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Les
familles, une ressource pour l'école
Les mille et une façons
de faire circuler la communication entre l’école et les familles
et de mettre sur pied une collaboration féconde.
Avant d’aborder le thème des relations et
de la communication entre les enseignants et les familles, il convient
de rappeler que la question de l'école est directement liée
à la société dans laquelle nous vivons et à
celle que nous voulons construire pour demain. L'exemple français
des 22 questions, rédigées par la Commission Thélot
en 2002 pour instaurer un débat public et réfléchir
collectivement sur les axes de développement de l'école,
nous aide à repenser les priorités de nos systèmes
éducatifs même si, sur certains points, ils diffèrent
d’un pays à l’autre.
En Suisse romande, le concept de communauté éducative est
présent dans les mentalités et dans les pratiques depuis
plusieurs années. À Genève, un code de déontologie
de la profession enseignante place les pratiques à un haut niveau
taxonomique de compétences à développer ; ainsi,
l'enseignant n'est plus considéré comme un simple exécutant,
mais comme un professionnel aux responsabilités multiples, lesquelles
ne se limitent pas aux niveaux éducatif et didactique, mais investissent
aussi les domaines de l’éthique, de l’épistémologie
et du relationnel.
Dans la perspective de faire réussir tous les élèves,
l’institution est présente dans le contrat cadre qu'elle
établit, dans les missions qu'elle se donne, dans les prescriptions
qu'elle élabore et dans les relations entre les différents
acteurs de l'école. Mais chacun, de façon individuelle et
collective, transfère ces prescriptions dans ses activités
propres. Dans tous les établissements scolaires, un effort particulier
est désormais déployé pour aborder collectivement
le rapport aux parents et aux familles.
Nous proposons ici l’exemple genevois afin de montrer que les parents
sont à la fois des partenaires et une ressource, mais pas à
n’importe quelle condition.
La symbolique et la pratique de la responsabilité
collective
Certains enseignants abordent leur travail en le concevant
au sein d’une équipe ou d’un projet ; d’autres
plutôt de manière individuelle ; d’autres encore préfèrent
le travail en petits groupes, par cycles, par degrés ou en duo.
La question des relations et de la communication avec les familles peut
donc, elle aussi, être traitée sur un registre individuel
ou plus collectif, normatif ou plus prospectif, selon l'interprétation
et la mise en œuvre qui en sont faites. Le degré de collaboration
est souvent un révélateur du degré de professionnalisme,
même s’il existe des enseignants qui, dans des pratiques essentiellement
individuelles, sont remarquables.
Cependant, si nous prenons l’exemple d’une équipe d'enseignants
qui rencontre un ensemble de parents lors d’une réunion collective
ayant pour objet leur projet d'école ou tout simplement pour dialoguer
lors de l’introduction de nouvelles pratiques, l’enjeu symbolique
de la communication s’impose : un collectif d’enseignants
s’adresse à un collectif de parents (Crozier et Friedberg,
1977). Le message adressé aux familles par rapport à la
prise en charge du parcours des élèves est important, notamment
s’il est assorti d’une organisation plus collective du travail
(décloisonnements, modules, plans de travail) et d’un suivi
collégial des élèves.
Des relations informelles aux conseils d'établissement
Face aux objectifs de démocratisation qu'elle
se donne, l'école prône une responsabilité collective.
À Genève, dans le cadre de la phase d'exploration intensive
de la rénovation de l’école primaire (1994-1999),
trois axes ont été développés : placer l’enfant
au centre des apprentissages, individualiser les parcours de formation
et travailler ensemble.
La collaboration avec les familles est devenue une priorité. Il
faut reconnaître que, dans bien des cas, des pratiques déjà
existantes ont été à la base du processus de rénovation,
par exemple quand les enseignants se sont engagés à expliciter
aux familles le projet d'école et les nouvelles pratiques qu’ils
avaient entreprises. Ils ont alors multiplié les contacts avec
les parents.
Dans leur travail de mémoire de licence, S. Fauriel et E. Zumstein
ont répertorié quatre situations relatives aux relations
Familles/École dans l’enseignement primaire pendant la période
1994 – 2002 : les réunions, l’entretien, la communication
écrite et les manifestations. À travers celles-ci, les deux
auteures ont mis en lumière les calculs stratégiques des
enseignants en termes de coût et de bénéfices. Elles
ont noté que ces pratiques ont une influence positive sur la scolarité
des élèves, sur le lien social, sur la pacification des
relations et sur la reconnaissance des parents. Par contre, le temps à
y consacrer pèse lourd car des efforts de coordination entre enseignants
sont indispensables. Ces pratiques nécessitent l’acquisition
de compétences spécifiques et donc des temps d’analyse
et de formation. Cependant, les enseignants sont bien conscients de la
nécessité de travailler ce passage entre culture familiale
et culture scolaire, la proximité et la disponibilité se
révélant être des facteurs de régulations fécondes
qui aident à tisser des liens de confiance.
Voici à présent, quelques commentaires inspirés de
leurs travaux. Les deux auteures ont souligné que les enseignants
accordent une grande importance à leur façon de communiquer
oralement le projet d'école aux familles, au moyen de réunions
(réunions d’école, de classes, etc.) et au moyen des
entretiens, aussi bien individuels que tripartites (en présence
de l’enfant), au cours desquels l’accent est mis sur la progression
des élèves. L’entretien tripartite fait partie des
pratiques innovantes. Il met en jeu des relations croisées entre
l'enseignant, l'élève et ses parents. Il se fait généralement
sur la base d’un portfolio, constitué d’un recueil
de travaux de l’élève, l’accompagnant au cours
du cycle d’apprentissage et que celui-ci commente lors d’une
“ soirée portfolio ”, témoignant ainsi de sa
progression.
La communication écrite, quant à elle, outre le portfolio,
comprend notamment le cahier de liaison, outil de communication journalier
avec les parents, les lettres et enfin le livret scolaire qui atteste
officiellement des résultats obtenus.
Les auteures de la recherche ont également répertorié
les diverses manifestations telles que les fêtes d'école,
les expositions, les conférences et les initiatives ludiques (rallyes,
etc.), qui ont l’avantage de cibler les différents types
de familles, ouvrant ainsi l'école à tous les parents.
Enfin, il s’agit de ne pas sous-estimer l'importance de la communication
orale informelle, souvent sur le pas de la porte, typique de l'école
enfantine.
Parmi les perspectives à venir figurent les conseils d'établissement
dont quelques-uns avaient déjà été mis sur
pied à Genève avant la rénovation. Ils regroupent
des représentants des parents et des enseignants et témoignent
de la volonté d'aller vers une stratégie de collaboration
commune entre parents et enseignants.
Le conseil d'établissement permet peu à peu de créer
une occasion institutionnalisée de rencontre pour traiter de questions
émanant soit de la seule équipe enseignante soit, conjointement,
de parents et d’enseignants et cela, dans le respect des compétences
et des responsabilités de chacun. À Genève, pour
le ministre de l'Éducation, l’institution des conseils d'établissement
figure parmi les treize priorités pour l'école.
La mise en place de ceux-ci demande, de la part du corps enseignant, l’acquisition
de compétences nouvelles. Cependant, certains se montrent frileux,
voire sur la défensive quand il s’agit d’impliquer
les parents. C’est pourquoi un travail, tant de maturation que d’analyse
et de confrontation des représentations et des pratiques, est nécessaire
; la culture de la collaboration et du débat ne se décrète
pas, elle se construit dans l'interaction.
De l'analyse des pratiques à une communication
efficace
Certes, divers messages circulent dans l'école
mais il faut se demander si le ton, la forme, les contenus et les émetteurs
sont toujours appropriés. Prenons l’exemple du tableau d’affichage
: on y trouve pêle-mêle des informations relatives aux activités
extra-scolaires, celles des associations de parents ou de quartier, une
variété d’annonces de cours ou de traitements médico-psychologiques,
etc. Sur les portes figurent des symboles et avis d’interdiction,
comme celui de laisser les poussettes à l’extérieur.
Les familles qui les lisent peuvent avoir l’impression de recevoir
des messages contradictoires, quelquefois discriminants. L’école
doit être particulièrement attentive à sa façon
de communiquer. Elle doit être consciente de l’ambivalence
de certains messages et se considérer elle-même comme objet
d’analyse.
En tant qu’accompagnatrice de projets, j'ai eu l'occasion de travailler
dans une école en rénovation où les pratiques avec
les parents étaient analysées en lien avec le projet d’école.
Il s’agissait notamment de comprendre si les mesures adoptées
dans l’établissement pouvaient avoir un caractère
d’intégration ou de discrimination pour les familles. Le
travail de l’équipe a porté successivement sur les
points suivants :
• les représentations que les enseignants se font des familles
;
• l'inventaire des pratiques existantes ;
• le lien entre pratiques et profils de famille ;
• la reprise de la charte d'école ;
• les actions de régulation à apporter et les perspectives.
L’analyse de ces thèmes, apparemment banals, mais en réalité
très ciblés, a permis à l’équipe de
se remettre en question sur ses valeurs déclarées, comme,
par exemple, la lutte contre l'échec scolaire et de les confronter
aux pratiques effectives de différenciation. La démarche
des coordinateurs pédagogiques de cette école a suscité
une prise de conscience collective qui a débouché sur une
régulation des objectifs et des pratiques, dans une perspective
d'auto-évaluation.
Il est à remarquer que les pratiques pionnières contribuent
à réduire la distance entre l'école et les familles.
Elles facilitent la compréhension réciproque en poussant
les enseignants à expliciter davantage les objectifs et les pratiques
individuelles et collectives. Elles font prendre conscience que l'enfant
est un vecteur essentiel de la communication avec sa famille et qu’il
faut le mettre en mesure d’expliciter son travail (il est donc nécessaire
de conjuguer formation de l'élève et information aux parents).
Enfin, elles contribuent à faire circuler les savoirs entre l'école
et les familles, en agissant sur l’espace qui, tout à la
fois, sépare et relie les familles à l’école
en l'exploitant pédagogiquement. C’est une des clefs pour
que les apprentissages scolaires soient réinvestis dans des situations
de communications authentiques. Et là, tout est à inventer:
notes, textes, dessins, circulation des questions, partage des intentions
et des savoirs en lien avec le contrat scolaire et les savoirs en provenance
des familles.
Maulini et Wandfluh (2003) ont souligné que lorsque les familles
sont impliquées et collaborent avec l’équipe des enseignants,
elles peuvent voir et comprendre ce que les enfants apprennent et changer
leur point de vue sur les savoirs et les objectifs de l’école.
Si le premier réflexe des enseignants peut être celui de
vouloir, en quelque sorte, contraindre les familles à adhérer
à leurs projets et intentions pédagogiques, il est nécessaire,
d’une part, d'opérer un changement de comportement et de
mentalité, et de l’autre, de considérer les familles
comme de potentielles et réelles ressources. Si les familles sont
plus ou moins proches de l’école, si elles participent plus
ou moins volontiers, c’est aux professionnels qu’incombe la
tâche de créer un terrain favorable pour faire évoluer
les rapports de communication. C'est au cœur de cette tension que
se travaillent les relations entre les familles et l'école.
Danielle Bonneton
Références bibliographiques
CROZIER M., FRIEDBERG E. (1977), L'acteur et le système, Seuil,
Paris.
DIP (2005), 13 priorités pour l’Instruction publique genevoise,
Département de l’Instruction publique, Genève.
FAURIEL S., ZUMSTEIN E. (2003), Les relations familles école dans
la rénovation de l'école genevoise, 1994-2002, Mémoire
de licence, Université de Genève, FPSE.
MAULINI O., WANDFLUH F. (2003), Une pratique vaut mille mots, Université
de Genève, Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation
et École du Bachet, Lancy, Genève.
MEIRIEU PH. (1997), Vers un nouveau contrat parents enseignants?, in Dubet
F. (dir.), École, familles : le malentendu, Textuel, Paris, p.
79-100.
MONTANDON C., PERRENOUD PH. (1987), Entre parents et enseignants, un dialogue
impossible ?, Peter Lang, Berne.
MONTANDON C. (1991), L'école dans la vie des familles, Service
de la recherche sociologique, Genève, Cahier n° 32.
Sites
http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/maulini/
- Site d’Olivier Maulini, chargé d'enseignement, domaine
École, familles, société. Université de Genève,
Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation.
http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/familles.html
- Site de Philippe Perrenoud, professeur, Université de Genève,
Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation.
http://www.geneve.ch/dip/ - Site
du Département de l’Instruction publique genevoise. http://www.debatnational.education.fr
– 22 questions.
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