QUALE FUTURO?
Le passé très lointain conditionne encore aujourd'hui notre mode de vie et notre environnement quotidien. A travers la trame presque invisible de la propriété, le paysage est imprégné de son histoire profonde qu'il faut connaître pour planifier sereinement le futur.
LE PAYSAGE MEDIEVAL E SA PLANIFICATION
par Claudine Remacle
Caillaz (Chamois): un hameau implanté au pied des anciennes terrasses de culture.Le romantisme a faussé notre vision du Moyen Age. Lorsque que nous imaginons la gestion territoriale en Europe, et dans les Alpes surtout, notre esprit tend à voir cette période comme le temps de la misère où régnait une spontanéité désorganisée. Or le peuplement, en montagne comme en plaine, a certainement été soumis à des règles, fruits d'une connaissance profonde du milieu et d'une organisation sociale empreinte de solidarité face aux travaux pénibles qu'imposait l'aménagement du territoire.
L'observation des infrastructures que le bas Moyen Age nous a laissées le suggère, de même que la ponctualité des consorts qui entretiennent encore les grands rus au printemps, comme le faisaient depuis plus de six siècles les habitants de notre région à l'occasion des corvées.
La lecture des paysages anciens, alliée à la connaissance des cadastres, nous montre combien les montagnards n'ont pas défriché les pentes au gré du hasard, mais poussés par la nécessité et guidés par la prudence et par le respect de coutumes, au départ non écrites.
La colonisation de l'espace cultivé s'est opérée au prix de travaux importants de défrichements et d'équipements. Elle a été régentée par les seigneurs ou encore mise en oeuvre par les communautés habitant un bourg, une ville ou plusieurs villages ou hameaux groupés en cantons (Ayas), en quartiers (Gignod) ou en tierces (Gressoney, Valgrisenche). En Vallée d'Aoste la culture des terres était gérée surtout par les habitants de ces constellations de petits villages et de hameaux, véritables cellules de base de la vie paysanne. Ensemble, les hommes s'occupaient de la surveillance des bois bannis, de l'entretien des chemins et du réseau d'irrigation, de l'ouverture des prés en automne pour le pâturage collectif, de la reconstruction des moulins après les crues. Le domaine pris en charge par les communautés était considéré dans son ensemble suivant des règles récurrentes, simplement adaptées aux particularités locales.
A l'étage agro-pastoral des versants, les traces de ces aménagements sont encore visibles aujourd'hui parce que le territoire était partagé en zones clairement délimitées en fonction des conditions du sol. Toutes les pentes bien exposées et sèches des finages (surtout sud et sud-ouest) étaient terrassées et labourées, sur quelques centaines d'hectares parfois (Courmayeur, Saint-Nicolas, colline de Saint-Vincent, Challand, Champorcher, etc). La plaine était, elle aussi, organisée, de même que les adrets viticoles ou les versants abrupts de la Basse Vallée, couverts de vergers de châtaigniers. Partout, de vastes secteurs étaient consacrés à la céréaliculture. On n'y amenait pas d'eau, car elle était réservée à la culture du fourrage, à l'herbe. Elle était dirigée par un réseau serré de rus, réalisé à toutes les échelles du territoire: à l'échelle de la seigneurie, par conséquent interparoissiale (le ru de Saint-Vincent à Ayas par exemple), à l'échelle paroissiale (le ru de Torgnon), à l'échelle locale (le ru de Tole à Brusson ou le ru de Mellier à Champorcher) et enfin à l'échelle des particuliers avec les rus herbaux se ramifiant en multiples brantse. L'eau, précieuse et dangereuse à la fois, dictait les comportements à respecter à l'ensemble des communautés, mais aussi à tous ses membres.
Dans les villages, il n'existait pas de plans régulateurs, cependant on observe que certaines limites n'ont pas été dépassées pendant des siècles. On serrait les bâtisses les unes sur les autres et on les surélevait pour ne pas entamer le patrimoine foncier productif. Les reconnaissances envers le seigneur stipulaient que la tenure d'un pré ou d'un champ comportait aussi le droit au " sis d'une mayson ", isolée ou dans un village. Certes, on peut se demander si ce genre de documents ne ratifie pas souvent une situation créée, avant l'acte, par nécessité. Pourtant, d'après le recensement du patrimoine, il apparaît que ce n'est qu'au XIXe siècle, après l'affranchissement des tributs féodaux, que les nouveaux propriétaires, forts de leurs nouveaux droits, ont commencé à bâtir plus souvent sur les prés aux alentours des villages.
Les " Coustumes du Duché d'Aouste avec les uz et stils du pais ", publiées à Chambéry en 1588, tout comme notre Code civil, géraient l'espace à l'intérieur des agglomérations. Dans les lieux champestres, dans les mayens et les petits villages, seuls les usages locaux, dominés par les bons rapports de voisinage, forçaient au respect des multiples servitudes: servitudes de lumières, de vue, d'égout ou de passage. Par contre, dans les villes et les bourgs, les particuliers étaient autorisés à construire contre le fonds des voisins, ce qui pouvait entraîner la mitoyenneté des maisons de familles différentes. Dans ces agglomérations, la construction contiguë (in aderenza) était de règle.

Coutumier du Duché d'Aoste. Livre III. Titre VII. Des Bastimens et edifices.
Article LIII.
" Tous voysins ayans edifices sur rue, ou place publique, prochains et aboutissans aux heritages d'autruy, peuvent estre contrains par iustice, à souffrir que le proprietaire desdits heritages, s'ayde de la moitié de son mur en contribuant la moytié de la façon, frais, et despenses dudit mur [...] Ce que seulement on observera en la Cité, Villes, et Bourgades du pays, sans qu'aux villages et lieux champestres aucun soit tenu souffrir autruy prendre part en sa muraille, de laquelle il est entierement propriétaire ".
Article LIIII.
" De tant plus est permis à chacun de bastir esdites Cité, Villes & Bourgades sur l'extremité de son fonds, & à fil des bonnes (=bornes) apposees entre ses heritages, et l'edifice de son voisin, quant il n'y a servitude, ou autre empeschement de droict coustumier ".


On comprend ainsi que l'urbanisation des bourgs, tout comme celle du cœur de certains gros villages dont les structures sont d'origine médiévale, soit plus dense que les hameaux des lieux champestres. Le tissu bâti des bourgs de la vallée centrale, mais aussi d'Etroubles, de Perloz, d'Antey-Saint-André, est toujours très dense aujourd'hui. Les maisons sont bien sûr construites suivant l'ancien axe principal de circulation. Il semble parfois que leur formation ait été planifiée, comme cela arrive pour de nombreuses agglomérations urbaines médiévales. Les bourgs possédaient toujours une enceinte, des portes, une chicane d'entrée et, à l'intérieur des murs de défense, des lots à bâtir d'une largeur de deux à trois toyses (5.60 mètres environ).
Tous ces exemples nous montrent combien le passé très lointain conditionne encore aujourd'hui notre mode de vie et notre environnement quotidien. A travers la trame presque invisible de la propriété et le dessin des parcelles, le paysage qui nous entoure est imprégné de son histoire profonde qu'il faut d'abord connaître, puis reconnaître et accepter, pour planifier plus sereinement le futur.
   
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