IL MATERIALE INORGANICO
Les textes anciens évoquent l'esprit d'économie, la volonté de ne pas gaspiller le travail fait, le temps déjà passé à faire pour éviter de refaire ou de défaire ce qui existait déjà …
FAIRE ET REFAIRE... LES MAISONS!
par Claudine Remacle
Dans les villages de montagne, les maisons traditionnelles sont bâties en recyclant en partie les matériaux des ouvrages précédents.
Mais pourquoi ?
La raison est toute simple : lors des chantiers, la fourniture des matériaux - pierre, bois, fer - était toujours un devoir du maître de l'ouvrage, c'est-à-dire du committente.
Sans nos moyens actuels (camions, grues, monte-charge), le transport était épuisant ! Toute la famille s'y mettait pourtant et souvent avec l'aide des voisins, mais ce travail de fourmi, qui prenait parfois plusieurs années, était lourd et difficile, parfois même dangereux. La neige durcie, alliée à la pente du terrain, offrait heureusement une aide indispensable à la glisse des luges. Encore fallait-il les traîner, les tirer, les pousser, les retenir et surtout les guider lorsqu'elles étaient chargées de pierres ou de lauzes !
Ce fait, lié aux caractéristiques fondamentales de la montagne, a obligé pendant des siècles les Valdôtains à récupérer tout ce qui était possible et surtout à ne jamais effectuer un voyadzo a vuido, " un voyage à vide " ! Dès que l'on se déplaçait, c'était en portant une charge - quelle qu'elle soit - ou un outil…
Le remploi des matériaux inertes était d'autant plus intéressant qu'ils étaient souvent déjà travaillés, d'où leur valeur en gain de temps. On récupérait ainsi le moindre bout de planche sciée, la pierre déjà équarrie, la poutre de charpente appartenant à des bâtiments tombés en désuétude dont on était propriétaire, des lauzes. Tout cela concourrait à rendre la quête des matériaux et la construction rapides et efficaces, d'autant plus si l'on songe à la courte durée de la saison sans gel en montagne. Il est donc très fréquent de trouver des pierres de remploi, provenant de piédroits de porte ou de fenêtre du XVIe siècle, remise en oeuvre dans la chaîne d'angle d'un bâtiment (voir photo).
Mais, si les maisons anciennes étaient encore solides et bien bâties, il n'y avait pas aux yeux du montagnard de raison de les démolir ! C'est grâce à cela que de très anciennes bâtisses des XVe et XVIe siècles sont arrivées intactes jusqu'à nous !
Le respect de la propriété d'autrui était aussi de mise, de même que l'ingéniosité pour réutiliser les matériaux qui pouvaient encore servir. On assemblait les morceaux de bonne qualité (voir photo): ledit Dondeinaz se finira les pièces de bois qui sont audit vieux raccard, étant qu'elles pourront servir en les joignant deux en une (note 1).
Au surplus, dans les archives, les contrats de construction des maisons montrent que c'est à l'emplacement des chesaux , des tsosâ, que l'on reconstruisait pour ne pas envahir les terres cultivables. Par exemple à Ayas en 1609: faire construire et bastir de neufz un domicile en une place et court située audict lieu de Cunea appellé la place du vieulx chosal de Bach (note 2).
Maison antérieure au XVII siècle dont la façade principale a été mise au gout du jour au XVIII siècle.En fait, les textes anciens, qui nous racontent dans quelles conditions se déroulaient les chantiers autrefois, évoquent, en tout, l'esprit d'économie des montagnards, leur volonté de ne pas gaspiller le travail fait, le temps déjà passé à faire pour éviter de refaire ou de défaire ce qui existait déjà !
La mode actuelle du " faux vieux " tout comme celle du vieux posé n'importe où pour embellir ne correspond pas du tout à l'esprit traditionnel ! Les documents anciens le disent et le répètent au fil des lignes: l'ouvrage terminé doit être rendu beau et capable, recepvable ou construit selon les règles de l'art ou même de l'architecture…, considéré pour l'époque moderne, au goût du jour, d'un beau dessein nouveau ! C'est pour cette raison que l'on modernise parfois des façades tout entières (voir photo).
Lorsqu'il est question des pièces de récupération, elles sont placées là où on ne les voit pas trop, par exemple dans les fenils ou les greniers, au fond des pièces : pour faire les planchers desditz chamberaux des vieux aix ou encore pour le fond, ledict Favre les faira de vieux planchons et vieux aix (note 3), c'est-à-dire de vielles planches. Aucun montagnard n'aurait jamais construit du neuf avec des planches vermoulues comme certains le font aujourd'hui. Ils choisissaient pour leur nouveau logis, pour la cloison de séparation (la devella) entre méison et péillo, les plus belles planches et les mieux rabotées, éventuellement, pour qui en avait les moyens, soigneusement décorées de moulures.
L'esprit d'économie, de non gaspillage, influençait également la section et les dimensions de toutes les pièces de la structure, surtout celles qui étaient visibles, à tel point que ce qui touche notre sensibilité face à une maison ancienne, malgré le recyclage des matériaux, c'est la cohérence de ses proportions. Pas de grosses poutres surdimensionnées qui semblent mises en œuvre pour vivre dans un décor de dessin animé dont on se lassera vite… En Vallée d'Aoste il n'y avait pas d'éléments kitch ou inutiles dans les maisons. L'équilibre et les proportions en architecture restaient des règles à suivre qui imposaient et qui imposent toujours un savoir, dont la juste mesure dans l'emploi des matériaux fait partie. Cet esprit et cette connaissance se manifestaient d'abord par les dimensions mêmes des éléments, respectueuses du rôle statique de chaque pièce de construction, mais aussi par leur fini le plus simplement élégant.l

Notes :
1 - Archives des notaires d'Aoste (A.N.A.), CT1017. Notaire Jean Baptiste Obert.
2 - A.N.A. CT314, 12 juin 1609. Notaire Martin Chasseur.
3 - A.N.A. CT1015, 17 octobre 1728. Notaire Jean Baptiste Obert.
   
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