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Un enseignement biméthodologique

L’esprit cartésien français et l’esprit humaniste italien se fondent ensemble dans la pratique didactique des sections bilingues francophones.

La création de sections bilingues francophones en Italie remonte à la fin des années 80, elle est le fruit d’une collaboration entre le Ministère italien de l’Instruction Publique et l’Ambassade de France à Rome. Le réseau actuel comprend une vingtaine d’établissements répartis sur tout le territoire italien (du nord au sud, en passant par les îles) ; il est composé de deux expérimentations voisines, celle des Lycées internationaux et celle des Lycées classiques européens, avec une tendance actuelle à l’élargissement à d’autres types d’établissements dans le cadre de l’autonomie. La structure de l’examen actuel est celle de l’Esame di Stato (options classique, linguistique et scientifique) avec l’ajout de trois épreuves finales spécifiques : une écrite (français) et deux orales (français et DNL), élaborées sur le modèle des épreuves françaises du baccalauréat. Une attestation de compétence linguistique (en conformité avec le Cadre Commun Européen de Référence pour les Langues) est décernée à l’issue de l’examen final ; l’évolution prévue est vers l’Esabac.

Le Lycée Galvani - Dans le cas du Lycée Galvani de Bologne, l’emploi du temps hebdomadaire comprend 5h de français, 2h d’histoire et 2h de géographie en français pour le biennio et 4h de français, 2h d’histoire (3h en classe de terminale, année de l’examen) pour le triennio ; le temps d’enseignement du français correspond précisément à celui de l’italien, dans le but d’obtenir une section véritablement bilingue. Ce sont l’histoire (sur les cinq années de la section) et la géographie (au biennio seulement) qui sont enseignées en français.

Les DNL en Italie

Si l’on dresse le tableau des DNL enseignées en français dans les sections bilingues en Italie, on s’aperçoit que la plus enseignée est l’histoire, suivie par la géographie, l’histoire de l’art et, dans quelques cas, les sciences naturelles (sciences de la vie et de la terre), mais il existe actuellement une tendance à l’ouverture vers d’autres DNL ; il ne s’agit pas d’une simple variante, ce choix implique un concept différent du projet pédagogique section bilingue. En effet, cet enseignement est, avant tout, l’enseignement d’une discipline, pour le dire à l’italienne c’est une matière véhiculée, il y a donc une discipline et un véhicule. Les heures de DNL ne sont pas de simples appendices des heures de langue française, bien au contraire, ce sont des heures consacrées à l’étude d’une discipline particulière, avec sa méthodologie et son lexique propres. On exploite la situation de communication la plus naturelle qui existe à l’école : l’échange entre élève et professeur. La langue n’est qu’un instrument pour véhiculer la matière, le message est donc prioritaire, il s’agit de développer la capacité de communiquer. L’enseignement en français est donc ici indissociable de l’enseignement de la méthodologie et de la diffusion de l’expérience française : cas de l’histoire et de la géographie (très liées entre elles, contrairement à l’expérience italienne du lien entre histoire et philosophie), cas de l’histoire de l’art (dont l’enseignement est très différent en France et en Italie), cas des sciences (avec le rôle important des projets sciences en français dans certains établissements).
Il va de soi, cependant, que ces DNL (histoire, géographie, histoire de l’art et sciences) sont des matières à discours, pensons à l’importance du récit (en histoire), de la description (en géographie et en sciences, notamment), de la rédaction de rapports (en sciences, en particulier avec les expériences), de l’aptitude à rédiger des paragraphes raisonnés pour répondre à une question précise. D’une façon générale, ce qui est privilégié, ici, c’est la clarté du discours ; un travail très fructueux peut et doit être fait sur les définitions et les concepts, non seulement en français, mais aussi en italien pour mettre l’accent sur la nécessité de cette clarification.
Le rôle de la DNL est central : son enseignement commence dès la première année (grâce à la proximité des deux langues) et permet le développement d’une langue de spécialité. C’est ainsi que la section bilingue peut devenir véritablement biméthodologique et cet apprentissage donne aussi la possibilité d’approfondir la connaissance du partenaire et l’aspect culturel de cette étude, rendant en conséquence la section bilingue véritablement biculturelle.

La place de l’histoire-géographie dans les DNL

L'histoire-géographie a été choisie comme Discipline Non Linguistique enseignée dans la plupart des sections bilingues, parce que c’est « l'espace privilégié où se confrontent les civilisations » (Anna Lietti) et parce que l’un des objectifs prioritaires de cet enseignement est la formation de citoyens européens. En effet, il existe une grande synergie entre bilinguisme et enseignement de l'histoire : l'enseignement bilingue développe les notions de tolérance, de complexité et de curiosité, or toutes ces notions sont fondamentales pour l'histoire ; l'enseignement bilingue renforce, donc, l'enseignement de l'histoire en tant que discipline, portant à former des citoyens tolérants, capables de comprendre la complexité des phénomènes historiques et curieux des différentes interprétations possibles ; pour l'élève, cela est particulièrement formateur, il s'agit de développer au maximum son esprit critique et son sens des nuances. Ce type d'enseignement porte à comprendre ce que nous avons en commun et ce qui nous distingue.
Dès la création des sections bilingues en Italie, des réunions de réflexion ont eu lieu (auxquelles ont participé l’Inspection générale française et l’Inspection italienne) pour établir un programme spécifique à ces sections qui se distingue alors des programmes nationaux français et italien par son découpage chronologique.
Le programme d'histoire spécifique des sections bilingues italo-françaises date de 1992/93, il a donc précédé l'établissement de nouveaux programmes français ainsi que la réforme des programmes d'histoire en Italie ; or, avec les nouveaux programmes français et la réforme italienne, on arrive à un résultat très proche du programme des sections bilingues (on prolonge l'enseignement de l'histoire ancienne et médiévale au lycée pour la France et on étudie le XXe siècle en dernière année pour l’Italie). Le découpage chronologique du programme d’histoire des sections bilingues italo-françaises est, donc, le fruit d’une mise en commun des deux expériences pédagogiques, italienne et française, qui a abouti à un programme intégré (visible sur le site www.francaitinera.org).

Le programme d’histoire - La nécessité d’une harmonisation des pratiques en classe et d’un approfondissement de la réflexion commune pour le traitement de ce programme d’histoire est très vite apparue. Le Ministère italien de l’Instruction Publique et l’Ambassade de France à Rome ont collaboré pour permettre l’organisation annuelle de séminaires nationaux. Des équipes italo-françaises de professeurs d’histoire ont ainsi pu travailler de concert pour faire des choix et établir des listes communes afin de faciliter et d’harmoniser le traitement du programme ; des lignes directrices ont été définies (histoire européenne, influences réciproques et histoire parallèle, mais il s'agit en priorité de développer deux histoires nationales, sans parallélisme forcé) et une réflexion a été faite sur les repères fondamentaux des uns et des autres. Trois listes principales ont été établies (listes des grandes questions du programme, des documents patrimoniaux et des dates fondamentales). 
Cet enseignement se fait à la française, il est donc basé sur l’analyse de documents ; il s’agit d’identifier les informations trouvées dans ces sources, de les mettre en relation et de faire une synthèse historique en faisant preuve d’esprit critique. C’est d’ailleurs l’objet de l’épreuve spécifique d’histoire en français à l’oral de l’Esame di Stato final. Cet enseignement bilingue et biculturel se veut aussi biméthodologique : il permet d'aller vers une alliance toujours plus étroite entre la rigueur cartésienne de l'enseignement à la française et la richesse humaniste de l'enseignement à l'italienne, en privilégiant l’équilibre entre étude de documents, récit et chronologie. C’est dire la valeur de laboratoire didactique de ces expériences.

I quaderni di cultura del Galvani

Pour que la section française du lycée Galvani soit toujours davantage un Tout organique, l’interdisciplinarité a été privilégiée dans la pratique quotidienne et un projet  sciences en français a été inséré officiellement dans le projet d’établissement (P.O.F.) depuis plusieurs années. Il permet d’organiser chaque année, en collaboration avec le service scientifique de l’Ambassade de France, des conférences, toujours devant un public nombreux (80-90 élèves), qui font ensuite l’objet d’un compte rendu en langue française de la part des élèves de la section, publié dans la revue I quaderni di cultura del Galvani. Voici la liste des principaux sujets abordés :
• 24-04-2002 - Association « Les petits débrouillards » : Animation sur les acides et les bases en laboratoire de sciences ;
• 24-04-2002 - Jean Feuteun (Directeur du Laboratoire de Génétique oncologique de l’Institut Gustave Roussy de Villejuif) : Prédispositions héréditaires et cancer ;
• 23-04-2003 - Christophe Gantzer (Laboratoire de Chimie physique pour l’environnement, Paris) : Eau, santé et environnement ;
• 26-03-2004 - Giovanni Fabrizio Bignami (Directeur du Centre d’étude spatiale des rayonnements du CNRS de Toulouse) : La vie et les planètes, la science et le mythe ;
• 20-04-2005 - Jacques Testart (Directeur de recherche à l’INSERM, père scientifique du premier bébé éprouvette français) : Science et conscience : la procréation artificielle ;
• 17-03-2006 - Brigitte Sénut (Muséum d’histoire naturelle de Paris) : Lucie ou l’émergence de l’homme ;
• 29-11-06 - Jean Jacquinot (Spécialiste de la fusion magnétique, Conseiller scientifique auprès du Haut commissariat à l’Énergie Atomique) : Iter : Le chemin des étoiles ? ;
• 30-11-06 - Sylvie Vauclair (Astrophysicienne, Chercheuse à l’Observatoire Midi-Pyrénées, Professeure à l’université Paul Sabatier de Toulouse) : Symphonie spatiale ;
• 04-12-07 - Jérôme Benveniste (Ingénieur en Sciences et Applications de l’Observation de la Terre de Frascati) et Marie-Noëlle Houssais (Laboratoire d’Océanographie et du Climat de Paris) : La fonte des glaces et ses répercussions océaniques sur l’environnement.

Cette année, le projet se fera dans le cadre de l’année européenne de l’astronomie. Comme on peut le voir, le niveau scientifique de ces conférences est toujours élevé, les professeurs de sciences et de français collaborent pour préparer les élèves. L’année scolaire passée, une autre activité a complété cet approfondissement des sciences en langue française : la traduction par des élèves d’une exposition de divulgation scientifique concernant les mathématiques produite par la Cité des Géométries de Maubeuge : Boules et bulles ; ces élèves ont aussi servi de guide lors de la présentation de l’édition italienne au public.
Dans les sections bilingues italo-françaises, les matières françaises ne sont donc pas un kyste sur un organisme déjà constitué, mais participent à la constitution de ce corps.

Marie-Jeanne Piozza
Coordinatrice nationale de l'enseignement de la DNL (Discipline Non Linguistique) dans les sections bilingues italiennes
Enseignante d'histoire-géographie
Lycée Galvani - Bologne

 

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