Le poids de l’ « Histoire » imprègne le paysage. On y lit le rôle des grandes voies de communication européennes qui justifient l’existence des bourgs de route à Étroubles et à Saint-Rhémy ; on y voit le consensus entre habitants et seigneurs au Moyen Age avec la fondation des villes à Allein, à Doues, à Valpelline et à Oyace, d’où la population a probablement essaimé peu en peu en altitude, fondant une multitude de hameaux. Cette vision certes réduit l’histoire du peuplement des montagnes à un simple mouvement de bas en haut, alors qu’en réalité des familles se sont déplacées de part et d’autre des Alpes et d’une vallée latérale à l’autre. Grâce à la position centrale de la Communauté de montagne, à l’adret, hier comme aujourd’hui, les habitants des 11 communes ont toujours été en contact avec la Ville d’Aoste, la Veulla d’Oûta, où ils se rendaient pour le marché. Cependant le découpage des communautés de montagne ne correspondant pas à celui des seigneuries, il ne prend pas en compte les anciennes migrations saisonnières pour cultiver la vigne, ou pour se rendre au château ou aux foires, et l’on oublie peu à peu les rapports intenses qui existaient, il y a moins d’un demi siècle encore et depuis le Moyen-Age, entre le Valpelline et Quart ou Saint-Christophe, entre Bosses, Étroubles, Gignod et la colline d’Aoste.
La maison traditionnelle, une maison unitaire
L’habitat des vallées du Buthier et de l’Artanavaz est composé d’une multitude de hameaux, dont les formes architecturales répondaient à l’exploitation agropastorale du territoire environnant. Sous 1000 m d’altitude, les arbres fruitiers étaient nombreux, les secteurs les plus ensoleillés étaient dédiés à la vigne, les plus humides aux prés et les plus ombragés aux châtaigniers. À la fin du XIXe siècle, un modèle de maison imposant, adapté à la pente et à l’élevage, prédominait dans l’ensemble de la communauté, une vaste maison unitaire où l’on abritait sous un même grand toit à deux pans tous les espaces de vie et de réserves pour affronter les longs hivers de nos montagnes. Au rez-de-terre se trouvait toujours l’étable, avec la plasse, un coin chauffé, surélevé par un plancher, où séjournait la famille en hiver. À Bosses, les murs étaient revêtus de lambris ; à côté, contre terre, il y avait une cave et une cage d’escalier pour monter vers le le logis et le pailleur. Au pied du fenil, une porte permettait de passer quotidiennement vers le bas la ration de foin à l’étable. Ailleurs, les couloirs et les escaliers de circulation intérieurs étaient des éléments peu fréquents. Ils caractérisaient les cures, les fermes du clergé, des notaires, des rentiers et les maisons des gros propriétaires terriers ou encore celles des commerçants des bourgs. Dans la plupart des petites exploitations rurales, on utilisait le relief du sol pour passer d’un étage à l’autre ou bien l’on empruntait un escalier en pierre bâti contre la façade principale pour entrer a méizon et des balcons avec escaliers pour atteindre les niveaux supérieurs.
C’est pour cette raison que les façades étaient souvent garnies d’une série de galeries en bois superposées, aux balustres décorés, seuls éléments qui embellissaient le volume massif en pierre de la construction. Même si les toits en planches, de lan, ont certainement été très fréquents avant le XIXe siècle, c’est la lauze qui était employée depuis plusieurs siècles pour couvrir les éléments de la charpente : péne, courpo, tsevron et latte. Contrairement à ce qui se fait aujourd’hui, la toiture traditionnelle ne débordait largement que du côté où il y avait la nécessité de protéger le passage, c'est-à-dire la façade qui avait une ou plusieurs portes d’entrée et surtout celle qui était orientée vers la vallée ou vers le soleil où se trouvaient les galeries. À Saint-Rhémyen- Bosses et dans quelques cas à Saint-Oyen et Étroubles, de hauts poteaux en bois, des coleune, soutenaient traditionnellement les poutres de la couverture et l’avanttoit qui dépassait largement des murs. Souvent au niveau du fenil, la façade aval était largement ouverte et, par conséquent ventilée, grâce à la pose d’une ferme à arbalétriers. Il s’agit d’une caractéristique locale importante dans la Communauté, diffuse aussi bien dans le Valpelline que dans la Combe-Froide.
Les espaces de conservation
Penser la maison concentrée, ouverte vers l’extérieur du côté de la basse- cour et du soleil, n’a pas toujours été à la mode et il reste ça et là dans quelques villages de petits bâtiments datant du bas Moyen-Age, au volume trapu et bien fermé, sans balcons, avec de minuscules fenêtres, dont la toiture dépasse à peine le périmètre des murs extérieurs et où l’on habitait en permanence avec le bétail.
On en trouve surtout à Ollomont, à Oyace et à Bionaz. On remarque aussi de petites constructions en mélèze qui datent de la même époque, des grenì, qui ont plus de 500 ans et qui nous montrent que ce matériau, tiré des forêts proches, avaient des propriétés excellentes pour conserver au sec les grains et le pain. Il en reste une quarantaine sur l’ensemble du territoire de la Communauté de montagne. En fait, plus on s’élève en altitude dans la vallée du Buthier, plus le bois est présent dans l’architecture pour engranger les réserves, principalement à Bionaz, on a oublié aujourd’hui que tous les versants bien ensoleillés, exposés au sud et à l’ouest, étaient aménagés en terrasses et couverts de champs de céréales en été. À la fin de la moisson, toutes les maisons résonnaient du battement rythmé des fléaux qui faisaient jaillir les grains des épis dans la grange. Le battage se déroulait en général dans le pailleur ou sur le plancher de grandze, ouvert, situé au-dessus de la cour, ou encore dans un raccard. Il en reste quelques uns à Bionaz. Le plus haut se trouve au Noailloz, à plus de 2000 d’altitude. Il date du XVe siècle ! Les structures en bois, témoignages des défrichements tardifs des forêts, étaient bien plus nombreuses autrefois. Qui imaginerait aujourd’hui qu’il y en avait à Ollomont ? Et à Allein ? Pourtant, dans cette commune, il en reste encore une en ruine au Daillon. Dans un monde où l’on produisait presque tout ce que l’on consommait, la céréaliculture avait autant de poids que l’élevage. Au début de l’hiver, les fournées dans les fours communs se succédaient l’une après l’autre pendant des jours et des jours et les pains étaient rangés par centaines – si la récolte de seigle était bonne - sur les râteliers dans des chambres sèches, bien adaptées à leur conservation, situées soit au dessus de la cuisine, soit dans de petits appendices en bois, des tsambron. En effet, l’architecture ancienne, prise dans son ensemble, est le reflet d’une manière de vivre en montagne avec économie et cohérence, avec une connaissance excellente des propriétés des matériaux de construction à portée de main. La conservation des aliments, de l’automne à la fin de l’hiver, voire au début de l’été, était fondamentale, que ce soit pour la survie familiale ou pour celle du bétail qui exigeait de grandes quantités de foin et d’herbages secs. Les étables étaient souvent crottaye, couvertes de voûtes, car les planchers trop humides pourrissaient. Plus la maison avait de valeur, plus les espaces voutés étaient nombreux : étable(s), caves, celliers et parfois même la cuisine et sa chambre à provisions adjacente. Par son inertie thermique, la voûte en maçonnerie permettait de conserver à l’abri du gel, mais aussi à l’abri de la chaleur en été, toutes les denrées alimentaires riches en eaux ou en graisses : les pommes de terre à partir de la fin du XVIIIe siècle, le fromage, la viande sous sel, le vin,… Quelle que soit l’époque, les espaces de conservation occupaient plus des trois quarts de la volumétrie de la maison.
Le foyer
Dans les maisons anciennes de la Communauté de montagne du Grand-Combin, dans de nombreux villages, en dehors des mois d’hiver particulièrement rigoureux où l’on restait à l’étable, c’est le pélio qui servait de chambre commune pour toute la famille. On s’y chauffait grâce à une plaque de pierre verticale, plus l’âtre de la cuisine contiguë. La cuisine était appelée, par antonomase méizon et était traditionnellement à l’étage, au-dessus de la cave, accessible par l’extérieur. Elle servait aussi de lieu de fabrication du fromage et du beurre lorsque les vaches n’étaient pas au mayen ou à l’alpage. Au XIXe siècle, l’arrivée sur le marché du petit poêle à bois en fonte à deux, trois ou quatre trous, a révolutionné la façon de vivre, de même que la fondation des laiteries coopératives. Dans ces laiteries dites « tournaires », chaque famille portait le lait trait à la maison en hiver et chacun à son tour allait y fabriquer un grand fromage que l’on pouvait commercialiser, au lieu de travailler chacun dans son coin, dans la grande cheminée a méizon, un minuscule fromage. Lo fornet, à la fois moyen de chauffage et de préparation des repas, était rassurant grâce à la maitrise du feu. Adieu la peur de voir tomber un enfant sur la braise ! Adieu la peur de voir les longs coteullon des femmes prendre feu!
Lo fornet a joué un rôle fondamental dans la conquête du confort et le changement fonctionnel des pièces d’habitation avant la dernière guerre. Il a souvent ôté à méizon son rôle symbolique, lié à la présence du foyer. Dans certains cas, la cuisine, chauffée au large, est devenue la pièce commune de séjour diurne avec ajout d’un fourneau et d’une longue canne qui aboutissait dans la cheminée de l’âtre, tandis que le pélio se transformait en chambre à coucher. Dans d’autres cas, la cuisine a maintenu son rôle de laiterie/fromagerie, mais s’est transformée en entrepôt, tandis que le pélio gardait sa fonction intense, liée au vécu familial - de la naissance à la mort - tout en absorbant en son sein la préparation des repas sur le fourneau, plus économique en combustible. Ces changements fondamentaux pour l’usage des espaces intérieurs des anciennes maisons se sont déroulés à des moments différents selon les familles et les communautés, mais quelque soit la solution choisie, lors de la transformation, l’odeur acre de la fumée imprégnait les principaux espaces intérieurs de vie.