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Des
conditions pour une coopération
Depuis toujours, on affirme
que la coopération entre enseignants et parents est une clé
pour la réussite scolaire des jeunes. Pourtant, au-delà
d'une reconnaissance mutuelle formelle (au sein d'instances participatives
: conseil de classe, conseil d'administration, etc.), force est de constater
que trop souvent encore les pratiques des uns et des autres, dans le secondaire,
ne se rencontrent guère.
Certes, “ le professeur doit pouvoir établir
un dialogue constructif avec les familles et les informer sur les objectifs
de son enseignement, examiner avec elles les résultats, les aptitudes
de leurs enfants, les difficultés constatées et les possibilités
de remédiation, conseiller, aider l'élève et sa famille
dans l'élaboration du projet d'orientation ”, comme l'affirme,
en France, la circulaire définissant la Mission du professeur du
secondaire (1997). Mais la réalité, au sein des établissements,
est généralement nettement moins optimiste. Et ce, d'une
part, parce que la représentation de son métier par l'enseignant
est encore très majoritairement concentrée sur la transmission
des savoirs au sein de la classe et que, d'autre part, il ne suffit
pas de “ souhaiter le dialogue avec les familles ” pour qu'il
s'instaure d'office, il y faut des conditions construites collectivement,
ce qui n'est aujourd'hui que rarement instauré.
Convenir de prendre en compte la famille, de travailler avec elle, c'est
d'abord accepter l'idée qu'il ne peut y avoir de séparation
totale entre ce qui se fait dans l'établissement pour l'élève
et ce qui se joue à l'extérieur pour l'enfant. C'est considérer
que la construction des savoirs s'appuie conjointement sur les deux instances
éducatives. La sacralisation sans doute symboliquement
nécessaire de l'espace scolaire ne peut être en contradiction
totale avec les attentes concrètes de la société.
On peut même affirmer qu'elle ne se décrète pas et
qu'elle ne peut être acceptée que dans la mesure où
elle est capable de ne pas oublier la réalité extérieure.
Or, trop souvent, la machine éducative scolaire tend à fonctionner
pour elle même et à exclure tout ce qui lui semble étranger.
L'enseignant, concentré sur sa classe, répugne plutôt
à rendre des comptes - hors de sa hiérarchie - sur ses objectifs,
ses pratiques et ses résultats. Système et acteurs contribuent
ainsi au dialogue de sourds : des rencontres ont bien lieu entre professeurs
et parents mais à chacun de rester à sa place. La coopération
est rarement de mise. Le formalisme l'emporte sur l'utilité. (Nombre
de réunions parents/profs manifestent cet état de fait :
chaque partie y va de son monologue et l'insatisfaction est le seul constat
- séparément - commun.)
Sortir de cette situation - la plus fréquente - suppose d'admettre
que la relation école/famille ne va pas de soi, que la bonne volonté
est sans doute nécessaire, mais qu'il ne suffit pas d'invoquer
cette relation pour qu'elle s'installe de manière satisfaisante:
elle nécessite d'être l'objet d'un travail.
Travailler avec les parents
Du point de vue enseignant, accepter de se placer dans
une perspective de coopération avec les parents suppose de bien
saisir les conditions d'un rapprochement qui ne va pas de soi. Il s'agit
notamment, et en premier lieu, de permettre la rencontre, bien concrète,
entre deux types de partenaires, ce qui suppose une vision les situant
sur un plan d'égalité. Lors de chaque rencontre entre un
enseignant particulier et un parent particulier se joue en fait la confrontation
de deux institutions : l'École et la Famille, et non pas un simple
dialogue entre individus.
Du côté enseignant - mais évidemment cela vaut pour
tout adulte en fonction dans l'établissement - il ne semble pas
toujours être saisi que, lors d'un contact avec des parents, se
joue un rapport institutionnel qui dépasse nettement la seule relation
entre personnes, puisqu'il réalise la confrontation entre les deux
instances éducatives au service du même bénéficiaire
l'enfant/l'élève. Pourtant, c'est une évidence pour
tout parent : lorsqu'il se déplace vers l'établissement,
c'est l'École toute entière qu'il rencontre, avec toutes
les représentations qu'il s'en fait. Et c'est bien cette réalité
qui explique la difficulté pour nombre de parents - et en particulier
ceux dont le rapport personnel à la scolarité n'a pas toujours
été idyllique - de venir au contact des enseignants. Ces
derniers se plaignent fréquemment : “ On ne voit jamais les
familles qu'on voudrait voir. ” Évidemment, lorsque le contact
peut-être appréhendé comme potentiellement douloureux,
qui choisirait de vivre cette difficulté ?
L'École est en effet une institution qui peut faire peur. C'est
ce que les enseignants qui y sont immergés oublient trop souvent.
Pourtant ils n'ont qu'à examiner leurs propres représentations
sur les familles pour saisir, en miroir, que ces dernières ont
quelques raisons d'être méfiantes. On peut en effet constater
que beaucoup d'adultes dans l'école font leur la crainte d'une
remise en cause par les parents dans un moment où leur autorité
n'est plus nécessairement reconnue par les élèves
eux-mêmes.(1)
Les conditions pour un travail en commun école/famille sont donc
loin d'être spontanément réunies. Mais c'est parce
qu'ils construisent leurs compétences en professionnels qu'il s'agit
pour les enseignants de contribuer, en premier, à ce travail.
École et Famille : deux
Institutions complémentaires
Affirmer la nécessité de réfléchir
en termes d'institutions est sans doute le meilleur moyen d'échapper
à la trivialité commune des rapports entre enseignants et
parents.
Il faut se souvenir, d'abord, que Famille et École sont deux notions
ayant chacune une histoire. Histoire qui nous rappelle (ou nous apprend)
que la famille(2) telle que nous la connaissons (ou la fantasmons) est
de création récente, à peine plus que séculaire,
et directement liée aux besoins de la bourgeoisie de " civiliser
" les travailleurs, pour son plus grand profit, à travers
vie de couple régularisée et attachement aux enfants. L'histoire
nous enseigne encore que l'école de Jules Ferry se donnait la même
ambition “ civilisatrice ” face aux travailleurs que face
aux peuples qu'elle colonisait hors de France.
Pourtant École et Famille n'en sont pas moins, dans leur principe
instituant, des créations humaines visant des finalités
qui vont de pair. L'École ambitionne de donner au petit d'homme,
dans un temps limité et sacralisé, l'essentiel des savoirs
construits par les générations qui l'ont précédé,
tandis que la Famille l'inscrit dans la filiation générationnelle
de la parentalité. Éducation et filiation sont ainsi deux
notions que ces institutions ont en commun.
Chaque rencontre entre parents et enseignants joue donc, en mineur, la
rencontre entre les deux institutions au service de l'éducation
de l'enfant, dans leur différence et leur complémentarité.
Voilà qui fonde le statut égalitaire des partenaires, condition
nécessaire de tout véritable échange.
Une prise en compte collective
Dans tous les cas, travailler avec les familles suppose
ainsi, d'emblée, un travail sur les conceptions premières
des enseignants parallèlement à la mise en place de pratiques
réfléchies. Et ce travail ne peut être solitaire,
il a besoin de réflexion collective. L'efficacité des pratiques
en dépend. Impossible sur ce point de faire actuellement dans l'optimisme
béat : malgré les textes officiels, le travail d'équipe
constamment prôné n'est toujours pas très partagé.
Et trop souvent, la tendance forte tend même à spécialiser
les rapports avec l'élève et sa famille, quitte à
multiplier les intervenants (le Conseiller Principal d'Éducation,
l'Assistant Social, le Conseiller d'Orientation Psychologue, etc.) plutôt
qu'à envisager une approche multidimensionnelle réellement
humaine.
Matériellement, il suffirait de peu de choses pour que l'École
s'ouvre vraiment à la Famille : que l'accueil dans les établissements
soit amélioré (y compris la signalétique), que les
occasions traditionnelles de contacts soient réfléchies
(réunions de débuts d'année proposant un contact
égalitaire et non pas profs debout face à parents assis,
passifs ; invitations plutôt que convocations ; réunions
systématiques et individualisées instituées pour
tous).
Mais plus encore, il faudrait sans doute que, lors de leurs rencontres,
les enseignants ne craignent pas de dire leurs difficultés et écoutent
celles des parents dans leurs fonctions communes d'éducateurs.
La coopération ne peut se construire qu'à partir de ces
constats partagés. C'est à ce prix que l'on pourra dire
que les membres de l'École travaillent avec les membres
de la Famille, dans le respect des différences et des rôles(3),
mais pour le plus grand bien des deux institutions réconciliées.
POST SCRIPTUM |
Pour ma part, ayant la chance de travailler
depuis une vingtaine d'années dans un collège en zone
d'éducation prioritaire, j'ai pu mesurer combien le seul
fait d'avoir institué - en trois occasions qui ne
correspondent pas nécessairement avec les fins de trimestre
- la remise d'une fiche de communication (situant l'élève
tant sur le plan des niveaux de savoirs disciplinaires que sur ses
compétences en matière de métier d'élève)
contribue à rendre possibles des échanges fructueux
avec les familles. L'effort demandé à tous (toutes
les familles, tous les enseignants) de consacrer à ces rencontres
des temps de rendez-vous négociés à la
carte concourt à un rapprochement au bénéfice
des deux parties, pour le plus grand profit de l'enfant/élève.
Et, du côté enseignant - les équipes changeant
avec le temps - cette pratique permet une réflexion commune
sur les conditions mêmes nécessaires à un véritable
dialogue avec les familles, au point de déboucher sur un
protocole commun du déroulement des rencontres. |
Guy Lavrilleux
Note
(1) La prétendue "démission" des parents fait
trop souvent partie des représentations négatives chez l'enseignant
qui se méprend sur la conception, majoritaire en milieu populaire,
qui est de “ faire confiance à l'école ” et
de ne “ pas s'en mêler ”. Ou qui, en période
d'orientation, s'en remettent aveuglément aux vœux de leurs
enfants par crainte d'éventuels reproches de leur part, plus tard.
(2) Tout comme l'adolescence est une "invention" des années
d'après la seconde guerre mondiale, la famille "traditionnelle"
(celle des manuels scolaires de la deuxième partie du XXème
siècle) dont le modèle est celui de la famille bourgeoise
(homme “ actif ”, femme au foyer et enfants scolarisés)
n'a réellement été majoritaire en France que durant
les années 50-60. (cf. travaux de François de Singly)
(3) Ce qui signifie nullement que les parents aient à s'immiscer
dans le travail des enseignants ni que, réciproquement, les enseignants
se mêlent de leur faire la leçon.
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