La gestion différenciée désigne un mode d'actions diversifiées et coordonnées dont l'objectif premier est l'entretien des espaces verts en ville, selon leur spécificité paysagère et leur fonction dans l'espace urbain. De fait, ce mode de gestion existe depuis longtemps dans les villes qui possèdent une grande variété d'espaces verts, associée à une diversité floristique artificielle. Mais, durant les années 1990, cette gestion a évolué vers une planification basée sur l'intégration de techniques toujours plus nombreuses et élaborées, depuis les plus intensives réservées aux jardins ou parcs à pelouses fleuries, aux plus extensives pratiquées dans les bordures de voiries ou les boisements subnaturels. Cependant, là n'est pas l'essentiel car avec l'émergence du concept de "ville durable", il y a une douzaine d'années (Charte d'Aalborg, 1994), la gestion différenciée est devenue un moyen de conserver ou même d'augmenter la biodiversité ordinaire, au sein même des espaces bâtis.
Ce mode de gestion a été adopté par plusieurs villes européennes comme Zurich en Suisse, Barcelone en Espagne, Zwoll aux Pays-Bas ou Rennes en France. Il l'a aussi été par la commune de Meylan, ville de l'agglomération grenobloise, qui servira d'appui à notre démonstration.
La gestion différenciée, une garantie pour la diversité des espaces verts
Le concept de gestion différenciée s'est réellement diffusé à partir des congrès européens de Strasbourg, tenus en 1996 et 2001 (Allain, 1996 ; Aggeri, 2001). La gestion différenciée est un moyen d'organiser, optimiser et faire évoluer l'entretien des espaces verts publics dont les fonctions, fort diverses, relèvent de la qualité du cadre de vie, de l'esthétique paysagère, de l'identité historique et culturelle de la ville, du rôle ludique et sportif de l'espace, ou encore de l'amélioration de l'environnement : rôle d'amortisseur des pollutions atmosphériques, sonores ou visuelles, effet réfrigérant en période de canicule, augmentation de la capacité d'infiltration des substrats. Ces fonctions s'appuient en grande partie sur les espèces végétales dont le développement dépend, à la fois, de l'action humaine et du fonctionnement subspontané des écosystèmes reconstitués ou conservés lorsque la ville, en expansion, absorbe l'environnement préexistant (zones humides, terroirs agro-pastoraux).
Dans le contexte d'une gestion différenciée, un espace vert et les éléments, qui le composent, sont entretenus selon une classe précise de gestion.
La gestion différenciée, un atout pour la biodiversité ordinaire
Au-delà de la fabrication et conservation d'écosystèmes artificiels dont la forme, la composition floristique et, parfois, animalière, sont contrôlées par l'homme (photo 1), le véritable apport de la gestion différenciée est de proposer des écosystèmes à autonomie fonctionnelle. Ils doivent être capables de conserver une biodiversité ordinaire constituée d'espèces indigènes et de milieux naturels locaux (Mougenot, 2003), qui s'ajoutent à la biodiversité créée et maintenue artificiellement, souvent à grands frais (espèces exotiques). Certes l'existence d'une nature autonome en ville peut apparaître comme une gêne, voire un risque et finalement relever d'une utopie. Pourtant, plusieurs paysagistes ont déjà fait des propositions et des réalisations dans ce sens (Clément, 1994) et les villes précitées l'ont mise en œuvre, au moins partiellement. Conduite selon cette optique, la gestion différenciée s'inspire des principes de l'écologie appliquée : autécologie, écologie des milieux, écologie du paysage. Elle doit agir à l'échelle de l'espace vert d'une part, à l'échelle de la ville de l'autre.
A l'échelle de l'espace vert, selon sa taille, la gestion différenciée œuvre pour produire des structures spatiales hétérogènes et complexes, au sens de l'écologie spatiale (Burel et Baudry, 1999). En premier lieu, il convient de contribuer à une stratification diversifiée de l'écosystème, avec quelques grands arbres dominant des strates arbustive, herbacée, muscinale et humifère. Outre la diversité floristique, ce dispositif étagé procure aux petits animaux, comme les oiseaux ou les rongeurs, une bonne variété d'habitats, de lieux de reproduction et de ressources alimentaires. En second lieu, l'effort doit porter sur la structure paysagère "horizontale " (photo 2). Celle-ci doit présenter une topographie variée avec bosses, talus, replats et dépressions. Le relief est revêtu d'une matrice herbacée (la plus adaptée au milieu urbain), parsemée d'arbres isolés ou de petits bosquets alternant avec des " taches " arbustives à lisières sinueuses. L'existence d'une pièce d'eau à berges différemment profilées (espèces hygrophiles) et d'une rocaille bien ensoleillée (espèces thermo-xérophiles) ajoute encore à la biodiversité. Enfin, ces petits milieux doivent être proches ou reliés par des structures linéaires comme des chemins à bandes herbeuses, des haies, des lisières transitielles ou des ruisseaux, afin de favoriser les flux d'espèces de "trajet court" que sont les batraciens, reptiles, insectes, mollusques ou lombricidés. Ces conditions réalisées, aux classes de gestion à gradients d'intensification-extensification variés peuvent répondre des dynamiques naturelles productrices de diversité biotique (figure 1). Cependant, le fonctionnement d'espaces verts isolés ne garantit pas la durabilité de la biodiversité, et il faut raisonner sur l'ensemble de la ville.
A l'échelle de la ville, une gestion différenciée centralisée (recours à un SIG) contribue à l'élaboration des continuums écologiques. A Meylan, grâce à la structure réticulée des allées boisées qui se croisent au " cœur vert " du Bachais-Bruchet (figure 1) et dans laquelle s'insère la mosaïque des jardins et haies privés, le fonctionnement des corridors biologiques préconisés dans la Charte d'Aalborg est probable ; il reste cependant méconnu faute d'observations. Les villes durables pourraient même constituer des réservoirs biotiques, connectés aux réseaux biologiques locaux ou régionaux.
Ce retour de la nature apporte à la gestion différenciée de nombreux avantages matériels et culturels. La diminution d'intensification débouche sur une réduction des coûts d'entretien (additifs chimiques…), une dynamique naturelle " libérée " implique davantage de perception naturaliste chez le jardinier pour interpréter des écotones en évolution, l'apparition ou la régression d'espèces. Cela peut aller jusqu'à utiliser les espaces verts comme des observatoires, avec espèces indicatrices, des processus lents de détérioration sanitaire de l'environnement urbain. De plus, le jardin " en mouvement " peut proposer une pédagogie de l'environnement intra muros comme cela existe dans le parc meylanais du Bruchet, avec panneaux explicatifs. Enfin, l'intégration des espaces verts privés dans le dispositif donne à la gestion différenciée, d'initiative publique, une dimension participative qui devrait favoriser, par le biais de l'écologie, une prise de conscience plus collective du lieu de vie que représente, pas seulement pour l'homme, l'espace urbain.
Pour les espaces verts, l'existence de divers types de gestion s'appuyant sur des techniques classiques, n'est pas récente, mais le recours à la gestion différenciée en appliquant les principes d'écologie spatiale et fonctionnelle, est novateur. Cependant, la gestion extensive ne doit pas se faire en détriment de la diversité "construite" des parcs et jardins, témoins d'une riche histoire ; elle doit être déployée pour favoriser une biodiversité naturelle qui régresse fortement dans les zones fragmentées par l'urbanisation, tendance non compensable par une biodiversité qui serait seulement due à l'homme.
Ainsi précisée, la mission de la gestion différenciée semble être d'une ambition démesurée, mais si le projet de la ville durable doit se réaliser et se généraliser, ce sera avec la préservation du patrimoine naturel. Il s'agit d'un défi que la ville du XXIème siècle doit relever, celui d'oser réaliser, dans le contexte paradoxal d'un milieu très artificialisé, une nouvelle alliance entre l'homme et la nature.
Bibliographie
Allain Y.-M.. Vers la gestion différenciée des Espaces Verts, Dijon, CNFPT, 1995
Aggeri G De la gestion différenciée au développement durable, Florence, CNPF, 2001
Burel F. et Baudry J. Ecologie du paysage. Concepts, méthodes et applications, Paris, Ed. TEC & DOC, 1999.
Clément G. Le jardin en mouvement, Paris, Ed. Sens & Tonka, 1994
Cottu P.Y. Gestion différenciée et diversité des espaces verts, deux critères pour une ville durable. L'exemple de la commune de Meylan, Grenoble, Institut de Géographie Alpine, 2003
Mougenot C. Prendre soin de la nature ordinaire, Paris, Ed. Maison des Sciences de l'Homme, INRA, 2003
Les classes de gestion, selon une intensification décroissante (cas de Meylan).
Classe I
Espaces de "prestige": parterres de fleurs en centre-ville, haies et massifs arbustifs soignés, parcs historiques...
Classe II
Espaces à entretien soigné: pelouses tondues régulièrement, fleurissement par plantes annuelles en taches à géométrie controlée, abords d'avenues...
Classe III
Espaces à pratiques horticoles: parcs de loisirs, de promenade, terrains d'entrainemnt...
Classe IV
Espaces à pratiques extensives: espaces de jeux de découvertes, prairies, bosquets éclaircis...
Classe V
Zone d'intervention limitée: talus subnaturels, abords de sentiers, promenades de sous-bois...
Classe VI
Zones de simple inventaire des milieux, pouvant être classées en Zone Naturelle d'Intérêt Floristique et Faunistique: zone humide, ripisylve...