pas l'école tous les jours.
Le discours des adultes sur l'école est souvent, à proprement
parler, incroyable, tant il parle d'un monde parfait que l'enfant ne reconnaît
pas.
Il importe que les parents s'autorisent à reconnaître qu'il
y a à l'école, dès la maternelle, des moments d'ennui,
des passages à vide, des injustices qui démobilisent, des
personnes - enfants ou adultes - dont on a peur. Cela fait du bien aux
enfants de ne pas prendre sur eux toute distance au monde scolaire, d'apprendre
qu'il est normal d'être parfois ambivalent, voire résistant.
Lorsque les adultes reconnaissent qu'il y a des paresses idiotes, mais
délicieuses, ils ouvrent un espace, ils libèrent la parole,
parce qu'ils permettent d'exprimer l'écart entre ce qu'on est censé
faire et ce qu'on a envie de faire.
Rencontrer les enseignants avant les difficultés
Le jour où les problèmes surgissent, il
y a du reproche et de la culpabilité dans l'air. S'il n'a pas été
établi avant, lorsqu'il n'y avait pas de gros nuages, le dialogue
famille-école se noue dans les pires conditions. La prévention,
chacun y pense trop tard, tous les dentistes, tous les médecins,
tous les garagistes le disent. Si la seule raison pour que parents et
enseignants se rencontrent était préventive, on peut parier
que les uns et les autres attendraient la dernière minute. Il importe
que des contacts se développent tôt, non pas parce qu'on
prévoit le pire, mais parce qu'il est normal, quelle que soit l'évolution
d'un enfant, que les adultes qui se partagent la responsabilité
de son éducation se connaissent et se parlent régulièrement.
Tisser des liens facilite la vie quotidienne des enfants, même s'il
n'y a aucune difficulté. En l'absence de dialogue (Montandon et
Perrenoud, 1994), les attitudes et les stratégies éducatives
des parents et des enseignants peuvent se contrecarrer et susciter de
part et d'autre des mouvements d'irritation et des attitudes négatives.
Tisser des liens n'équivaut pas à établir une alliance
sans faille entre les parents et les enseignants contre l'enfant. Elle
se ferait certes “ pour son bien ”, mais Alice Miller (1984)
a montré que toutes les pédagogies, même les plus
“ noires ”, se réclament de cette justification. Entre
ses parents et ses maîtres, l'enfant a besoin qu'il y ait, à
la fois, une certaine cohérence et des différences, que
chacun garde son identité.
Ne pas se substituer à l'enfant face au
jugement de l'école
“ N'écoute pas attentivement, a de la peine,
dérange la classe, agresse ses camarades, ne participe pas, manque
de persévérance, se montre agité et bavard…
” : le jugement de l'école, s'il est négatif, place
les parents devant un dilemme. Faut-il prendre inconditionnellement le
parti son enfant, crier immédiatement à la persécution,
à l'erreur judiciaire, à l'incompétence professionnelle
ou au sadisme de l'enseignant ? Certains parents adoptent cette attitude
totalement solidaire, qui empêche l'enfant de grandir et d'assumer
les conséquences de ses actes. L'attitude inverse n'est pas plus
saine : si les parents prennent au tragique tout ce que l'école
dit, s'ils renforcent son jugement quand il est négatif (“
Je te l'avais bien dit ! ”), s'ils ajoutent leur réprobation
et parfois leurs propres sanctions à celles de l'enseignant, l'enfant
va se retrouver très seul et se refermer. Il n'y a pas de recette
miracle, seulement un principe de conduite : l'enfant se construit d'autant
mieux qu'on l'aide à assumer de façon autonome son travail
scolaire et les jugements qu'il suscite. Le rôle des parents n'est
ni de dévaloriser, ni d'amplifier les jugements de l'école,
mais d'aider leurs enfants à les entendre, à prendre de
la distance, à se déterminer avec réalisme. C'est
l'enfant qui est jugé, sur sa conduite, sur ses réussites
et ses échecs en classe. Les parents ne peuvent pas être
sages, appliqués, travailleurs ou intelligents à sa place.
Ils peuvent en revanche l'aider à peser le pour et le contre, à
mesurer ce que lui coûte et lui rapporte sa façon d'être
en classe.
Prendre un peu de distance
Comment les parents aideraient-ils leur enfant à
prendre de la distance s'ils vivent sa scolarité sur le mode dramatique
? La plupart des adultes savent bien qu'ils entretiennent un rapport stratégique
aux institutions, à leur travail, à leur patron ou à
leur chef, aux horaires, aux procédures prescrites, aux cadences
imposées. Ils jouent avec les règles, sachant “ ne
pas aller trop loin ”. Bref, ils n'intériorisent pas totalement
la norme, ils en tiennent compte, comme d'une simple réalité,
à la manière dont les conducteurs freinent juste avant les
radars et reprennent de la vitesse un peu plus loin.
Pourquoi attend-on des enfants qu'ils soient plus exemplaires que leurs
parents, qu'ils exécutent parfaitement les exercices qui leur sont
proposés, écoutent toutes les leçons, n'égarent
jamais leurs affaires, respectent toutes les règles ? Les enfants
apprennent avant d’aller à l’école ce qui permet
aux adultes de survivre : se protéger des exigences du monde du
travail pour souffler un peu, avoir du temps pour soi, ne pas être
entièrement défini par les autres et les règles…
Bien entendu, lorsqu'on se trouve du côté de la règle,
comme parent ou enseignant, on ne peut valoriser le cynisme et le faire
semblant. On peut, en revanche, incarner la règle intelligemment,
de façon flexible, peu obsessionnelle, en sachant que l'essentiel
est l'investissement intellectuel plus que le conformisme de surface.
Ne pas réduire l'enfant à ses résultats
scolaires
À l'école, l'enfant est un élève.
Même lorsque les enseignants sont sensibles à la globalité
de la personne, à son développement, ils ont mission d'instruire.
Il est donc normal que l'évaluation scolaire privilégie
cette dimension de l'existence, donc les qualités et les défauts
qui lui sont liés. Ce qui est grave, c'est que les parents deviennent
à ce point dépendants du point de vue de l'école
qu'ils traitent leur propre enfant comme un élève, en le
réduisant à ses difficultés en graphisme ou en calcul,
comme si c'était le centre de la vie. Sans nier les difficultés
scolaires, il convient d’aider les parents à relativiser,
parce qu'ils ont le privilège d'observer leur enfant dans un spectre
différent et plus large de situations. Je me souviens d'une orthodontiste
pour laquelle rien ne paraissait plus important que porter des appareils
dentaires pour avoir une mâchoire parfaite. Les parents en sortaient
effrayés et consternés par toutes les catastrophes promises
s'ils n'adhéraient pas à des mesures immédiates et
énergiques. Puis la vie reprenait son cours. Ils se rendaient compte
que leur enfant allait très bien et que s'il avait les dents un
peu écartées, sa vie n'en dépendait pas. L'école
crée parfois le même sentiment, à cette différence
près que l'enfant y a rendez-vous deux fois par jour et que les
évaluations annoncent parfois l'état d'alerte rouge…
Un enfant est presque toujours beaucoup plus riche, fort et plein de ressources
que ne le suggère l'évaluation scolaire. Ses parents peuvent
l'aider à élargir ou à rétablir une image
de soi plus positive, à mettre les difficultés scolaires
à leur juste place, plutôt que d'ajouter à son humiliation
!
Ne pas faire l'école à la maison
Le souci de bien faire conduit souvent certains parents
à l'acharnement pédagogique, à l'overdose. Les journées
et les semaines d'école sont longues et les enseignants exigent
une mobilisation et une attention presque constantes : il faut avancer
dans le programme, il n'y a pas de temps à perdre. Le rôle
des familles n'est pas d'ajouter au stress, de tout vérifier, réexpliquer,
consolider. On parle souvent de la double journée de la mère
de famille, mais celle de l'enfant n'a rien à lui envier. Bien
entendu, le rôle des parents est d’aider l’enfant à
s’organiser, à faire ses devoirs dès qu’il en
a, à se préparer aux évaluations. Il ne s'agit pas
de démissionner, mais de là à faire répéter
à perte de vue “ les mots de la semaine ”, à
faire des dictées quand l'école n'en fait plus, pour prendre
l’exemple d’un point sensible en élémentaire,
à anticiper sur le programme, en particulier en lecture, il y a
un pas à ne pas franchir !
Ne pas empoisonner la vie familiale autour de l'évaluation
Les évaluations faites par l'école, qu'elles
soient qualitatives ou chiffrées, ne sont que des indications,
assez imprécises, de ce qui va bien ou moins bien dans les apprentissages.
La comparaison avec les autres élèves, la compétition
pour être le meilleur n'apportent rien. C'est à soi-même
que chaque élève est invité à se mesurer.
Les évaluations scolaires, notées ou non, ne sont pas des
indicateurs fiables, et encore moins stables, de la valeur intellectuelle
d'un élève. Elles expriment, dans un mélange difficile
à analyser, ses véritables moyens, sa bonne volonté,
son travail, ses stratégies, ses “ atomes crochus ”
avec l'enseignante ou l'enseignant du moment.
Récompenser ou punir ses enfants en fonction de leurs résultats
scolaires les détourne de l'essentiel : apprendre pour comprendre,
pour mieux maîtriser les situations de l'existence, pour répondre
à des curiosités fondamentales sur la vie, l'univers, l'être
humain, la société. Il n'est pas bon que les parents assortissent
la réussite à l'école de gratifications systématiques,
qu'il s'agisse de démonstration d'affection, d'octroi de liberté,
de sucreries ou de jouets. Il est encore moins recommandé de punir
son enfant, s'il n'est pas sage à l'école ou réussit
avec difficulté. Certains parents battent leurs enfants, au nom
d'une tradition qui valorise le rôle éducatif de la violence.
Ils abusent de leur force au mépris des droits de l'enfant et,
de plus, de façon inefficace : la crainte des coups enseigne surtout
à tricher, à mentir, à faire semblant, à ne
plus faire confiance à personne. Trop de parents croient bien faire
en offrant des cadeaux ou en accordant d'autres faveurs si le livret scolaire
est bon, en réagissant dans le cas contraire par des paroles ou
des gestes violents ou par la privation de sucreries, de petits plaisirs,
de libertés : “ Si c'est comme ça, tu seras privé
de dessins animés. ” Ces mobiles externes et matériels
ne seront jamais suffisants. Faut-il alors jouer sur l'amour ou le retrait
d'amour ? Encore moins : on détourne tout autant d’un rapport
personnel au savoir, on enseigne à l'enfant qu'il faut apprendre
pour plaire et être aimé, on accroît sa dépendance,
alors que l'enjeu est de le rendre autonome…
Ne pas oublier que la vie ne se joue pas sur un
échec
Les parents ont parfois le nez “ collé ”
sur les difficultés scolaires de leur enfant. L'avenir leur paraît
sombre, ils agitent le spectre du chômage, de la pauvreté
et parfois, pour faire bonne mesure, de la marginalité, de la délinquance
ou de la drogue. L'école ne les aide pas toujours à dédramatiser.
Ici encore, l'insouciance totale serait absurde et le rôle des parents
est d'anticiper. Or, anticiper, ce n'est pas prévoir le pire et
peindre le diable sur la muraille. La plupart des individus - et à
plus forte raison des enfants - ont des ressources insoupçonnées,
ils peuvent évoluer, se mobiliser. L'important est de leur faire
crédit, de ne pas les enfermer dans une quelconque fatalité.
La pensée positive peut devenir magique et dangereuse lorsqu'elle
nie les obstacles, elle est constructive lorsqu'elle ne cesse d'affirmer
que les surmonter est possible et d'en appeler à la confiance qu'on
doit faire aux ressources de chacun.
Ne pas reporter son angoisse sur l'enfant
Une partie des attitudes maladroites naissent de l'angoisse
des parents, qui les submerge et qu'ils reportent inconsciemment sur leur
enfant. Il est angoissant d'être parent, de se sentir responsable
d'un enfant. Cette angoisse peut devenir pesante, enfermante, stérilisante
pour l'enfant. Lorsque cela arrive, c'est qu'elle est en général
nourrie par d'autres causes, qui tiennent à la personnalité
et à l'histoire de vie des parents plus qu'à ce qui arrive
à leur enfant. Fixer son angoisse sur la réussite scolaire
de ses enfants est parfois une bonne thérapie pour les parents.
On peut douter que ce soit un atout pour ceux qui doivent porter les espoirs
et les peurs de leurs parents… Les angoisses les plus fortes s'enracinent
dans l'enfance des parents, leur propre itinéraire scolaire, leur
rapport à la vie et au savoir. Nul ne peut prétendre les
en guérir par quelques paroles lénifiantes. On peut en revanche
les aider à les exprimer, à les mettre un peu à distance,
et surtout à reconnaître qu'elles ne viennent pas de ce qui
arrive à leur enfant, qu'il n'est qu'un point de fixation, presque
un prétexte à raviver des angoisses qui lui préexistaient.
Accepter de faire partie du problème
L'enfant vit dans un système. S'il a des difficultés,
il en est rarement la seule cause. Il est important d’aider les
parents à comprendre qu’accepter de faire partie du problème
ne consiste pas à se culpabiliser, à prendre sur soi, sans
rien analyser, à se dire que son enfant a des problèmes
parce qu'on est soi-même “ au-dessous de tout ”. Aucun
enfant n'est soulagé parce que ses parents se méprisent
eux-mêmes. Cela ne l'aide pas, au contraire.
Accepter de faire partie du problème, c'est se demander si les
conduites et les difficultés de son enfant n'expriment pas, au
moins en partie, la culture familiale, les contradictions, les rêves,
les obsessions et les angoisses des parents. Aux parents qui ne parviennent
pas à prendre ce recul, une bonne âme devrait offrir le petit
livre de Paul Watzlawick dont le titre est tout un programme : Faites
vous-même votre malheur (Norton 1983, trad. Seuil 1988)!
Faire confiance, rendre responsable
Lorsqu'un adulte se demande quand il est devenu autonome
(le devient-on jamais complètement ?), il se rend compte que c'est
au moment où on lui a fait confiance, où on lui a donné
des responsabilités. Qu'on en tire quelques leçons…
Nombre d'enfants, toujours en retard, arrivent à l'heure à
l'école le jour où cela devient leur affaire. Ils vont se
coucher parce qu'ils ont sommeil (et non parce qu'on les envoie au lit)
et mettent leur réveil pour se lever à l'heure. D'autres
s'organisent à partir du moment où on ne leur demande plus,
toutes les cinq minutes, s'ils ont rangé leur chambre ou pris toutes
leurs affaires. Certains se mettent à leurs devoirs lorsqu'ils
se rendent compte que l'affrontement rituel avec leurs parents n'aura
pas lieu et que ce n'est pas à eux qu'ils ont affaire, mais à
l'enseignant, le lendemain… Comme tous les défenseurs des
méthodes actives le montrent, les adultes empêchent les jeunes
de grandir parce qu'ils font à leur place, contrôlent tout,
surveillent, encadrent, mettent en garde, sans se rendre compte qu'ils
dépossèdent l'enfant de ses responsabilités. Philippe
Meirieu nous met en garde contre la toute-puissance de Frankenstein pédagogue.
Nul n'est à l'abri d'un excès de pouvoir. Dès la
maternelle, les enseignants peuvent aider à prévenir cette
dérive.
Se souvenir qu'on a été enfant…
Pour les enfants, les résultats scolaires ne sont
qu'un aspect de l'école, qui constitue d'abord un milieu de vie,
un réseau de relations, une source d'identité. Ils préfèrent
être évalués favorablement, mais toute leur vie ne
s'organise pas autour du carnet scolaire, à plus forte raison pour
les plus petits, sauf peut être pour quelques élèves
inquiets et perfectionnistes, renforcés dans cette attitude par
les attentes et les angoisses de leurs parents.
Les adultes ont la mémoire courte. Ils ont oublié ce qui
a de l'importance pour les enfants dans la vie quotidienne : les conversations
avec les camarades, les conflits, les amitiés, les amours, les
déceptions, les rires, les événements inattendus,
les jeux, les choses qu'on découvre ou qu'on maîtrise pour
la première fois.
“ Maman, ce matin, il y a eu les pompiers dans l'école !
”, dit l'enfant. Ou : “ Vincent m'a pris ma pomme. ”
À ces témoignages, il n'est pas utile de répondre
: “ Montre-moi ce que tu as écrit aujourd’hui. ”
Si je devais organiser une “ école de parents ”, j'inviterais
les parents à plonger dans leur passé, à se revoir
enfants ou adolescents sur des bancs d'école, à retrouver
ce qui leur importait alors. À comprendre que la vie d'enfant ne
se réduit pas à la vie d'élève et que dans
cette dernière, les relations sociales et les événements
quotidiens comptent davantage que les savoirs…
Perdre le sens du tragique
Dans nombre de familles, on prend assez tôt l'école
au tragique. Les parents qui ont fait des études longues sont un
peu plus détendus, du moins lorsque leurs enfants fréquentent
l'école primaire, parce qu'ils savent que la scolarité est
une longue marche et que l'avenir ne se joue pas sur une épreuve.
D'autres familles ont moins de recul et vivent la scolarité de
leur enfant dans une tension extrême, usante pour tout le monde
et paralysante pour l'enfant, qui sent peser sur ses épaules un
immense poids. “ Relax ! ”, arrivent à dire les adolescents
à leurs parents inquiets. Les jeunes enfants n'ont pas encore les
moyens de prendre une telle distance, de se défendre contre les
catastrophes qu'on leur promet si… Ils prennent leurs parents au
sérieux. C'est donc l'humour de ces derniers et leur sens des proportions
qui rendront la scolarité vivable ou accablante pour tous…
Hélas, il faudrait avoir de l'humour pour se rendre compte qu'on
en manque.
La télévision devrait rappeler une fois par jour, entre
le journal et la météo que, pour apprendre, il faut donner
du sens à ce qu'on fait et se sentir reconnu, respecté comme
personne. C'est essentiel lorsqu'on lutte contre l'échec scolaire
(Perrenoud, 1995), mais pourquoi ne serait-ce pas également valable
pour les enfants qui n'ont pas de difficultés d'apprentissage ?
Savoir qui on est et ce qui importe
Les “ conseils ” qui précèdent
ne s'appuient pas tous sur des vérités psychologiques et
sociologiques. Toute pédagogie se fonde sur des partis pris, des
valeurs, une philosophie, une éthique, un rapport à la vie,
une expérience personnelle. Il serait étonnant et presque
inquiétant que le lecteur, qu'il soit parent ou enseignant, soit
d'accord avec moi sur chaque point. Là n'est pas l'essentiel. On
ne peut donner que les conseils qu'on assume. On ne peut recevoir que
les conseils qu'on est prêt à entendre. Du moins invitent-ils
à savoir qui on est, ce que l'on pense, et encouragent-ils, parfois,
à prendre un peu de distance et à redéfinir l'essentiel.
De ce point de vue, quiconque risque quelques conseils aux parents ne
devrait pas s'attendre à transformer du coup leurs attitudes. Relancer
une réflexion, ouvrir quelques pistes, nourrir quelques doutes,
renforcer quelques intuitions, donner plus d'audace, ce n'est pas rien.
Ouvrir le dialogue avec les parents n'est pas un acte de toute puissance,
juste une invitation à réfléchir ensemble. Pour cela,
il faut évidemment que les enseignantes et les enseignants soient
eux-mêmes au clair sur leurs valeurs et leur propre conception de
l’éducation…
Philippe Perrenoud
Article publié dans la revue Éducation
Enfantine, n° 3, novembre 1998, p. 71-76 et proposé ici grâce
à l’aimable autorisation de l’auteur.
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