|
Quand
on ne sait pas encore lire
Plusieurs propositions complémentaires
pour prendre les enfants par la main et les guider vers l’écrit
et la lecture.
Parmi les élèves que je reçois,
tous n'ont pas le même rapport à la langue orale et écrite.
Certains sont déjà familiarisés avec le monde de
l'écrit, à travers ce qui se pratique dans leur famille,
mais d'autres n'en ont pas le moindre aperçu ou en ont un négatif,
leurs parents se trouvant exclus de certaines situations, faute de maîtriser
l'écrit.
Étant donnée l'importance mise sur le langage oral et écrit
à l'école maternelle et dans la vie, mieux vaut que l'enfant
soit bien préparé. En effet, dans les programmes 2005-2006
en vigueur en France, le rôle essentiel de la maternelle dans l'apprentissage
de la lecture est clairement mentionné : « L'école
maternelle doit les aider [les élèves] dans cette appropriation
progressive des formes écrites du langage et du principe alphabétique
qui structure l'écriture du français… Il est donc
au centre de la dernière année de l'école maternelle
mais doit se poursuivre pendant la première année de l'école
élémentaire comme préalable nécessaire à
une entrée explicite dans l'apprentissage de la lecture. »(1)
Depuis trois ans, avec mes collègues, nous menons un travail de
réflexion et nous mettons sur pied des actions sur l'apprentissage
de la lecture. Nous constatons que plus notre vision de ce qui compose
la lecture est claire, mieux nous savons proposer à nos élèves
des situations d'apprentissage pertinentes et plus leur niveau progresse
à l’écrit. Ces situations doivent être à
la fois diverses et variées pour leur permettre de se confronter
à cet écrit dans lequel ils doivent entrer, et les mettre
dans une attitude de recherche.
Il me semble qu'il est donc de la responsabilité de l'enseignant
de trouver des activités pertinentes en fonction de ce qu'il a
compris de la problématique de ses élèves pour faire
en sorte que chacun puisse élaborer des savoirs et se construire
à l'intérieur de ce cadre.
Ainsi, pour moi, le premier défi est d'arriver à donner
à chacun l'envie d'aller découvrir le monde de l'écrit,
qu'il lui soit familier ou pas, sans jamais dévaloriser sa culture
d'origine, pour ne pas risquer de déclencher un blocage face à
cette entrée dans la langue.
À travers des activités tantôt globalisantes, comme
la construction d'une culture littéraire, tantôt plus spécialisées,
comme la découverte du fonctionnement du code écrit, je
cherche toujours à déceler le sens que peuvent avoir pour
mes élèves les situations d'apprentissage dans lesquelles
ils se trouvent. J’essaie de leur fournir les instruments nécessaires
pour les comprendre et je m’efforce de mettre sur pied des situations
qui soient pour eux riches de significations.
Voici quelques exemples vécus avec des enfants de Grande section
de maternelle.
Le conte
L’une des pistes que j'emprunte depuis quelques
années est celle des contes parce qu'ils parlent aux enfants de
questions fondamentales qui les intéressent au plus haut point
: l'abandon, la dévoration, l'inceste…
Ce type de travail s’adresse à des élèves en
dernière année d’école maternelle dans une
Zone d'Éducation Prioritaire de la banlieue parisienne.
Ma démarche est la suivante : je prends un album de contes sur
lequel nous allons travailler pendant quatre ou cinq séances, selon
le découpage que permet la trame du récit. Cela peut être
Peau d’âne, Le Petit Poucet, La Belle
et la Bête.
À chaque fois, j’adopte la même progression : d’abord,
lecture d'images par les enfants, suivie de leurs hypothèses sur
l'histoire ; lecture du texte de la part de l'adulte et comparaison avec
les hypothèses émises précédemment, puis émission
de nouvelles hypothèses pour la suite de l'histoire.
Parallèlement à ce travail et au fur et à mesure,
nous fabriquons, avec les enfants, des affiches sur lesquelles sont représentés
les personnages, les lieux et les évènements de l'histoire.
Je couple également ce travail sur l'album avec un autre sur un
film racontant le même conte. Pour la version filmée, c’est
Peau d’âne de Jacques Demy, Le Petit Poucet
d’Olivier Dahan, La Belle et la Bête de Jean Cocteau.
Je propose à la classe un va-et-vient entre l'album et le film.
La projection peut même être décalée d'une semaine
; elle va leur permettre d'expliciter ce qu'ils ont compris et retenu
du conte, soit en comparant les deux versions, soit en se remémorant
à haute voix les différents évènements du
conte avant de visionner le film, soit encore en argumentant sur le conte
lorsqu'il y a désaccord entre eux à propos de la compréhension
de l'histoire.
L’intérêt manifesté par les enfants est avant
tout guidé par leur désir d'en savoir plus. C’est
à partir de ce moment que je peux introduire la démarche
de découverte de la langue écrite et peu à peu de
la lecture.
Si j’arrive en effet à leur faire sentir que dans le support
écrit, il y a quelque chose pour eux, ils sont plus enclins à
me suivre quand je leur propose un travail nouveau et parfois difficile,
qui leur est souvent étranger.
Je leur demande par exemple de dicter à l'adulte les évènements
importants de l'histoire. Dans la séance suivante, je leur propose
d'illustrer chacune des phrases qu'ils m’ont dictées et que
je leur restitue tapées à l'ordinateur.
Ce travail est suivi d'un débat, dont la fonction est de déterminer
ensemble quel est le dessin correspondant le mieux à chacune des
phrases dictées.
Ce que j'observe chaque année, avec ce type de travail, c'est l’attitude
d'écoute que développent les élèves face aux
mots d'un texte, même chez ceux qui ont le moins de familiarité
avec l’écrit. Tous apprennent qu’un mot renseigne sur
le sens d'une phrase et que tous les mots ne disent pas la même
chose.
Quand on arrive à la fin du conte, la classe a rassemblé
tous les éléments destinés à reconstituer
l'histoire du livre, avec les mots et les illustrations choisis par les
enfants.
L’objet de notre travail circule alors dans les familles, laissant
à chaque enfant la possibilité de partager l’histoire
avec ses parents. Et d'après les retours que j'en ai, ils ne s'en
privent pas !
Parallèlement à ce travail, je conte des histoires liées
aux diverses origines ethniques des enfants de la classe, afin que chacun
prenne peu à peu conscience de la richesse littéraire de
la culture de sa famille.
La recette de cuisine
J’utilise volontiers une autre approche significative
à la lecture et à l’écriture : la recette de
cuisine.
À la fin de chaque mois, nous fêtons les anniversaires. Pour
cela, je dispose de plusieurs livres de cuisine adaptés à
l’âge des enfants. Je les mets à la disposition du
groupe d'enfants désignés pour la confection des deux gâteaux
nécessaires pour notre classe de vingt-cinq.
Je demande à chacun des membres du groupe de choisir la recette
d'un gâteau sur lequel on pourra planter les bougies. Chaque élève
est invité à regarder de près la recette sélectionnée
pour pouvoir dire de quoi sera fait le gâteau et permettre aux camarades
de choisir en connaissance de cause. Il arrive que la première
fois, certains enfants proposent des biscuits ou des sandwichs. C'est
dire à quel point rien n'est jamais évident d'emblée
!
Tous les enfants vont ensuite voter à bulletin secret, en déposant
un jeton derrière le livre de la recette du gâteau qu'ils
désirent manger pour l’occasion.
Une fois le résultat connu, l'équipe chargée de faire
les gâteaux va alors préparer la liste des ingrédients
nécessaires, à l’aide des emballages des produits
(œufs, farine, sucre, beurre...) étiquetés avec leurs
noms et qui sont stockés dans notre caisse épicerie.
Les enfants retrouvent tous les ingrédients grâce aux différentes
manières de les représenter : les dessins, les symboles
(l'épi de blé pour la farine), les mots…
Quelques jours plus tard, je donne à l'équipe la photocopie
de la recette que j'ai découpée, en prenant soin de séparer
la liste des ingrédients, du nom du gâteau et de sa réalisation.
Il s’en suivra la reconstitution des différentes étapes
de la fabrication. Par exemple, on ne met pas le gâteau dans le
four avant de l’avoir préparé. La recette reconstituée
sera soumise à toute la classe avant d’être photocopiée
et correctement collée dans tous les cahiers.
Cette recherche permet aux enfants d'expérimenter la diversité
des fonctions de l'écrit et notamment de prendre conscience que
les livres ne racontent pas seulement des histoires.
L'écriture inventée
Parmi les activités liées à l'apprentissage
de la lecture figurent celles sur les sonorités de la langue. Elles
consistent à faire vivre aux élèves des situations
à travers lesquelles ils sont amenés à entendre une
partie des sons de notre langue, à les identifier, à les
reproduire, puis à en produire d'autres afin de pouvoir jouer avec
eux, par exemple en rythmant les syllabes d'un mot, en doublant ou en
supprimant celles du début ou celles de la fin du mot, en trouvant
des rimes, etc. Les comptines, les chansons, les virelangues, les jeux
chantés, les prénoms des enfants peuvent être autant
de supports à l'activité.
Ce travail est ensuite complété par un autre qui permet
aux élèves de produire, à partir de ce qu'ils ont
perçu des sonorités de la langue, une transcription graphique,
une écriture des bruits.
Dans notre classe, nous avons nommé cette activité "
l'écriture inventée ".
Mais, avant d'en arriver là, plusieurs séances de travail
sont consacrées à la recherche par les élèves
de bruits émis par des instruments, suivie d'une transcription
graphique leur correspondant. Les enfants ont recours à des gestes
suggérés par les bruits. Ils trouvent une trace graphique
suffisamment pertinente pour que, d'une semaine à l'autre, elle
évoque toujours le même son.
Dans un second temps, je leur propose d'imaginer tous les bruits possibles
avec la bouche et de trouver la façon de les transcrire, mais cette
fois-ci avec des lettres. Petit à petit, le travail va se déplacer
sur les mots que nous rencontrons sur notre chemin. Nous n'hésitons
pas à utiliser les mots qui retiennent l'attention des enfants
lors des différentes activités : le nom des personnages
des contes, certains mots trouvés dans des recettes de cuisine
et d'autres encore provenant d'une quête plus personnelle, comme
le super héros de dessins animés ! Les propositions des
élèves sont acceptées, même si elles sont jugées
imparfaites. D'abord, parce qu'elles permettent de voir où se situe
l'enfant dans sa compréhension de la langue : il est rare qu'il
n'y ait aucun rapport avec le fonctionnement de celle-ci. Ensuite, parce
qu'elles sont une base de réflexion et de recherche collective
pour faire progresser l'ensemble de la classe dans le questionnement sur
la langue et pour trouver de nouvelles réponses, voire de nouvelles
questions que personne ne s'était encore posées.
J'observe que cette mise en recherche a l'avantage de faire progresser
chaque élève à son rythme, à partir de ce
qu'il sait, en se nourrissant des interactions avec ses camardes et de
le mener aussi loin qu'il lui est possible d'aller, souvent bien au-delà
de ce que nous avions envisagé.
Valérie Delamotte
Note
(1) Qu'apprend-on à l'école maternelle ?, 2005-2006 les
programmes, SCÉRÉN, p. 72.
|
|
|