La hiérarchie des agglomérations qui ponctuent la Vallée d'Aoste est le fruit de l'histoire profonde de la région depuis des millénaires, le résultat d'un équilibre créé par le système féodal au cours du Moyen Age, mais aussi par la connaissance de la montagne et des risques naturels qui la caractérisent. Cet habitat est dispersé, enraciné au sein des replis formés lors la genèse alpine et forgés par l'érosion des glaciers et des eaux.
Comme le reste de l'Europe occidentale, notre région a connu un développement progressif à partir du XIe siècle. L'existence même de l'Evêché dès le Ve siècle et les traces de la christianisation avec la naissance des paroisses sont des témoignages qui évoquent la préexistence d'un peuplement, dispersé dans la vallée centrale et en altitude. Lorsqu'on observe le manque d'emprise directe des châteaux sur la plupart s'affirme la féodalité. Pour plusieurs paroisses dites mères, cependant, il existe une relation spatiale de proximité entre le château, l'église paroissiale et un bourg ou une ville, qui matérialise l'alliance entre les pouvoirs temporel et spirituel : à Avise, à Bard, à Champorcher, à Châtel-Argent, à Cogne, à Étroubles, à Introd, à Perloz, à Saint-Pierre, à Valpelline, etc. Plusieurs clochers sont construits à l'emplacement d'anciennes tours, comme à Antey-Saint-André, à Saint-Marcel, à Gignod, à Tour-d'Heréraz. Quant aux églises paroissiales fondées à l'emplacement des prieurés bénédictins, elles sont en général à l'écart des hameaux ou des villages, comme Saint-Martin d'Arnad et Saint-Hilaire de Nus.
Le long du sillon drainé par la Doire Baltée, l'ancienne route des Gaules est jalonnée de bourgs au plan urbanistique clair, soutenu par un axe de circulation rectiligne. Certains bourgs ont connu une continuité de peuplement et des découvertes archéologiques ont montré que sous les structures actuelles se cache l'empreinte d'une installation romaine proche de la via publica, au Bourg de Saint-Vincent par exemple, mais aussi à l'emplacement de certains châteaux comme à Issogne ou à Sarriod-La-Tour.
Dans les bourgs, les maisons (boutiques, auberges, ateliers, maisons de notables) bordaient de part et d'autre l'axe central du grand chemin, de l'etraz, de la route royale, tandis que les bâtiments ruraux étaient à l'arrière. L'ensemble était enclos derrière de hauts murs, accessible par des portes fermées la nuit et surveillé par des tours.
Même si la vallée centrale a toujours été soumise aux lois de la circulation, aux transports militaires et commerciaux, du point de vue territorial elle a connu aussi sa vie propre, liée à l'exploitation de ses ressources agricoles. Elle a toujours été très peuplée au pied des deux versants, aux points de confluence des torrents latéraux et sur les cônes de déjection. Ces endroits très fertiles sont en effet privilégiés pour construire - à l'apex - un pont, passage obligé autrefois grevé de péage, mais aussi pour exploiter la force motrice de l'eau.
Grâce à leurs commerces et à la présence d'industries, les agglomérations de plaine jouaient le rôle de traits d'union entre les populations des vallées latérales et celles des bourgs ou de la cité d'Aoste.
À l'amont des gorges de raccordement, les vallées latérales s'évasent, mais restent cloisonnées entre elles, reliées cependant par de nombreux cols transversaux qui eux aussi ont influencé la structure du peuplement aux points de passage d'une rive à l'autre.
Les villes, situées sur les terrasses d'origine glaciaire ou dans les vallées latérales, étaient, comme les bourgs, de gros villages en relation fréquente avec une demeure seigneuriale. Elles abritaient au Moyen-Âge - et ce caractère perdure encore - le centre d'une communauté rurale forte. Citons Dolonne à Courmayeur, Élévaz à Pré-Saint-Didier, Antagnod à Ayas, Extrepiéraz à Brusson, Grand-Villa à Verrayes, etc. Le coutumier valdôtain de 1588 distingue nettement les "villes et bourgades du Duché d'Aoste" des autres agglomérations rurales, qu'il appelle "villages et autres lieux champêtres". Ainsi, dans les villes et les bourgs, les particuliers étaient autorisés à construire contre le fonds de leurs voisins, ce qui entraînait à l'origine la mitoyenneté des murs porteurs des maisons. La plupart des agglomérations sont devenues des chefs-lieux et portent encore le nom de "Veulla", comme à Courmayeur, à La Salle, à Pré-Saint-Didier, à Valpelline, à Cogne, à Pontboset, à Hône, à Arnad, etc. D'autres, par contre, ont gardé un état embryonnaire ou ont périclité. Malgré tout, le toponyme subsiste, attribué actuellement à de petits village, à Chamois ou à Champdepraz.
Les aménagements du territoire aux alentours des villes portaient l'empreinte d'initiatives collectives: digues, rus et murs de soutènement. À l'intérieur ou à proximité, il y avait de nombreux bâtiments à usage collectif : moulins, fours, chapelle, laiterie. En plaine, il était fréquent de rencontrer de vastes étendues mises en culture de façon homogène, exploitées par l'ensemble des habitants de l'agglomération: vergers, jardins enclos, chènevières, terres labourées appelées "champagnes".
Dans la vallée centrale, il existait au surplus de grandes exploitations agricoles, des granges, fermes isolées au milieu des prés, appartenant à la noblesse ou aux monastères d'Aoste.
Lorsque l'on examine l'habitat dans ses moindres détails en mettant en relation le relief, le réseau hydrographique et les constructions, on découvre la relation étroite existant entre l'étendue des terres conquises sur les bois ou le roc et le nombre de maisons. Les terres aménagées en pente douce à force de défrichements et d'érection de murs de soutènement ont cristallisé partout la construction d'abris. L'habitat, associé à la polyculture vivrière et à la céréaliculture, est en général fortement groupé en villages. Ceux-ci se situent au pied des versants couverts de bois ou ils sont accrochés à la pente ou au rocher pour occuper le moins de sols cultivables possible, mais à l'écart des dangers, comme par exemple sur des balcons naturels. La dimension des villages est proportionnelle à l'étendue du finage nourricier que ses habitants exploitent. Les cônes de déjection, particulièrement fertiles, mais à risques, sont parsemés de hameaux (Issogne, Gressan, Issime) ou peuplés par un groupe de maisons tassées latéralement sur le flanc du cône (Bien et Rovenaud de Valsavarenche ; Echallod à Arnad ; etc.).
Les villages sont caractérisés par un tissu parcellaire non ordonné, excepté ceux qui sont greffés sur une voie de circulation. La cohésion sociale y est forte et il y existe des édifices communautaires, tels qu'un four, un moulin ou une chapelle.
Quant aux petits hameaux, ce sont des noyaux de dimension très réduite au tissu lâche ou aggloméré et souvent d'origine familiale. Ils sont essentiellement ruraux et semblent fondés, au départ, soit par l'essaimage des membres d'une famille, soit pour une exploitation temporaire ou marginale du territoire. On les rencontre en position périphérique ou intercalaire par rapport aux "villes" et aux villages. Il existe cependant une exception fondamentale dans la Vallée du Lys où domine un peuplement diffus. Les hameaux prédominent aussi au sein de microfinages avec cultures spécialisées : châtaigniers, vignes, pâturages.
Ainsi, l'habitat est très dispersé dans les vignobles exploités par des familles de migrants saisonniers provenant des villages de haute montagne. Sous les versants couverts de taillis de châtaigniers se concentrent certes les vignes sur pergolas construites en gradins, mais aussi des prés, de nombreux arbres fruitiers (pêchers, pruniers, pommiers, poiriers...). Les tòpie auxquelles s'agrippent les sarments de vigne sont construites en bois de châtaignier sauvage, liés par des branches de saule qui jalonnent les rus.
Cette complémentarité harmonieuse des cultures composait un paysage cohérent et varié qui n'avait rien à voir avec l'homogénéité paysagère que produit la monoculture.
Au sein de ce paysage valdôtain du passé, tout en camaïeu, il n'y avait pas moins de 1250 agglomérations. Quel que soit son type, chaque village, chaque hameau, chaque maison isolée, chaque mayen, chaque alpage jouait un rôle dans l'équilibre économique de l'ensemble du territoire régional.
En effet, il existait une relation étroite entre les hommes qui habitaient chaque bâtiment et le terroir alentour. Ce finage était divisé en mas de culture, lots de parcelles portant un même nom de lieu où chaque chef de famille possédait une pièce plus ou moins grande à cultiver : mas des Toules, mas de la Léchère, mas des Cleyves... Dans la société traditionnelle, l'entretien des terres, les semailles, les récoltes, le pâturage, les vendanges ou la fauche, en un mot tous les travaux agricoles, se déroulaient de concert, en fonction des rythmes saisonniers et selon les caprices climatiques annuels.
L'environnement rural était aménagé jusque dans ses moindres recoins. Chaque élément du paysage - chemins, champs, jardins, arbres, clôtures - avait son rôle au service de l'équilibre alimentaire de la population.
Aujourd'hui, avec le déclin de l'agriculture et les mutations sociales, les maisons ont perdu leur rapport avec l'environnement et les friches s'installent partout. Certains hameaux sont littéralement étouffés par les bois pionniers, proies fragiles pour la ruine ou les flammes. La population glisse vers la vallée centrale, où la construction de bâtiments neufs est constante. La trame habitée d'antan est en grande partie abandonnée au profit d'une longue agglomération diffuse qui se developpe toujour toujours plus, en suivant en plaine et sur les côteaux le cours de la Doire.
Bibliographie:
Remacle C., Vallée d'Aoste. Une vallée, des paysages, Ed. Umberto Allemandi & C., Torino 2002.
Barbero A., Valle d'Aosta medievale, Napoli 2000.
EXTRAIT DU COUTUMIER
Coustumier du Duché d'Aoste. Livre III. Tiltre VII. Des Bastimens et edifices.
Article LIII. Tous voysins ayans edifices sur rue, ou place publique, prochains & aboutissans aux heritages d'autruy, peuvent estre contrains par justice, à souffrir que le proprietaire des dits heritages, s'ayde de la moitié de son mur en contribuant la moytié de la façon, frais, & despenses dudit mur...Ce que seulement on observera en la Cité, Villes, & Bourgades du pays, sans qu'aux villages & lieux champestres aucun soit tenu souffrir autruy prendre part en sa muraille, de laquelle il est entierement propriétaire.
Article LIIII. De tant plus est permis à chacun de bastir esdites Cité, Villes & Bourgades sur l'extremité de son fonds, & à fil des bonnes (=bornes) apposées entre ses heritages, & l'edifice de son voysin, quant il n'y a servitude, ou autre empeschement de droict coustumier.