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La
Table Ronde
"
On a le plaisir daccueillir à cette Table ronde des experts qui
à maintes occasions ont collaboré à des projets et à des groupes de travail
au Val dAoste en apportant leur contribution essentielle au démarrage,
à la mise en place et à lévolution de léducation bilingue
dans notre Région.
Je vous les présente brièvement et sûrement
de façon non exhaustive :
-
Bernard Py est
professeur de linguistique appliquée à lUniversité de Neuchâtel
en tant que spécialiste du bilinguisme et de lapprentissage
des langues étrangères ; il a collaboré à plusieurs projets et groupes
de travail au Val dAoste. Aujourdhui on lui a confié la
tâche de coordonner cette table ronde et de tirer une synthèse des
différents apports.
-
Cecilia Serra
est chargée de cours en linguistique italienne à lUniversité
de Neuchâtel et collaboratrice du Centre Universitaire de Recherche
Plurilingue de lUniversité de Berne.
Elle soccupe principalement de léducation bilingue et
par immersion, au niveau de recherche sur le terrain et de la formation
des enseignants. Au Val dAoste, depuis bon nombre dannées,
elle fait partie du groupe de travail du projet " Disciplines
et bilinguisme Projeter lalternance des langues "
à lécole moyenne.
-
Laurent Gajo
est premier assistant en linguistique et est chargé de cours et
denseignement en français langue étrangère aux universités de
Lausanne et Neuchâtel. Il fonctionne comme expert régulier auprès
de lécole maternelle et de lécole moyenne du Val dAoste.
-
Daniel Coste
est professeur à lÉcole Normale Supérieure Lettres et
Sciences Humaines, de Lyon équipe " Plurilinguisme et
apprentissages " et Directeur de recherche à la Sorbonne.
Il a été co-président du groupe de projet " Langues vivantes
" du Conseil de lEurope.
Depuis plusieurs années il intervient dans des groupes de travail
au Val dAoste, actuellement il est membre du comité scientifique
de la revue LEcole Valdôtaine.
-
Malheureusement
Auguste Pasquier ne peut pas participer à cette Table ronde
. Il est responsable du Service des Langues - Français de lenseignement
primaire à Genève. Depuis 1990 il travaille à des projets au Val dAoste,
notamment à la création de matériel didactique bilingue pour lécole
élémentaire. Comme je vous le disais ce matin il a dû nous laisser
à cause dun problème de famille.
Cette table ronde suit un
fil rouge: en fait on a demandé aux intervenants de nous dire, sur la
base de leur expérience de projets déducation bilingue réalisés
au Val dAoste quils ont accompagnés tout au long de ces années,
quels points forts, quels aspects sont à garder, à " économiser "
en quelque sorte pour lécole valdôtaine de demain. Et également
depuis leur observation privilégiée sur le monde bilingue, étant donné
quils collaborent avec plusieurs autres équipes dans dautres
contextes, des contextes autres que celui valdôtain, ils pourront nous
dire quelles réflexions simposent comme porteuses de sens et davenir.
Sans plus tarder, la parole à Bernard Py ".
Viviana Duc
Bernard Py
Administrativement je suis
un expert extérieur, mais je me sens passablement intérieur grâce au fait
que depuis pas mal de temps jai le plaisir de discuter, de collaborer
avec un certain nombre de personnes qui travaillent ici en Vallée dAoste
; ce qui fait que je me sens quelquefois autant un collaborateur quun
expert. Jaimerais peut-être profiter de cette occasion pour remercier
les personnes dont la disponibilité intellectuelle a joué un rôle important
pour moi, non seulement pour comprendre ce qui se passe en Vallée dAoste,
mais aussi pour comprendre ce que cest que le bilinguisme et lenseignement
bilingue.
Alors historiquement il y a dabord Rita Decime qui ma fait
découvrir lécole valdôtaine il y a déjà assez longtemps ; ensuite
il y a Graziella Porté aussi qui a joué un rôle important pour moi ; actuellement
il y a deux personnes avec qui je travaille de manière tout à fait étroite,
deux personnes de lIRRE-VDA, lancien IRRSAE, qui sont Marisa
Cavalli et Daniela Coletta qui jouent un rôle fondamental. Je vais dire
un certain nombre de choses tout à lheure, mais ces choses sinspirent
beaucoup, non seulement des données quelles ont réunies, sur lesquelles
jai travaillé avec elles, mais aussi des journées entières de discussions
quon a eues ensemble depuis environ une année. Je pense que mes
collègues pourraient vous dire à peu près les mêmes choses.
On est expert extérieur, mais on a aussi un regard interne qui sexplique
par la continuité de notre présence ici, par les relations fortes qui
existent entre vous autres et nos interventions dans la Vallée dAoste.
Il y a quand même une certaine extériorité, puisquon travaille aussi
dans dautres lieux et cette extériorité, comme on vient de le dire,
a enfin lavantage de nous permettre de parler peut-être un peu plus
des contextes, de contextualiser un petit peu ce quon observe ici
dans la Vallée dAoste. Effectivement il va être beaucoup question
de contextes tout à lheure. On va parler de contextes géographiques,
de contextes historiques, de contextes institutionnels : cest une
notion qui va apparaître, si jai bien compris ce que mes collègues
ont lintention de faire tout à lheure.
Je vais intervenir un petit moment maintenant, puis ensuite pour conclure
cette table ronde.
Jai choisi de parler dun certain nombre daspects qui
constituent le contexte du projet denseignement bilingue de la Vallée
dAoste.
Ce contexte, est sûrement un contexte sémiotique ; je veux dire par là
que ce dont jaimerais dire quelques mots cest de la manière
dont les acteurs du système scolaire valdôtain, donc les bénéficiaires
de ce système, les élèves, les personnes qui ont passé par ce système,
la manière dont ces personnes donnent un sens à ce quelles ont vécu
ou quelles vivent en tant quacteurs dun système denseignement
bilingue. Vous savez quen didactique et en pédagogie il y a presque
toujours, au début des manuels ; des introductions qui en fait attribuent
un sens aux activités qui sont proposées dans le manuel, vous savez bien,
cest un lieu commun que je dis là, quen fait le sens qui est
attribué par les auteurs, par les concepteurs de la méthode nest
quun élément parmi beaucoup dautres, parmi les différentes
significations, les différents sens que les autres acteurs pédagogiques,
qui ne sont pas les responsables immédiats du programme, donnent à ce
qui se passe.
Je crois que ce réseau de signification, qui constitue en fait ce que
jai appelé le " contexte sémiotique dune pratique pédagogique
", de nimporte quelle pratique sociale dailleurs, cest
quelque chose qui joue un rôle tout à fait important. Alors je ne vais
pas anticiper sur le rapport qui sera fourni par Marisa Cavalli et Daniela
Coletta, je vais simplement dire quau cours de ces deux ou trois
dernières années il y a eu un gros effort de recueil de données sur cette
construction sociale du sens autour du bilinguisme valdôtain.
Pratiquement ça a signifié que nos collègues ont constitué des groupes
de personnes intéressées directement par le système scolaire. Elles ont
suscité les débats autour desquels les participants aux entretiens ont
défini leur position par rapport à ce que cest que le bilinguisme,
par rapport à ce que cest que lenseignement bilingue, ses
avantages, par rapport à la place du français, à la place de litalien,
à la place du patois dans la vie sociale de la Vallée dAoste. Il
y a un recueil extrêmement riche de prises de position, de débat autour
de ces questions qui permettent, en fait aujourdhui dans le travail
danalyse, de dépouillement qui est en cours, de dégager un certain
nombre de choses qui sont très intéressantes sur ce que jai appelé
contexte sémiotique de cet enseignement bilingue. Cest un champ
extrêmement vaste et je ne peux évidemment pas en parler en quelques minutes
maintenant, alors jai choisi dêtre très schématique et très
réducteur et de prendre un aspect particulier : cest ce quon
pourrait appeler la " qualification du français ", les différentes
manières dont les gens qualifient le français.
Ce que je veux dire par qualification cest un petit peu le sens
que ce terme a en droit pénal : cest-à-dire que quand un tribunal
juge un crime la première chose à faire cest qualifier le crime
(est-ce que cest un meurtre ? est-ce que cest un assassinat
? un homicide volontaire ? etc.), donc qualification. Alors le français
nest pas un crime, mais il y a quand même un travail de qualification,
cest-à-dire que les didacticiens se sont toujours efforcés de distinguer
différents statuts, différentes manières de se positionner par rapport
à telle ou telle langue.
Vous savez bien que traditionnellement on parle de français langue maternelle,
français langue étrangère, français langue seconde ; on parle aussi, un
petit peu moins mais quand même pas mal, de français langue daccueil,
français langue dorigine dans les situations dimmigration.
Donc si vous voulez le français ce nest pas quelque chose qui existe
en soi de manière identique pour tous les apprenants, mais cest
un objet qui prend des formes différentes suivant les contextes, suivant
les projets didactiques dans lesquels il intervient. Alors dans les entretiens
quon a enregistrés, en voie de dépouillement, il y a toute une série
de qualifications du français qui apparaissent ou quon peut induire
par rapport à ce que les gens disent. Jaimerais consacrer les quelques
minutes dont on dispose à passer en revue de manière très rapide, très
schématique ces différentes qualifications.
Il y a dabord une qualification quon pourrait résumer de la
manière suivante : cest lopposition entre français langue
étrangère et français non pas langue maternelle mais langue familière,
je dirais. Autrement dit, le trait qui qualifie le français cest
le degré de xénité, détrangeté ou de proximité et cest vrai
que pour certaines personnes avec lesquelles nos collègues se sont entretenues,
le français est perçu comme une langue étrangère, une langue imposée dailleurs
par le système pédagogique, imposée de manière plus ou moins arbitraire,
alors que pour dautres le français est une langue familière qui
joue un rôle dans lidentité, dans laffectivité des personnes.
Il y a donc cette polarité entre français langue étrangère et français
langue familière.
On peut évidemment faire des commentaires ou se poser des questions. Par
exemple : quel rôle joue le français pour les personnes bilingues italien/patois
? Cest une question qui a été soulevée et qui a été traitée souvent
dans les entretiens et qui paraît tout à fait importante étant donné la
diffusion du patois et son importance identitaire aussi.
Il y a plusieurs manières de voir les choses. On peut considérer que français
et patois sont deux langues totalement différentes qui nont rien
à voir lune avec lautre et par conséquent le français ne joue
aucun rôle par rapport au patois.
Mais on peut aussi imaginer que le français joue en quelque sorte un rôle
de référence pour le patois ; cest-à-dire quon peut imaginer
que le français est une variété particulière dun ensemble de variations
linguistiques dont, par ailleurs, le patois est une des réalisations,
la réalisation valdôtaine. Léclairage peut changer de manière radicale
et puis ce changement déclairage est lié justement à ce sentiment
de xénité ou de familiarité avec le français.
Je saisis cet exemple pour dire que notre rôle nest pas du tout
de porter des jugements. Je ne pense pas du tout quon doit plutôt
considérer le français comme une langue familière ou plutôt comme une
langue étrangère ; on nest pas au niveau du jugement objectif ;
simplement on constate quil y a ces deux positionnements et quil
faut tenir compte de lexistence de ces deux pôles et puis faire
avec, si vous permettez lexpression.
Une autre opposition qui rejoint dailleurs quelque chose que Daniel
Coste a présenté ce matin - ça me permettra de passer assez rapidement
dessus - cest lopposition entre ce que les gens appellent
le français du dimanche et le français de tous les jours.
Autrement dit, il y a une représentation du français qui est extrêmement
forte, semble-t-il, ici et partout dailleurs chez tous les francophones,
une représentation qui est axée autour de la norme, dune norme qui
est toujours ailleurs, la norme ce nest jamais le français que nous
parlons tous, cest toujours le français que parlent les autres.
Et puis il y a cette sorte de panique que ressentent beaucoup de francophones,
aussi bien en Suisse-Romande quen Vallée dAoste, vis-à-vis
de la faute, vis-à-vis de la crainte de mal parler, de dire les choses
autrement quil faudrait les dire.
Cest-à-dire quon trouve ce que Daniel Coste évoquait ce matin,
" linsécurité linguistique ".
Par opposition à cette position là il y a une autre position, quon
trouve aussi mais qui est plus minoritaire dans nos données et qui consisterait
à reconnaître dans le français ce quon appelle en linguistique un
" système de variantes "; à considérer en fait quil y
a beaucoup de façons linguistiques, dans le cadre du français, de résoudre
des problèmes de syntaxe, des problèmes de sens, des problèmes de lexique
etc. et quaprès tout la norme privilégie une solution aux dépens
des autres, mais les autres sont plutôt intéressantes, ce qui fait que
certains traits du français parlé dans la Vallée dAoste, même si
on ne les trouve pas dans le français parlé dans le Val-de-Loire par exemple,
ne sont pas pour autant moins bons ou condamnables ou devant provoquer
de linsécurité chez les usagers.
En tant que linguiste, je suis assez surpris de voir la force de cette
représentation du français comme langue du dimanche, langue donc extrêmement
normée, puisque jai toujours appris en lisant des ouvrages de sociolinguistique
que litalien justement est une langue qui reconnaît la variation,
puisquen italien il y a les variétés régionales et ces variétés
régionales, même si elles sont coiffées par une variété standard qui est
reconnue comme langue littéraire etc., quand même existent dans la conscience
des locuteurs, probablement beaucoup plus que les variétés de français
chez les francophones.
Une question que je pose aussi cest de savoir si le fait que le
français est utilisé essentiellement à lécole ne prive pas la langue
française de sa variété vernaculaire, cest-à-dire la variété non
ou peu contrôlée, puisque effectivement en principe la langue utilisée
à lécole est toujours utilisée dans un contexte de contrôle important,
contrôle métalinguistique sur la qualité de lexpression, sur la
qualité de la syntaxe etc. Je peux imaginer que pour un Valdôtain qui
ne parle français quà lécole les occasions de pratiquer un
français vernaculaire non contrôlé sont effectivement réduites.
Une autre opposition cest français langue " écran-handicap
", écran entre lapprenant et les différentes disciplines quil
doit étudier, notamment le français, et puis au contraire français comme
langue ressource, langue porteuse de compétences supplémentaires.
Je me souviens que dans de nombreux cours de formation et colloques la
question affleure : est-ce que le fait dutiliser le français et
litalien en mathématiques est une surcharge négative ou bien pas
?
On a réfléchi à cette question et jai essayé de résumer en quelques
mots les nombreuses solutions. Le discours en français, en italien, peu
importe, joue des rôles très différents, suivant le type dactivité
auquel il est associé ; on peut distinguer entre trois rôles ou trois
contributions du discours à une activité qui nest même pas de nature
discursive.
Le premier cas cest ce que jappellerai une " contribution
régulatoire " ; cest-à-dire quil sagit du discours
qui explicite une activité qui, elle-même, na rien de verbal (par
exemple si vous expliquez une recette de cuisine à quelquun, savoir
préparer un dessert en cuisine, ce nest pas un savoir langagier
; par contre cest clair que pour expliquer à quelquun comment
faire un gâteau le langage est quand même utile, donc il a sa contribution
régulatoire).
Ensuite il y a un deuxième type de contribution que jappellerai
" auxiliaire ", quon trouve par exemple lorsquen
mathématiques il sagit dexpliquer avec des mots une équation
écrite au tableau ; cette équation est définie, une grandeur x par exemple,
mais ce qui définit ce x cest le langage mathématique. Pourtant
nimporte quel professeur de mathématiques utilisera le français
ou litalien, langue naturelle, pour expliquer comment il est arrivé
à poser léquation de telle ou telle manière.
Donc il y a lobjet mathématique qui ne dépend absolument pas dans
son essence de la langue naturelle, mais la langue naturelle joue un rôle
décisif dans laccès à cette notion qui par ailleurs est définie
de manière théorique par un langage artificiel.
Et puis enfin il y a le langage comme " contribution essentielle
à des notions " ; cest ce quon trouve par exemple quand
on définit une notion philosophique. Si on explique ce que cest
que la liberté, la démocratie, une république cest clair quon
ne peut pas se passer du discours. Le discours joue un rôle tout à fait
essentiel dans la définition, dans la construction du sens de ces notions.
Il me semble que le langage, le discours, joue des rôles différents et
que le problème du bilinguisme se pose de manière différente dans ces
trois cas. Il est assez clair en particulier que le fait de disposer de
deux langues permet denrichir des contenus notionnels. Cest
à la fois une difficulté puisquil sagit de définir deux fois
une notion par des chemins différents mais, une fois quon a fait
leffort, on a une richesse notionnelle qui manifestement est plus
grande puisquon est passé par deux discours, deux langues différentes
pour arriver à un résultat.
Dans les contributions auxiliaires et régulatives lactivité fournit
une sorte de cadre pragmatique qui va aider à linterprétation du
discours dans une langue 2 ; cest-à-dire quici ce nest
pas seulement le bilinguisme qui va aider à la construction des notions,
cest lobjet expliqué qui va aider à la construction du bilinguisme.
Il y a encore un dernier point que jaborderai. Il y a deux manières
de voir la langue, de voir le discours par rapport à la construction des
concepts.
La première correspond à une vision utilitariste, une vision de la langue
comme code : cest-à-dire quon raisonne comme si le sujet,
le locuteur, élaborait un message dans sa tête et puis le codait dans
une langue 1 ou une langue 2 ; cest-à-dire que cest tout un
travail délaboration conceptuelle qui na rien à voir avec
la langue et qui sert dentrée au codage linguistique.
Il y a une autre manière de voir les choses qui reçoit plutôt la faveur
des linguistes ou des psycholinguistiques qui consiste à dire que le travail
délaboration des notions accompagne le discours lui-même ; cest
en parlant, et cest exactement ce que je suis en train de faire
maintenant, cest-à-dire en formant des énoncés que je constitue
une pensée qui existait déjà avant mais qui sachève à travers le
discours.
Là aussi vous avez deux conceptions: la conception de la langue comme
" outil ", comme instrument et puis lautre conception
de la langue comme étant quelque chose qui " intervient dans la construction
des contenus ". Et vous avez deux approches opposées du langage,
qui vont déterminer des attitudes, des réactions différentes vis-à-vis
de lenseignement bilingue, vis-à-vis du bilinguisme tel quil
est constitué dans un contexte comme celui du Val dAoste.
Je pourrais continuer mais je ne vais pas outrepasser mon temps. Ce que
je voulais vous donner cest simplement ce petit aperçu de ce contexte
sémiotique qui existe autour de lenseignement bilingue en Vallée
dAoste. Quand nos deux collègues auront publié leur rapport, dans
quelques mois, vous découvrirez beaucoup de choses en plus de ce que je
viens de dire.
Alors on va continuer cette table ronde. Je vais passer la parole à mes
collègues, dans lordre Cecilia Serra, Laurent Gajo et Daniel Coste,
puis je reviendrai pour quelques mots de conclusion.
Cecilia Serra
Jaimerais ancrer ma
réflexion dans le cadre de mon activité au Val dAoste, où jai
participé au groupe de travail du projet " Disciplines et bilinguisme
Projeter lalternance des langues " à lécole moyenne.
Mais, tout dabord, revenons à ce qui a été dit en ouverture des
travaux, et notamment au discours de Mme Vlaeminck sur lAnnée européenne
des langues. Mme Vlaeminck en a très efficacement résumé le programme
dintention, qui est de promouvoir la diversité des langues, en valorisant
autant les apports culturels que linguistiques, et de finaliser cette
diversité à la recherche de moyens pédagogiques efficaces pour soutenir
et renforcer la mobilité des individus.
Analysé de plus près, ce programme ne dépasse cependant pas le niveau
des généralisations et des idéalisations, car dans tout ce que jai
lu ou entendu pendant cette année consacrée aux langues, on y fait très
peu mention de langues minoritaires et de leurs relations aux langues
majoritaires.
Cette réflexion na pourtant pas été absente du débat autour des
langues, même si le trait marquant semble avoir été le positionnement
des langues face à langlais, qui est en passe - nous dit-on - de
devenir notre langue déchange à tous, notre langue majoritaire.
Au niveau des choix pédagogiques, cela soulève partout la question de
lintroduction de langlais à lécole en tant que première
langue étrangère, en dépit des rapports qui existent entre les langues
dune région, dun pays, ou de la proximité entre les langues
des régions ou des pays limitrophes.
Dans ce même contexte, le concept de langue minoritaire a été envisagé
avant tout comme le droit des individus à disposer de leur langue, sans
pour autant interroger les situations dans lesquelles les langues sont
tour à tour majoritaires ou minoritaires et coexistent, sur le même territoire,
avec dautres langues. La position de chaque langue varie, en effet,
suivant les régions ou les pays, et, par exemple, litalien est majoritaire
en Italie et minoritaire en Suisse, où il est parlé autant par des groupes
minoritaires dorigine italienne que par des groupes minoritaires
du pays, les Tessinois ou les Grisons.
Par souci de cohérence, le discours sur les langues minoritaires aurait
ensuite dû entraîner une réflexion sur le bi/plurilinguisme, qui correspond,
faut-il le rappeler, à la situation langagière de tous ceux qui vivent
au quotidien le contact entre les langues, et dont les pratiques langagières
ont constitué et constituent des outils majeurs pour envisager de manière
fonctionnelle les programmes pédagogiques dimmersion ou denseignement
bi/plurilingue.
En cette Année européenne des langues, la représentation du bi/plurilinguisme
ou de lindividu bilingue, apparaît au contraire se cristalliser
autour des idées reçues : lEurope veut se diriger à grands pas vers
le plurilinguisme de ses citoyens, sans pour autant débattre ou définir
la spécificité des individus bilingues ou plurilingues, leurs usages ou
leurs pratiques linguistiques.
Lécole valdôtaine a été, au contraire, pionnier en la matière et
a développé un concept de bi/plurilinguisme, en intégrant les pratiques
bi/plurilingues au cadre didactique innovateur de lenseignement
bilingue des disciplines, pour en faire un concept pédagogique en passe
de devenir un modèle de référence pour plusieurs institutions scolaires
européennes qui élaborent, à leur tour, des enseignements bilingues ou
immersifs.
Dans le cadre valdôtain, et je me réfère à mon expérience des projets
de lécole moyenne, il a été beaucoup question de lexploitation
pédagogique de lalternance entre les langues, en rapport avec lorganisation
du travail didactique des disciplines, pour doter lenseignement
de moyens pédagogiques efficaces et affronter les enjeux posés par la
didactique bilingue ou immersive.
Ce cadre conceptuel est maintenant à la une de lurgence pédagogique
en Europe, où lenseignement bilingue par immersion est en train
de se mettre en place à grande vitesse et à grand renfort de moyens.
Ce matin même on nous a présenté le document vidéo, tourné dans une école
de Bologne, dune séquence pédagogique immersive, où le contact entre
litalien et langlais produisait diverses formes dalternance
codique fonctionnelles à lenseignement/ apprentissage dun
cours de chimie.
Une séquence familière pour celles et ceux qui font vivre lécole
valdôtaine, et qui ont dû y reconnaître le terrain de leur travail quotidien.
Cette séquence nous a cependant été présentée comme une nouveauté, comme
une nouvelle manière denseigner la langue seconde.
Ceci ma passablement étonné, sans vraiment me surprendre, car si
le modèle valdôtain a atteint un haut niveau délaboration, sa diffusion,
tant à lintérieur du système scolaire de la région, que du reste
du pays, nest pas à la hauteur de ses acquis.
Autre exemple personnel. Laurent Gajo et moi-même avons présenté lexpérience
valdôtaine, notamment en rapport avec lenseignement bilingue des
mathématiques, à un colloque international organisé à Hong Kong par les
Universités de Bruxelles, du Brunei et dHong Kong. Le contenu de
notre présentation a suscité un grand intérêt et je me souviens avoir
longtemps discuté avec une méthodologue chinoise qui souhaitait appliquer
le concept valdôtain à lenseignement immersif - chinois/anglais
- des mathématiques. Pour lélaboration écrite de notre présentation,
on nous demande maintenant de préciser combien de classes valdôtaines
ont adopté ce concept.
Et nous sommes en peine dy répondre, car le modèle perd du souffle
et les groupes de travail qui lavaient élaboré se dispersent.
Pour répondre au fil rouge qui nous a été posé par les organisateurs de
cette table ronde, je dirais donc que lexpérience valdôtaine est
une expérience de pointe, mais que son élément faible réside dans les
limites - en temps et en effectifs - de son application et de sa diffusion.
La durée de lenseignement/apprentissage, et la cohérence de son
application, sont pourtant les clés du succès de tout enseignement et
de lenseignement immersif ou bilingue en particulier.
Voilà pourquoi des projets suisses de longue haleine, auxquels jai
collaboré, ont pu parvenir à des résultats positifs, même sans avoir eu,
au départ, le soutien dune réflexion aussi mûre et professionnelle
sur lintégration des langues et des disciplines, comme celle qui
caractérise les projets valdôtains.
Pour revenir à la relation entre langues minoritaires et majoritaires
et aux tensions qui caractérisent, partout, cette relation, je voudrais
signaler une expérience immersive que je co-dirige dans la ville de Coire,
en Suisse.
Dans le canton des Grisons, dont Coire est le chef-lieu, il y a trois
langues officielles : une langue majoritaire, lallemand, et deux
langues minoritaires, litalien et le romanche. Pour débuter lenseignement
immersif dès la première année de lécole primaire, les autorités
scolaires auraient pu choisir lappariement allemand/anglais, qui
grâce à limportance attribuée à langlais, aurait eu en plus
le pouvoir de neutraliser les tensions que la coexistence des langues
majoritaire et minoritaires peut engendrer. Au contraire, ces autorités
ont choisi, de manière pragmatique, doffrir un enseignement immersif
dans les langues du canton, en tablant sur la proximité territoriale des
langues, et, pour litalien, aussi sur la proximité du canton du
Tessin et, par là, de lItalie.
Ce choix a rencontré le plein accord des parents délèves. Un autre
canton a choisi cette même voie, alors que dautres continuent de
sempêtrer dans des questions de revendications identitaires ou utilitaristes.
Par ailleurs, une recherche sociologique effectuée en Suisse sur lusage
des langues dans les diverses pratiques professionnelles montre que langlais
est certes nécessaire, mais que les langues de proximité le sont tout
autant, sinon plus. Ces considérations ont pour objectif de montrer quune
réflexion pragmatique sur lusage des langues peut surmonter bien
des écueils et que, par exemple, le choix du français au Val dAoste
se justifie autant par son histoire linguistique que par la proximité
de la région avec la France voisine et le Valais; que lenseignement
de lallemand répond aux mêmes objectifs et que, dans ce cadre, langlais
trouve une place complémentaire, tout aussi nécessaire. Vaste programme,
pourrait-on dire, qui a pourtant la chance de sappuyer sur des acquis
pédagogiques et didactiques qui ont fait leurs preuves et constituent
le commun dénominateur le plus efficace.
Au risque de paraître banale, il convient de rappeler que ce nest
pas lintroduction précoce de lune ou de lautre langue
qui produit la qualité de lenseignement et de lapprentissage,
mais que cest la puissance des instruments pédagogiques et didactiques
qui fait le succès de lenseignement immersif ou plurilingue.
Jaimerais conclure ces propos par une réflexion sur lautonomie
des établissements scolaires au Val dAoste.
Il sagit à mes yeux dune grande occasion qui, je lespère,
permettra à linstitution scolaire valdôtaine de rebondir, et de
se confronter à de nouveaux enjeux. Parmi ceux-ci, jaimerais trouver
celui de rassembler et dintégrer les expériences des écoles maternelles,
primaires et secondaires pour forger un modèle dacquisition et dapprentissage
des disciplines et des langues qui recouvre la totalité de lécole
obligatoire.
Lécole deviendrait ainsi le lieu et lobjet de la (re)connaissance
réciproque. Concevoir ce modèle, en assurer la continuité et la progression,
le diffuser de manière appropriée, serait positif pour les institutions
qui pourraient par la suite sen inspirer, mais aussi valorisant
pour vous qui avez donné tant de temps, de créativité et dénergie
aux différentes étapes de son élaboration.
Laurent Gajo
Alors je vais enchaîner sur
le discours de Cecilia : il y aura forcément des croisements darguments,
vu quon a travaillé assez étroitement sur les projets quelle
a cités au Val dAoste à lécole moyenne, mais jai moi-même
travaillé aussi au niveau de lécole maternelle, ce qui ma
amené à un autre regard aussi complémentaire et en continuité avec les
discours et les réflexions quon avait faits, elle et moi, au niveau
de lécole moyenne. Jaimerais reprendre lidée de lAnnée
européenne des langues.
On vous a dit en ouverture que cette année voulait marquer lidée
que le XXIe siècle et le troisième millénaire seraient ceux de la communication
dune part et du plurilinguisme de lautre.
Jai limpression que la lecture valdôtaine et la lecture européenne
du couple communication et plurilinguisme ne vont pas forcément dans le
même sens.
Jai limpression que, dans le discours européen, on part de
la communication et on ajoute le terme plurilingue en disant que finalement
il y a une donnée factuelle qui fait que cette communication va être ou
est plurilingue, donc une donnée de fait qui va sinclure dans le
paradigme de la communication.
Dans la recherche et lexpérimentation valdôtaine, on part dune
volonté de plurilinguisme et ensuite on essaye de voir limpact quil
peut y avoir, comment ça doit se traduire au niveau de la mise en place
de la communication ; alors il y a dès le départ de la perception valdôtaine
une approche qui thématise, qui problématise davantage la relation qui
va du plurilinguisme à la communication, qui didactise aussi cette relation
et qui ne regarde pas forcément communication et plurilinguisme dans un
même paradigme initial, mais qui les problématise dans leur relation.
On pourrait ajouter dans cette idée dAnnée européenne des langues
quelque chose qui figure seulement en arrière-plan, que le nouveau millénaire
devrait être aussi celui de la diffusion des connaissances ou de la connaissance
en général et je crois quau Val dAoste, si on le dit assez
timidement au niveau européen, on le dit de façon beaucoup audacieuse
ici, dans la mesure où on thématise de façon assez réfléchie et fine les
liens entre plurilinguisme, communication et construction/diffusion des
savoirs. Mais ce dernier élément est encore assez peu thématisé dans la
réalité abstraite européenne.
Cest mon cadre général pour montrer dès le départ que le Val dAoste
probablement a une réflexion peut-être plus pointue, plus argumentée,
plus conceptualisée sur ces liens entre communication et plurilinguisme.
Maintenant, je les illustre concrètement à divers niveaux.
Il y aura le niveau structurel dabord, didactique et scientifique
en deuxième, au troisième niveau ce seront les enjeux pédagogiques, ensuite
les enjeux institutionnels et pour finir les enjeux socio-didactiques.
Jessaierai de montrer à ces différents niveaux comment la réflexion
a bouillonné ici et en quoi elle peut être exemplaire pour dautres.
Alors, au niveau structurel dabord, les projets auxquels jai
eu loccasion de participer ont été pour moi tout à fait stimulants
et positifs dans la mesure où les équipes qui ont travaillé étaient hétérogènes
et regroupaient aussi bien des enseignants, des gens qui ont les deux
pieds dans la pratique au quotidien, des experts de différentes disciplines.
Ce genre de fonctionnement, qui a débouché sur des recherches dites "actions",
en lien immédiat avec la formation, on-line, est un bon modèle dexpérimentation
et de réflexion, car il réduit les relais, le décalage entre la recherche,
la pratique, la politique, la gestion : le chercheur apprend directement
de cette confrontation comme le praticien tire directement quelque chose
de cette confrontation et les autres aussi.
Ce nest pourtant pas facile de gérer les choses de cette façon-là,
mais il faut être à lécoute, il semble quil y a une manière
efficace, de fonctionner, et de mettre en place de façon efficace et si
possible durable, un certain nombre de réflexions et de structures.
Maintenant au niveau didactique et scientifique, il me semble que la réflexion
ici a eu de nombreux intérêts qui sont loin dêtre complètement explorés.
On a eu la chance au Val dAoste de pouvoir faire une réflexion qui
articule bilinguisme et alternance des langues, ce qui nest pas
évident partout.
On a vu la présentation du Luxembourg, pays exemplaire, où on ne peut
pas thématiser au niveau didactique ou pédagogique lalternance des
langues, dans la mesure où les langues sont réparties dans le curriculum
de manière à ne pas se rencontrer, car elles se partagent la chronologie
dans les différents ordres scolaires.
Au Val dAoste, il y a un parti pris différent, qui est de mettre
les langues ensemble aux différentes étapes du curriculum, dans les différents
ordres scolaires, choix pédagogique différent, qui peut paraître un obstacle
pour certains mais qui donne la possibilité de voir lenseignement
des disciplines dans une autre perspective, à travers deux langues et
lalternance de deux langues.
Je crois que toute cette réflexion, qui a des enjeux pédagogiques évidents,
autour de lalternance, est vraiment précieuse.
On a développé des outils pédagogiques qui ont pu se développer parce
quon avait décidé de mettre en place lenseignement bilingue
dune certaine manière, et ça a pu permettre à une certaine réflexion
didactique et scientifique de se faire, dévoluer, dêtre partagée
à létranger. Ça cest quelque chose dexportable et de
relativement exemplaire.
Dans ce même ordre didées, on parlait ce matin du fait que lenseignant
devait se proposer comme un modèle de plurilinguisme, un petit peu en
transpirant ; au Val dAoste, on a joué cette carte-là, lenseignant
doit lui-même enseigner en plusieurs langues, et cest le cas de
beaucoup denseignants en Vallée dAoste, qui jouent le jeu
du modèle bilingue, qui ne demandent pas une construction bilingue aux
élèves alors quils léviteraient pour eux-mêmes.
Une autre dimension dans ces enjeux didactiques et scientifiques concerne
lintégration de la langue et du contenu. Tout le problème est quelle
intégration, dans quel sens, comment ça sintègre ?
Et en ce sens-là, le Val dAoste a donné un certain nombre déléments
de réponse, ayant réfléchi à lintégration entre apprentissage de
la langue et du contenu au moins de deux manières, dans sa dimension didactique
des langues : comment dans cette intégration japprends mieux les
langues ; mais aussi dans la dimension didactique des disciplines : comment
dans cette intégration japprends mieux éventuellement le contenu
disciplinaire.
Dailleurs, il y a un nouveau sigle au niveau européen qui est EMILE
(Enseignement dune Matière par lIntégration dune Langue
Etrangère) - qui traduit dune certaine manière le sigle anglais
CLIL - mais donne peut-être quelque chose de plus au niveau de la discipline,
parce quon est dans lenseignement de la matière avant dêtre
en didactique intégrée ou en didactique des langues.
Troisième élément, qui découle de celui-là : au Val dAoste, au niveau
scientifique et didactique on a produit des réflexions encore relativement
nouvelles et naissantes, mais intéressantes au niveau des enjeux du bilinguisme
et de lenseignement bilingue pour les curricula disciplinaires et
non seulement pour une optimisation de lapprentissage des langues
; cette réflexion-là aussi mérite dêtre exportée et dêtre
mise en réseau avec des initiatives qui pourraient se prendre au niveau
européen.
Au niveau des enjeux pédagogiques, il y a toute une série de produits
dérivés des expérimentations bilingues qui ont été affinés dans la pratique
et la réflexion valdôtaine.
Je prends lexemple de la coprésence. Le fait que deux enseignants
avec des expertises différentes (langue 1, langue 2, disciplines différentes)
conçoivent ensemble une séquence didactique, la prennent en charge ensemble,
lévaluent ensemble, est une chose relativement exemplaire, qui demande
un fonctionnement assez nouveau et différent, une organisation différente
de lactivité pédagogique. Alors il y a peut-être une pédagogie de
la coprésence à mettre en place à une plus large échelle, ce qui implique
un regard nouveau aussi sur les frontières disciplinaires.
Est-ce quon doit parler encore de discipline maintenant après tout
ce quon a vécu dans le bilinguisme comme on en parlait avant ?
Est-ce quon ne doit pas plutôt parler de focalisation disciplinaire
plutôt que de territoire disciplinaire ? Les langues ont des enjeux transversaux,
qui ne concernent pas seulement les profs de langue.
La réflexion mérite dêtre portée en avant, il y a déjà un certain
nombre de ferments qui sont présents. Evidemment on a aussi par exemple
expérimenté la pédagogie par projets. Il est presque naturel que là aussi
on expérimente en dedans ou en dehors du bilinguisme.
Je passe maintenant au niveau institutionnel. Il y a évidemment maintenant
le bouleversement de lautonomie, qui est, par beaucoup daspects,
probablement une bonne chose, dans la mesure où il nous invite à voir
dans une plus grande continuité et verticalité ce qui se passe dans les
différents ordres scolaires.
Je crois que là, il y a une réflexion à faire, car il y a peut-être trop
de déperditions à chaque étape de la prise en charge éducative des enfants
et, dune certaine manière, il faudrait peut-être quon commence
à regarder plus sérieusement ce qui sest fait à chaque niveau pour
le récupérer et continuer à lutiliser.
Je parlais hier avec des enseignants décole maternelle qui, eux,
dune certaine manière, ont une frustration de mettre en place beaucoup
de choses et de ne pas en voir tellement les produits.
Par contre, les enseignants décole moyenne ont limpression
de ne pas pouvoir voir tout ce qui a été fait et de devoir recommencer
à zéro. Il y a une erreur, il ny a pas de regards croisés, mais
des regards superposés qui se manquent et là peut-être que lautonomie
va aider à regarder les choses dune autre manière, et je pense quon
a un intérêt évident à le faire.
Je finis maintenant par les enjeux au niveau sociodidactique. Ce que jai
envie de dire, cest que tout ce quon dit au niveau européen
autour de la méthodologie CLIL montre un modèle qui est intéressant mais
qui est décontextualisé.
Dune certaine manière, lEurope met en place une réflexion,
des modèles je dirais un petit peu vides, et quon pourra incarner
ça et là, avec plus ou moins de succès et dintérêt, alors que le
Val dAoste va faire un chemin inverse, cest-à-dire quon
a un modèle au départ fortement contextualisé qui répond à des besoins
historiques, économiques, sociopolitiques, qui sest mis en place
de façon forte et volontariste et dont on peut aisément extraire maintenant
une substance à mettre en réseau, à partager à un niveau plus abstrait,
plus décontextualisé. Et je crois quil faut faire une réflexion
ici et ailleurs sur ce quil y a dimmédiatement lié aux contextes
et de plus abstrait dans les différentes expérimentations qui sont mises
en place à droite et à gauche, ce quil y a dans nos modèles denseignement
qui est porté par des idéologies sociopolitiques ou par des idéaux didactiques.
Les deux sont toujours présents mais peut-être pas de la même manière,
pas avec la même priorité et il est important de faire le point.
Dernière chose, vu quon a finalement mis en évidence tous ces enjeux-là
est-ce quon ne peut pas continuer à tirer les ficelles de tous ces
enseignements, en se passant du bilinguisme ? Est-ce quon peut faire
tout ce quon a fait sur la didactique des disciplines, sur la collaboration
des enseignants, sur le développement de certaines compétences mais dans
un esprit monolingue?
Ce serait un grand dommage, mais ça nous renvoie à la question : est-ce
que le bilinguisme est seulement un déclencheur de réflexions, est-ce
que le bilinguisme est un catalyseur, cest-à-dire un accélérateur
de réflexions et il faut commencer à le garder, ou est-ce que le bilinguisme
est en plus une nécessité plus quun catalyseur et on na pas
de choix, on le garde à tout prix? Je crois quil est un peu les
trois, ici donc il y a trois raisons de le garder, et cest important
den avoir conscience. Parfois, de façon un petit peu paradoxale,
on a besoin de récupérer le discours européen, qui est intéressant dailleurs,
pour continuer à légitimer ce quon fait. La finalité première, cest
quand même dapprendre des langues, et puis, même si certains enseignements
pédagogiques et scientifiques peuvent continuer à être là, sans forcément
une référence exclusive au bilinguisme, le bilinguisme doit quand même
être gardé, car en Europe on y va, on y est, et nous on y a été, et on
y est encore, donc il ny a pas de raisons quon fasse machine
arrière.
Daniel Coste
Beaucoup de choses ont déjà
été dites, avec lesquelles je suis en parfait accord. Permettez-moi dabord
de rejoindre Bernard Py dans ses commentaires initiaux en soulignant à
quel point notre catégorisation dexpert extérieur est "insécurisante"
pour nous, dun point de vue presque statutaire et identitaire (pour
reprendre des adjectifs utilisés ce matin ! ), et à quel point nous nous
sentons impliqués dans ce qui se passe ici, avec tout ce que cela comporte
de prise de risques et de responsabilité.
Pour répondre à la demande de Viviana, jai rassemblé une petite
série de considérations qui paraissent tout à fait positives, dynamisantes
et ensuite quelques autres remarques qui me semblent porter sur des aspects
plus problématiques, dont certains ont été abordés auparavant.
Ce qui me frappe cest combien les choix plurilingues qui ont été
faits au Val dAoste renvoient à une situation exceptionnelle, à
bien des égards, par le caractère favorable de diverses circonstances.
Le plurilinguisme, dans le contexte valdôtain, est assumé historiquement
avec une valorisation et une légitimation de ce quon appelle le
patois, avec un certain rôle donné au français du fait de la place quil
a pu avoir dans la région ; il est, à lévidence, assumé aussi géographiquement
avec des langues voisines qui sont aussi des langues de voisins ; avec
des circulations qui sont des circulations touristiques, commerciales,
etc. fort importantes. On se trouve dans un contexte propice, différent
de ce qui se passe dans dautres pays européens, avec une configuration
qui est politiquement, géographiquement et linguistiquement facilitante.
En outre, économiquement, la Région jouit dun statut dautonomie
qui lui donne les moyens dagir.
Deuxième trait : on a déjà au Val dAoste un parcours important,
historiquement marqué, ne serait-ce que dans un passé très proche, pour
ce qui est des expériences plurilingues.
Tout le monde connaît " Valentine " , même ceux qui ne lont
jamais rencontrée ou qui nauront plus loccasion de la voir
à lécole maternelle ; elle est devenue un " lieu de mémoire
", comme dautres réalisations plus tard au primaire ou à lécole
moyenne, et cela compte dans lhistoire collective dune institution
éducative.
Troisième trait : la sensibilité et louverture à la réflexion internationale.
Le fait quil y ait ici un grand et régulier passage d "
experts " extérieurs, dorigines multiples, de nombreuses disciplines,
certes non toujours convergents dans leurs opinions, est la marque dune
volonté de mise en contact avec des apports autres et différenciés.
Quatrième trait : tout ce qui fait partie du catalogue des recommandations
européennes, on le trouve au Val dAoste ! Les trois langues communautaires,
lenseignement précoce, la pédagogie des échanges, la relation langue/construction
des connaissances, ainsi que la pédagogie des langues voisines.
Le fait quil y ait une généralisation de ces options et que pratiquement
tous les enfants soient exposés en principe à un tel système représente
aussi une marque originale du contexte valdôtain...
Cinquième aspect : le caractère, je crois, écologique et assez résolument
interventionniste des expériences qui ont été conduites dans la Vallée.
Ecologique au sens où il existe un respect des micro-contextes, des initiatives
de groupes denseignants.
Même si, dans le système antérieur précédant l " autonomie
" des groupements détablissements, il y avait évidemment des
incitations et des encouragements qui venaient de ladministration
centrale, on trouve au Val dAoste, contrairement à dautres
lieux en Europe où saffirment des positions plus dirigistes, une
réflexion " à la base " ; par exemple autour de la notion daire
linguistique ou quant à la prise de responsabilité, dans diverses expériences,
denseignants non spécialistes des langues.
Il existe dans la Vallée dAoste un certain type de relations démocratiques
et coopératives, je crois, dans la gestion des entreprises nouvelles,
doù quelles viennent, aussi bien que dans laccueil des
impulsions qui relèvent dune institution centrale apte à encourager
linnovation, voire à la stimuler. Je nignore pas que, vue
de lintérieur, la réalité peut se prêter à des commentaires moins
positifs, mais on ma demandé un regard venant dailleurs !
Comme sixième point : loriginalité maintes fois rappelée de la place
faite à lalternance des langues. Inutile dy revenir : mes
collègues viennent dy insister dans leur propos.
Et comme septième, le fait que le mode de fonctionnement permet que la
qualité de linformation et la motivation des enseignants semblent
très fortes. Plus on revient au Val dAoste, plus on relève que les
enseignants quon rencontre y sont dynamiques, avertis, nourris dapports
nouveaux.
Huitième point : les expériences qui ont été faites à propos du bilinguisme,
du plurilinguisme, ont été pensées en relation à lensemble du fonctionnement
éducatif et cela a toujours conduit à une interrogation sur lécole,
a contribué à faire bouger beaucoup de choses, notamment quant au relatif
décloisonnement entre les disciplines.
Certains aspects du fonctionnement institutionnel ont sans doute été secoués,
déstabilisés, et cela peut induire des formes dinsécurité, du type
de celles évoquées ce matin. Mais cette insécurité peut être féconde.
On assiste ainsi, depuis bon nombre dannées, à un mouvement qui
sest particulièrement appuyé sur le projet déducation bilingue,
mais qui a affecté lensemble de lédifice. Jajoute quau
niveau national, en Italie, ont été enregistrées bien des propositions
de nature à encourager une réflexion en profondeur sur lévolution
des systèmes éducatifs.
Dernier constat dans ce premier mouvement : les représentations du bilinguisme
ont sensiblement évolué.
Dès mes premiers contacts, il me paraissait très clair que, si langlais
restait " hors du coup ", on risquait de compromettre lexpérience
bilingue. Mais, politiquement peut-être, cette voie était délicate.
Or tout indique aujourdhui - jusquau titre de notre rencontre
- que le bilinguisme sinscrit de plus en plus dans une perspective
plurilingue et que les questionnements à propos du français intègrent
la nécessaire prise en compte dune attente et dune demande
quant à la place de langlais et à son introduction peut-être plus
rapide dans le parcours scolaire.
Le dispositif mis en place nest pas simplement un dispositif dapprentissage
des langues mais un dispositif de construction de connaissances en plusieurs
langues, ce qui veut dire aussi que langlais aura, à terme, à être
pensé et enseigné comme un instrument dans la construction des connaissances.
Il est temps den venir à quelques questions qui pour moi restent
en suspens.
La première est que cette capitalisation importante demande maintenant
à circuler en dautres sens.
Sous des formes diverses (technologiquement nouvelles ou plus traditionnelles)
il est tout à fait important, pour la Vallée mais aussi pour lEurope
et même au-delà de lEurope, que ce qui saccomplit au Val dAoste
soit " visibilisé " et mieux connu à lextérieur.
Doù découle une deuxième remarque : à cette fin, des informations
solides, des faits durs (" hard facts " comme dit langlais)
ont aussi à être fournis et pas seulement des comptes rendus partiels
ou purement qualitatifs. Des évaluations ont déjà été conduites et leurs
résultats diffusés. LIRRSAE/IRRE a mené diverses enquêtes et il
est essentiel de continuer dans cette voie. Fait partie de la capitalisation
nécessaire une appréciation plus précise de la manière dont les choses
se passent et dont des résultats sont obtenus, quantitativement, ici et
là.
Troisième point : la synergie, la mise en relation, la mise en contact
entre les différentes expériences qui ont été faites. Il y a un versant
tout à fait positif de ce que jai évoqué tout à lheure en
termes décologie, dintervention dynamique en divers lieux
; mais il existe aussi le risque dune sorte de kaléidoscope dexpériences
ponctuelles et pas toujours coordonnées les unes avec les autres. Besoin
donc de rendre raison de ce dont on dispose, de marquer et de mettre en
évidence les articulations densemble.
Ce nest pas facile, parce que les choix qui ont été faits au Val
dAoste sont plus riches, moins institutionnellement programmés que
dans dautres contextes quon peut connaître. Il faut essayer
de mettre et de maintenir en cohérence cette richesse.
Dans une telle perspective, il y a des pistes qui apparaissent, quon
a mentionnées beaucoup ce matin et sur lesquelles on sengage aussi
ailleurs en Italie : celles que trace la construction curriculaire.
Les problèmes de mise en place du curriculum supposent une réflexion densemble
sur la continuité, surtout dans le cadre nouveau de l " autonomie
". Il est clair, ici comme ailleurs, que penser un curriculum plurilingue
dans son économie linguistique et disciplinaire densemble ne saurait
aboutir à un cadre contraignant et fermé.
Il faut en tout cas sinscrire dans une durée des études qui nest
pas simplement à imaginer en termes de continuité méthodologique entre
différents cycles, mais aussi en termes de relation de complémentarité
et de distinction entre ces cycles : continuité nécessaire et nécessaire
différenciation en fonction des disciplines et de lâge des élèves.
Le défi est peut-être de concevoir un curriculum qui permette de tirer
le meilleur profit de léducation bi/plurilingue et qui stimule les
élèves en tenant compte des capacités quils développent avec ce
mode déducation. Plus vite dit que fait.
Deux derniers points sont liés de fait à la question du curriculum.
Tout dabord, il conviendrait de bien déterminer ce qui se passe
pour les études au supérieur en matière déducation bi/plurilingue.
Dans la plupart des expériences, on enregistre habituellement une forme
de déperdition en cours de route. Et les dernières années de la scolarité
révisent de facto considérablement à la baisse les exigences quant au
bi/plurilinguisme. Même sil doit en être pour partie ainsi, il reste
pour le moins utile de savoir quelle forme on entend donner au curriculum
plurilingue à ce niveau des études. Et cela pose ensuite, il va de soi,
le problème dune sorte de profil attendu pour les jeunes au terme
de leur formation initiale.
Quattend-on en fin du cursus ? Par exemple (et sans évoquer ici
les autres bénéfices cognitifs ou attitudinaux escomptés du parcours éducatif
en plusieurs langues), que les élèves soient capables de traduire en anglais
un texte à orientation scientifique écrit en français ? Ou encore de résumer
en français un exposé oral donné en italien ? Questions concrètes destinées
à simplement pointer que, pour lensemble du dispositif éducatif,
il est souhaitable institutionnellement, didactiquement - de savoir
vers quoi on va, ne serait-ce que par rapport à un minimum dexigences
finales.
Je nai fait ici, en position de participant observateur (comme on
parle d" observation participante " ), que lister quelques
constats et questionnements fort peu originaux. Ils servent à mesurer
le chemin parcouru, qui est grand, et aussi peut être à considérer le
moment présent comme particulièrement décisif pour ce qui reste à faire,
dans un environnement national et international lui même mouvant.
Bernard Py
Chacun des exposés quon
a entendus était en soi une synthèse. Le dernier exposé de Daniel Coste
était une synthèse des trois synthèses précédentes. Moi aussi je devrais
faire une synthèse, alors jai isolé trois points parmi ce qui a
été dit.
Le premier, cest quelque chose qui se trouve derrière lexpression
de Laurent Gajo de " produits dérivés ".
On peut aussi utiliser une autre expression, celle d "effet
de loupe ". Lidée cest que derrière toute expérience
denseignement bilingue qui se fait à Aoste il y a toute une série
de choses qui apparaissent qui ne sont pas nécessairement des phénomènes
liés à lenseignement bilingue, mais à la didactique, à la pédagogie.
Par exemple, cette réflexion sur bilinguisme et disciplines, cest
une question qui soulève toute une série de problèmes sur le rôle du langage
dans lenseignement : quels sont les différents types de contributions
du discours aux différents types dactivités quon peut organiser
dans un cadre pédagogique ; là il y a toute une série de questions fondamentales
qui ne sont pas liées essentiellement au bilinguisme.
Deuxième question, cest lidée que dans les différents systèmes
denseignement bilingue les modalités de contact entre les langues
peuvent être très différentes. Laurent Gajo a remarqué par exemple quune
des caractéristiques du système valdôtain cest que les deux langues
étaient en contact étroit et quil y avait des conditions telles
que lalternance y était particulièrement favorisée.
Cest une spécificité valdôtaine qui mérite dêtre mise en avant
et qui fait un petit peu la carte de visite de lenseignement bilingue
de la Vallée dAoste.
Le troisième point, cest une question soulevée par plusieurs des
intervenants : quest-ce qui fait quune langue est importante
ou pas dun point de vue de son enseignement, son apprentissage ?
On a tendance à dire que cest langlais, parce que cest
une langue très diffusée qui sutilise un peu partout dans le monde,
mais on a vu quil y a dautres fonctions qui interviennent,
qui sont dévolues à une langue enseignée dans un milieu scolaire déterminé
; par exemple, le fait que ce soit la langue de proximité ou non, mais
aussi le fait que cette langue joue un rôle de référence par rapport à
dautres pratiques verbales.
Il y a toute une série de critères qui devraient être examinés, qui devraient
aboutir à une relativisation du critère dimportance de diffusion
démographique.
Je crois que je vais en rester là.
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